Ville du Grand Sudbury - « Porte ouverte sur le scandale des billets du concert d'Elton John »

Ville du Grand Sudbury - « Porte ouverte sur le scandale des billets du concert d'Elton John »

avril 25, 2008

25 avril 2008

L’Ombudsman a averti aux conseillers municipaux de Sudbury que leur réunion à huis clos à propos du scandale des billets du concert d’Elton John était à la limite de la légalité.

Enquête sur la réunion à huis clos du conseil municipal du Grand Sudbury le 20 février 2008

« Porte ouverte sur le scandale des billets du concert d’Elton John »  

André Marin
Ombudsman de l’Ontario

le 25 avril 2008

 

Introduction

      Une nouvelle ère a commencé pour l’Ontario le jour de l’An 2008. Depuis ce jour-là, les citoyens ont le droit de demander une enquête pour savoir si une municipalité a tenu ses réunions à huis clos, contrairement à la règle. En vertu de l’article 239 de la Loi de 2001 sur les municipalités, les municipalités sont tenues d’ouvrir au public les portes des réunions de leur conseil et de leurs comités, à moins que ces réunions ne relèvent d’exceptions prescrites. La Loi l’impose depuis des années, mais ce n’est que depuis 2008 que le public peut se plaindre et qu’un processus d’enquête a été mis en place.

2       Les nouvelles modifications à cette Loi attribuent à mon Bureau le rôle d’enquêteur pour ces plaintes contre toutes les municipalités ontariennes, à moins que ces municipalités n’aient désigné leur propre enquêteur à cet égard. Le 14 novembre 2007, par un vote du conseil, la Ville du Grand Sudbury a décidé de faire de mon Bureau son enquêteur pour les plaintes du public concernant les réunions à huis clos. Actuellement, mon Bureau joue le rôle d’enquêteur pour quelque 200 municipalités de l’Ontario.

3       L’obligation légale de tenir des réunions ouvertes au public a pour but de garantir que l’exercice du pouvoir politique se fait au grand jour. Aux États-Unis, où des lois similaires sont couramment en vigueur, ces lois sont appelées sunshine laws. Cette expression anglaise est tout particulièrement appropriée pour cette plainte sur la réunion à huis clos du conseil, car la plainte résulte du scandale qui a entouré le concert d’Elton John à Sudbury le 2 mars 2008. Après tout, Elton John est l’interprète de la célèbre chanson Don’t Let the Sun Go Down On Me – et la plainte dont il s’agit ici a trait à l’absence de lumière : les conseillers ont fermé les portes et nous ont plongés dans l’obscurité, nous cachant ce qu’ils ont discuté.

 

La plainte et le contexte factuel

      Sudbury ne fait généralement pas partie de l’itinéraire des tournées des super-vedettes. Mais elle a été choisie comme halte pour un concert d’Elton John, ce qui a créé l’enthousiasme qu’on peut imaginer. L’aréna communautaire de Sudbury allait être pleine à craquer, mais il n’y aurait pas assez de places pour tous les fans. Le 1er février 2008, un peu plus de 6 000 billets de concert ont été mis en vente pour le public. Les gens ont été avisés d’acheter les billets en ligne, au lieu de faire la queue en plein hiver, mais certains ont préféré cette dernière solution – environ 200 personnes ont attendu dehors, dont 150 sont reparties les mains vides. Leur rêve d’acheter des billets s’est effondré non seulement à cause de la rapidité du commerce électronique, mais aussi parce que le promoteur et le gérant de l’aréna avaient mis de côté un nombre considérable de billets. Plus de 200 billets ont été réservés pour le personnel de l’aréna et pour les 13 membres du conseil municipal, les élus municipaux ayant priorité d’achat pour 120 de ces billets.

5       Disons bien clairement que ce ne sont pas les politiciens qui se sont arrogé ce privilège. Le promoteur du concert a expliqué à notre équipe d’enquête qu’il est tout à fait courant de réserver des billets pour le personnel de l’aréna et pour les politiciens locaux, tout comme il est habituel d’en mettre de côté pour les représentants des médias et de l’industrie des spectacles, ainsi que pour diverses personnes laissées au choix du promoteur. En ce qui concerne les élus municipaux, le promoteur a indiqué qu’il avait fait les arrangements non pas directement avec eux, mais avec le gérant de l’aréna, qui est un fonctionnaire municipal et qui s’occupe généralement de distribuer les billets. Dans ce cas, c’est un fonctionnaire plus haut placé – l’un des administrateurs généraux de la Ville – qui a coordonné la distribution des billets aux conseillers. Cette mesure inhabituelle a été prise, nous a-t-on dit, en raison de la forte demande anticipée. Toutefois, c’est le maire qui a décidé combien de billets chaque conseiller pourrait acheter – au maximum, huit chacun. Le maire a choisi ce chiffre car il croyait que chaque membre du public aurait droit d’acheter huit billets et parce que Kitchener, une autre ville ontarienne où allait s’arrêter la tournée d’Elton John, avait autorisé chacun de ses conseillers à obtenir ce nombre de billets (dont un gratuit). En fin de compte, cependant, les membres du conseil municipal de Sudbury ont quelque peu dépassé les limites – 120 billets pour 13 conseillers, cela représente 9,23 billets par conseiller, ce qui montre clairement que certains conseillers ont acheté plus que les huit billets autorisés.

6       Il faut souligner que ces billets n’étaient pas des dons. Les élus de Sudbury les ont payés de leur poche. Mais ceci ne les a nullement excusés aux yeux du public. Le fait est que des billets ont été accordés aux élus municipaux en raison des fonctions qu’ils occupaient, alors que les membres du public devaient faire la queue sur Internet ou devant l’aréna, et risquaient de repartir bredouilles.

7       Il est toujours inquiétant de voir des élus apparemment tirer un profit personnel de leurs fonctions ou sembler faire passer leurs propres intérêts avant celui des citoyens qu’ils représentent. Les conseillers municipaux occupent des postes de confiance. Ils sont élus pour exercer un pouvoir important et les citoyens s’attendent à ce qu’ils défendent l’intérêt du public, et non pas à ce qu’ils profitent de leurs postes. Cette attente ne s’applique pas seulement à des bénéfices évidents, comme les pots-de-vin pour les contrats ou les cadeaux coûteux faits par certains fournisseurs : tout avantage indirect résultant de la fonction d’élu peut donner lieu à des soupçons. La somme, en dollars, peut être minime, mais l’enjeu ne l’est pas. Et c’est pourquoi, quand le maire a confirmé à un journal local – le Sudbury Star – que les conseillers municipaux avaient fait main basse sur des billets de concert, il a fallu « arrêter les presses ». La presse s’est emparée du sujet, qui a alimenté les conversations aux pauses-café. Plus la controverse a pris de l’ampleur, plus le public a été furieux envers les conseillers. Plusieurs d’entre eux nous ont dit qu’ils avaient essuyé un déluge d’appels furibonds, de lettres et de huées à la suite de cette révélation.

8       Le 13 février 2008, l’affaire était devenue problématique pour le conseil. Ce soir-là, lors de la réunion du conseil, le maire a demandé la permission de s’adresser au public. Il a présenté ses excuses à propos de cette controverse et il a déclaré que l’achat des billets par les membres du conseil était conforme à une pratique « de longue date », mais il a promis que cette pratique serait soumise à examen et qu’une politique officielle serait adoptée par le conseil.

      Cette promesse n’a pas mis fin à l’histoire. Le 16 février 2008, le Sudbury Star a annoncé que le concert risquait être annulé en raison du scandale des billets. Le promoteur a aussitôt catégoriquement nié cette possibilité, dans un article publié en réponse. Mais quatre jours plus tard, de toute évidence inquiet du tollé général, le promoteur a demandé au gérant de l’aréna de récupérer 60 à 70 billets pour qu’ils puissent être distribués au public par un système de loterie. Le gérant de l’aréna a transmis la requête au bureau du maire. Après avoir parlé de l’affaire avec le promoteur, le maire a décidé de récupérer les billets et a chargé l’administrateur en chef (qui les avait distribués) de s’en occuper. Le maire a ensuite parlé à plusieurs conseillers, individuellement, et il a rencontré jusqu’à six d’entre eux de manière informelle à son bureau. Il leur a dit qu’il rendait ses 11 billets et leur a demandé de rendre une partie des leurs au plus vite.

10     Ce revirement allait certainement être embarrassant pour les conseillers qui allaient devoir récupérer des billets auprès des personnes à qui ils les avaient donnés. À cela venaient s’ajouter des questions de logistique : combien de billets chaque conseiller devrait-il rendre? Comment les billets seraient-ils remboursés? Que se passerait-il si les billets avaient été payés par carte de crédit? Et bien d’autres questions. De toute évidence, la requête du maire allait exiger un sérieux travail.

11     Le 20 février 2008, les conseillers ont assisté à une réunion inscrite au calendrier du Comité des priorités – appelé « comité de l’ensemble », car il comprend tous les membres du conseil. Comme à l’accoutumée, plusieurs d’entre eux avaient soupé auparavant ensemble au bar-salon du conseil et au moins quelques-uns avaient parlé de l’affaire du concert, se demandant combien de billets pouvaient être récupérés auprès des amis et des familles. Après la réunion du Comité des priorités, 10 conseillers sont passés au bar-salon alors qu’ils se préparaient à partir et la discussion à propos des billets a vivement repris.

12     Les conseillers présents étaient : Jacques Barbeau, Claude Berthiaume, Frances Caldarelli, Joe Cimino, Doug Craig, Ron Dupuis, Evelyn Dutrisac, Janet Gasparini, Joscelyne Landry-Altmann et Russ Thompson. Bien que certaines preuves indiquent qu’un onzième conseiller, André Rivest, s’était trouvé très brièvement dans le bar-salon, celui-ci a véhément déclaré qu’il n’avait aucunement pris part à la décision sur les billets, et j’accepte sa version des faits. Le maire, John Rodriguez, n’était pas présent, pas plus que ne l’étaient le conseiller Ted Callaghan alors en vacances et l’administrateur en chef Mark Mieto. Les conseillers municipaux ont demandé au personnel qui attendait pour nettoyer les lieux de partir car, nous a-t-on dit, les conseillers étaient inquiets des récentes fuites d’information aux médias. Ils ont convoqué au bar-salon Catherine Matheson, directrice générale du développement communautaire, pour qu’elle réponde à leurs questions. D’après les entrevues que nous avons faites, la réunion a duré environ 10 minutes et la discussion a porté sur le nombre de billets que chacun des conseillers devait rendre et sur la façon dont pourraient se faire rembourser ceux qui avaient payé les billets par carte de crédit. Mme Matheson a expliqué comment ceci se ferait.

13     Les administrateurs de la ville ont ensuite sollicité des avis juridiques et des conseils en matière de communications auprès de fournisseurs externes pour savoir comment traiter les requêtes des médias à propos de l’accès à l’information et comment faire face à l’opinion publique. On nous a informés que cette mesure avait été prise en partie parce que certains membres du personnel étaient absents, et en partie parce que le besoin de conseils d’experts s’était fait sentir. Toujours est-il que la décision était de nature administrative et que le personnel de la ville avait tout à fait le droit d’agir en ce sens.

14     En fin de compte, les membres du conseil municipal ont rendu 71 billets. Le promoteur a joint ces billets à d’autres billets qu’il avait réservés et, le 24 février 2008, tous ces billets ont été distribués au public par un système de loterie.

15     Mais au lieu de mettre fin à l’affaire, cette mesure a déclenché ce que la presse a qualifié de « scandale des billets ». Des rumeurs ont commencé à circuler dans la communauté à propos de la réunion à huis clos des conseillers, culminant avec une plainte déposée à mon Bureau le 26 février 2008. Après avoir fait des demandes de renseignements préliminaires et après avoir tenté de communiquer avec quelques témoins qui étaient temporairement injoignables, j’ai ouvert une enquête officielle le 26 mars 2008.

 

Le processus d’enquête

16     L’équipe d’enquête composée de quatre membres a interviewé 17 personnes, dont chacun des 13 membres du conseil municipal de la Ville du Grand Sudbury, de même que divers employés municipaux. L’équipe a passé en revue les documents fournis par la municipalité, notamment l’ordre du jour et le procès-verbal des réunions du conseil municipal et du Comité des priorités pour 2008, de même que les courriels, les notes de service et les notes personnelles des conseillers. L’enquête a également compris des recherches juridiques approfondies, entre autres sur la jurisprudence des réunions ouvertes au public en Ontario et dans d’autres instances.

17     Avant janvier 2008, les Ontariens qui voulaient contester une réunion municipale à huis clos n’avaient d’autres recours que d’aller au tribunal. Actuellement, ils peuvent porter plainte à mon Bureau ou à l’enquêteur désigné de la municipalité, dans le cadre d’un tout nouveau système d’exécution de la loi par un processus d’enquête. Le processus est si nouveau que cette enquête n’est que la deuxième enquête complète faite par mon Bureau dans ce domaine. De plus, très peu de dirigeants municipaux et de membres du public ont eu l’occasion de se familiariser avec ce processus. Vu les circonstances, j’ai décidé d’inclure à ce rapport une Annexe qui fait une analyse très détaillée des questions juridiques soulevées par les réunions ouvertes au public. J’espère que cette analyse guidera à l’avenir les dirigeants municipaux quant à leurs obligations de tenir des réunions ouvertes au public.

 

Le test juridique de « réunion »

18     Quand j’enquête sur une plainte à propos d’une réunion municipale à huis clos, je dois considérer si la municipalité a respecté les dispositions de l’article 239 de la Loi de 2001 sur les municipalités, de même que le règlement de procédure que la municipalité est tenue d’adopter en vertu du paragraphe 238 (2) de cette Loi.

19     La Loi donne une liste d’exceptions qui permettent aux municipalités de tenir des réunions à huis clos si elles traitent alors de certains sujets précis, par exemple de questions de personnel ou de litige. Il est clair que les billets du concert pour les conseillers municipaux ne relèvent pas de ces exceptions. La question critique est donc de savoir si, le 20 février 2008, la réunion au bar-salon du conseil municipal de Sudbury était une « réunion » aux termes de la Loi.

20     La Loi de 2001 sur les municipalités définit ainsi une réunion : « réunion ordinaire, extraordinaire ou autre d’un conseil municipal, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre ». Cette définition, que la Ville du Grand Sudbury a essentiellement adoptée dans son règlement de procédure, n’est pas particulièrement éclairante. En fait, elle tourne furieusement en rond : une réunion est une réunion qui est une réunion.

21     Le tout est de savoir ici si ce qui s’est passé au bar-salon du conseil le 20 février 2008 constituait une « réunion » à laquelle s’appliquent les dispositions des réunions ouvertes au public – ou s’il s’agissait d’une discussion informelle qui échappe à la Loi.

22     Manifestement, les participants considéraient qu’il ne s’agissait pas d’une « réunion » en vertu de la Loi. L’administrateur en chef nous a déclaré ceci :

Personnellement, je ne pense pas du tout qu’il s’agissait d’une réunion. C’était une discussion informelle et un processus normal qui se passe après le conseil quand les gens vont prendre leurs manteaux pour partir. Bon, est-ce qu’une décision a été prise? Non. Est-ce qu’une explication a été donnée à quelques politiciens sur la manière de rendre leurs billets? Oui.


23     L’un des conseillers a parlé dans ces termes :

La décision [de rendre les billets] n’a pas été consignée, car ce n’était pas le résultat d’un vote. À mon avis, il n’y a jamais eu de décision du conseil. Il ne s’agissait pas de l’argent des contribuables. Il ne s’agissait pas d’une question de politique. Cela n’avait rien à voir avec le conseil, en réalité. Il s’agissait du fait qu’on avait profité d’une pratique de longue date, qui exige maintenant une politique.


24     Au risque de paraître théorique, disons que toutes les réunions ne sont pas des « réunions » en vertu de cette Loi. Bien sûr, au sens conversationnel du terme, tout rassemblement de personnes qui tiennent une discussion peut être considéré comme une réunion, mais quelque chose doit s’ajouter à cela pour constituer une « réunion » conformément à la Loi.

25     Récemment, la Cour suprême du Canada a noté que l’ensemble des lois sur les réunions publiques en Ontario avait pour objectif « d’accentuer la confiance du public dans l’intégrité du gouvernement local en garantissant l’exercice transparent et ouvert du pouvoir municipal ». Deux buts importants sont visés : la poursuite de la démocratie et la préservation de l’apparence de l’intégrité dans l’exercice du pouvoir politique.

26     Le pouvoir politique détenu par les conseils et par les comités est avant tout un pouvoir d’élaboration de politiques. Au nom du public, les maires et les conseillers municipaux se prévalent de l’autorité qui leur est déléguée pour adopter des règlements et pour déterminer de vastes questions de politique, dont l’attribution des programmes et des services municipaux. De plus, ils établissent et supervisent les politiques, les pratiques et les programmes administratifs requis pour mettre en œuvre les décisions du conseil.

27     Par contre, les conseillers n’ont pas le pouvoir d’administrer directement les affaires de la municipalité. Ce sont les administrateurs et les employés de la municipalité qui veillent à l’application des politiques et des programmes et qui s’acquittent des fonctions assignées par la municipalité. Bien sûr, les politiciens interagissent avec les administrateurs au nom de leurs électeurs, ou pour s’assurer que les politiques existantes sont bien mises en place, mais ils n’exercent pas alors un pouvoir qui exige une loi de type sunshine laws. Ils gèrent des politiques existantes ou prennent part sous d’autres formes à l’administration. Il ne serait ni faisable, ni souhaitable, d’exiger que chaque rassemblement de ce type soit ouvert au public et se fasse avec un préavis.

28     Le règlement de procédure du conseil municipal du Grand Sudbury reconnaît ce point et tente de faire la distinction entre le conseil et l’administration, notant à l’Annexe C que « l’une des principales distinctions d’un conseil, par opposition à l’administration, est le mandat qu’a le conseil d’établir les politiques de l’organisme ».

29     Considérant les décisions des tribunaux à propos des obligations de réunions ouvertes au public (auxquelles je fais référence en détail à l’Annexe de ce rapport), j’ai conclu que la définition légale de ce qui constitue une « réunion » en vertu de la Loi devrait être interprétée ainsi : Les membres du conseil (ou d’un comité) doivent se rassembler dans le but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil (ou d’un comité), ou dans le but de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.

 

Quand une réunion n’est-elle pas une « réunion » ?

30     Alors, la réunion au bar-salon du conseil de Sudbury était-elle une « réunion » qui aurait dû être ouverte au public, aux termes de la Loi?

31     Vu la première partie de la définition ci-dessus, la réponse est oui, les membres du conseil se sont clairement « rassemblés », même s’ils l’ont fait après l’ajournement de la réunion officielle du Comité des priorités. Dix membres d’un organisme politique puissant se sont rassemblés – bien que sans les formalités habituelles d’une réunion officielle du conseil – pour discuter et pour régler des questions de préoccupation commune. Ils ont convoqué la directrice générale. Ils avaient un quorum et pouvaient donc légalement prendre des décisions. C’était une réunion du conseil, un point c’est tout.

32     Toutefois – et c’est là que les choses se compliquent – ceci ne veut pas dire forcément que les dispositions de la Loi relatives aux réunions ouvertes au public s’appliquent. En fin de compte, tout dépend de ce que faisait le conseil, et pourquoi. Le « rassemblement » doit avoir pour but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité. Et ici, après avoir examiné toutes les preuves, ma réponse est non, les 10 conseillers ne se sont pas rassemblés dans ce but.

33     Ils se sont rassemblés pour déterminer qui devait rendre des billets, et combien, et pour savoir comment procéder. Ils voulaient ainsi sauver la face. Ils ne traitaient pas d’une question de politique faisant appel au pouvoir politique du conseil. Ils parlaient tout simplement du processus à suivre pour rendre les billets. Les conseillers présents n’ont pas délibéré sur la moindre question qui aurait pu mettre en jeu l’exercice de l’autorité politique du conseil. Ils ne se préparaient pas à prendre ultérieurement une décision de politique. Ils voulaient tout simplement déterminer quoi faire avec les billets.

 

Pas une « réunion » mais…

34     Pourtant, il y a un « mais ». Il y avait une question de politique cachée sous la surface. En fait, c’était très précisément le type de question de politique qui allait intéresser le public, et le type de question visée par les textes de loi sur les réunions ouvertes au public – la question étant de savoir si les conseillers devraient avoir priorité sur leurs électeurs pour obtenir des billets. Assurément, quand les prérogatives viennent du budget municipal, la question est débattue en réunion publique, pour de bonnes raisons. Le mois dernier, les médias de Toronto se sont déchaînés à propos de la décision des conseillers de cette ville – prise en public et débattue en public – pour conserver leur privilège d’emprunter gratuitement les taxis et d’avoir des laissez-passer pour les terrains de golf de la ville, le zoo et les transports en commun. Le public a le droit de savoir que ses élus profitent de tels avantages, non seulement parce qu’il y va des fonds publics, mais parce que cet état de faits est indicatif de leur utilisation du pouvoir.

35     Heureusement, le scandale des billets du concert d’Elton John à Sudbury n’a pas mis en cause les fonds publics. Mais il a mis en cause des avantages dont les élus ont bénéficié en raison de leurs fonctions. Bien que l’accès privilégié aux billets n’ait jamais été considéré auparavant comme une question relevant du conseil municipal, les retombées du scandale ont tout changé. Le maire a pris la parole lors d’une réunion du conseil pour faire une déclaration publique à propos du scandale. Puis le 2 avril 2008, au Comité des priorités, une nouvelle politique a été proposée et discutée à propos de la vente anticipée et de la distribution des billets pour les événements à l’aréna communautaire de Sudbury. Le personnel a recommandé que les membres du conseil municipal et le personnel de l’aréna de la ville puissent acheter au maximum deux billets avant le début de la vente au public. Mais le conseil a été divisé face à ce système de priorité pour les billets. Lors de cette réunion, le vote a terminé à égalité six à six, et une décision n’a donc pu être prise que le 9 avril 2008 quand le maire a tranché. En fin de compte, le conseil a décidé par sept voix contre six d’adopter une politique qui élimine la « pratique de longue date » qui avait déclenché tous ces problèmes : les conseillers et les employés de la ville ne peuvent plus obtenir à l’avance de billets pour les événements ayant lieu à l’aréna communautaire de Sudbury.

36     Soulignons que si les conversations et les discussions entre les conseillers lors de ces 10 minutes cruciales à huis clos, le 20 février 2008, avaient été ne serait-ce que légèrement différentes, l’article 239 serait intervenu. Si les conseillers s’étaient mis d’accord, à titre de politique, pour dire qu’ils méritaient de conserver leur priorité sur le public pour les billets, leur réunion aurait pu être jugée illégale. S’ils avaient parlé de soumettre la question au conseil pour en faire une politique officielle, ou si l’administrateur en chef avait été chargé d’étudier la question pour savoir si cela aurait dû se passer, l’article 239 se serait appliqué.

37     Toutefois, d’après leurs preuves, je conclus que les conseillers n’ont pas pris part à ce type de discussions, et donc que leur réunion au bar-salon s’est faite dans le respect de la loi – mais à peine. Cette cause illustre parfaitement le principe selon lequel les réunions ouvertes au public suscitent sa confiance, tandis que les réunions à huis clos engendrent ses soupçons. Les conseillers municipaux, pris dans un scandale alléguant qu’ils avaient profité de leurs fonctions publiques officielles pour passer avant les citoyens qu’ils représentaient, ont attendu que l’auditoire quitte une réunion publique puis ont demandé au personnel de partir et ont fermé les portes pour parler des billets qui avaient déclenché la controverse. Il ne faut pas s’étonner alors que la communauté ait réagi si violemment – et que la méfiance ait conduit au dépôt d’une plainte à mon Bureau.

38     Un juge ontarien a fait cette mise en garde lors d’une cause sur une réunion à huis clos : les actes des dirigeants publics « ne doivent pas seulement être parfaitement francs, ils doivent aussi paraître parfaitement francs ». Ce qui s’est passé le 20 février 2008 ne paraissait pas parfaitement franc. La seule chose qui ait permis aux actes du conseil de ne pas être répréhensibles, c’est que la réunion n’a pas fait appel à l’exercice du pouvoir municipal.

39     Si le conseil municipal de Sudbury se tire légalement d’affaire ici, ce n’est pas parce qu’il a agi sagement, ni parce qu’il a respecté le principe crucial d’agir parfaitement au-dessus de tout soupçon. Il se tire d’affaire pour des raisons qui trouvent faveur auprès des avocats : contrairement à tout bon sens, il arrive qu’une réunion ne soit pas une « réunion ».

 

Opinion

40     Ce n’est pas une affaire de légitimation. C’est une affaire dans laquelle les conseillers devraient réfléchir à leurs actes du point de vue du simple citoyen, et se demander si, aux prises avec une telle controverse, ils auraient dû fermer la porte.

41     Il ne m’appartient pas de dire s’il est équitable, raisonnable ou même sage que les conseillers aient des privilèges par rapport à leurs électeurs, en raison de leurs fonctions. Les protestations du public ont ici admirablement rempli ce rôle. Mais il me revient de commenter la question des réunions à huis clos des dirigeants municipaux et, sur ce point, je suis d’accord avec le juge ontarien qui a fait cette remarque il y a quelques années : « Étant donné l’interdiction énoncée dans la Loi sur les municipalités, [tenir des réunions à huis clos] est une pratique fort dangereuse. » En d’autres mots, même quand il s’agit de questions qui ne relèvent pas officiellement des dispositions de l’article 239, les politiciens locaux devraient longuement réfléchir avant de fermer les portes et de jeter l’ombre sur leurs discussions.

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André Marin
Ombudsman de l’Ontario

 

Annexe : Analyse juridique

L’importance des réunions ouvertes au public

42     Comme indiqué dans le rapport ci-joint, l’Ontario n’a mis en place un système de plaintes publiques sur les réunions municipales à huis clos que depuis quelques mois. Cependant, la loi stipulant que les réunions doivent être ouvertes au public est en vigueur depuis les années 1990. Elle a fait l’objet de nombreuses décisions judiciaires et de diverses propositions de modifications. Pour forger une voie d’application de cette loi par le processus d’enquête, il est bon de faire un examen et une analyse approfondis de la jurisprudence pertinente – aussi bien en Ontario que dans les autres instances qui ont amplement testé les lois appelées sunshine laws. J’espère que cette analyse contribuera à guider les dirigeants municipaux et leurs conseillers juridiques à l’avenir, au sujet des réunions à huis clos.

43     Dans la cause London (City) v RSJ Holdings Inc.[1], la Cour suprême du Canada a décrit comment l’incitation à entreprendre un premier ensemble de réformes sur les réunions ouvertes en Ontario dans les années 1990 est née du désir de « favoriser… les valeurs démocratiques et répondre… à la demande du public pour une responsabilisation accrue du gouvernement municipal »[2]. Comme l’a dit cette Cour, les réunions ouvertes au public sont essentielles à une « solide légitimité démocratique »[3]. En effet, pour être forte, une démocratie requiert plus que le droit de vote du public lors d’élections périodiques. Le public doit avoir connaissance des actes de ses élus pour pouvoir voter intelligemment et il doit pouvoir faire un apport continu aux décisions politiques qui prennent forme[4]. Fermer les portes asphyxie le processus.

44     Dans cette même cause, la Cour suprême du Canada a aussi déclaré que la Loi de 2001 sur les municipalités avait un rôle additionnel à jouer pour stimuler la confiance du public. La Cour a noté que l’article 239 « avait pour objectif d’intensifier la confiance du public dans l’intégrité du gouvernement local en assurant l’ouverture et la transparence de l’exercice du pouvoir municipal ». En d’autres termes, les réunions ouvertes peuvent accentuer la confiance du public, tandis que les réunions à huis clos produisent l’effet contraire. Ou encore, comme un juge l’a dit de manière si colorée en Floride en 1969 : « Des termes comme… réunions secrètes, dossiers clos, réunions directives et séances d’étude sont devenus synonymes de ‘finasseries’ dans l’esprit des gens qui ont le sens de l’intérêt public ». Des États comme la Floride ont adopté les sunshine laws, a-t-il ajouté, « pour préserver la confiance du public dans les organismes gouvernementaux »[5].
 


Les réunions ouvertes au public et l’Ombudsman

45     En 2007, la Loi de 2001 sur les municipalités, a été modifiée pour permettre à l’Ombudsman d’enquêter à la suite de plaintes sur les réunions à huis clos. C’était une sage mesure. Comme le montrent de nombreuses causes juridiques que je discute ici, les particuliers ou les organisations avaient tendance à aller en justice pour argumenter que des règlements municipaux auxquels ils s’opposaient étaient « illégaux », car ils avaient été adoptés contrairement à l’obligation de tenir des réunions ouvertes au public en vertu de l’article 239 de la Loi. Faire appel à l’Ombudsman pour porter plainte est un processus d’accès aisé pour les citoyens qui n’ont peut-être pas un intérêt financier ou personnel dans la question, mais qui savent l’importance du principe de réunions ouvertes pour la démocratie. Recourir à l’Ombudsman est un moyen efficace, peu onéreux, de défendre les principes démocratiques avancés par un gouvernement ouvert.

46     Malheureusement, l’Ombudsman de l’Ontario n’a pour mandat d’accepter une plainte à ce sujet que si la municipalité n’a pas nommé son propre « enquêteur » en vertu de l’article 239.2 (1) de la Loi de 2001 sur les municipalités. En novembre 2006, alors que les modifications à cette Loi (sous la forme du Projet de loi 130, qui est devenu la Loi de 2006 modifiant diverses lois en ce qui concerne les municipalités) faisaient encore l’objet d’un examen au Comité permanent des affaires gouvernementales, j’ai comparu devant ce Comité et je lui ai présenté un exposé écrit de position expliquant pourquoi cette idée était néfaste. Les municipalités qui optent pour cette solution doivent payer leur enquêteur à partir de leur propre budget. Chose plus importante encore pour l’intérêt public, cette Loi ne garantit pas adéquatement que les enquêteurs auront l’autonomie ou le pouvoir d’enquête dont jouit mon Bureau. Il y a donc toute raison de croire que des enquêteurs nommés à l’interne seront mal préparés à protéger efficacement les principes importants qui sont en jeu.

47     Le champ de compétence de l’Ombudsman dans ce contexte est unique en ce sens que le mandat de mon Bureau ne s’étend pas, comme il le fait d’ordinaire, à l’évaluation plus générale des questions d’équité fondamentale et de raisonnabilité. J’ai uniquement le pouvoir d’enquêter « sur la question de savoir si une municipalité ou un conseil local s’est conformé à l’article 239 ou à un règlement de procédure adopté en application du paragraphe 238 (2) à l’égard d’une réunion ou d’une partie de réunion qui s’est tenue à huis clos ». Ce sont là, en fin de compte, des questions juridiques qui exigent une interprétation correcte des dispositions de la Loi de 2001 sur les municipalités et du règlement de procédure de la municipalité en question.

 

Forcer les portes : Notre engagement à défendre les réunions ouvertes

48     Avant la promulgation d’une loi spécifique, seul le processus politique pouvait forcer les portes des réunions de gouvernements locaux en Ontario : « Le public n’avait aucun droit d’accès aux délibérations du conseil ou de ses comités, qui pouvaient librement se réunir à huis clos »[6]. Les conséquences de cette liberté accordée aux dirigeants locaux, dont beaucoup attachaient tout naturellement plus de prix à leur survie politique qu’à l’ouverture, à la transparence et à la responsabilisation, étaient prévisibles. Le Rapport du Comité de travail provincial-municipal sur les réunions ouvertes et sur l’accès à l’information, publié en 1984, concluait ceci : « Certains conseils municipaux tiennent de longues réunions de comités et réunions spéciales, à huis clos, pour discuter les questions à débattre, puis ratifient leur décision lors d’une réunion plénière du conseil, en quelques minutes, avec un minimum de discussion »[7]. À la suite de ce rapport et d’autres études corroborantes[8], la Province a adopté la Loi de 1994 modifiant diverses lois en ce qui concerne la planification et les municipalités, L.O. 1994, chap. 23, avec les dispositions sur les réunions ouvertes au public qui se trouvent maintenant à l’article 239 de la Loi de 2001 sur les municipalités.

49     L’importance maintenant accordée à la loi sur les réunions ouvertes ressort clairement de la structure de l’article 239. Cet article déclare que, sauf dispositions contraires, « les réunions sont ouvertes au public ». Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné, cette disposition « montre que, dans la conduite normale des affaires d’un gouvernement municipal, les réunions seront transparentes et accessibles au public »[9]. Par contre, huit des neuf exceptions à la règle sont permissives : même si un conseil ou un comité municipal peut légalement fermer ses portes, le Gouvernement de l’Ontario lui laisse la liberté de ne pas le faire, dans l’intérêt de la transparence et de la responsabilisation. La Loi affirme fortement le principe des réunions ouvertes.

50     Cette puissante défense juridique des réunions ouvertes a mené à deux règles importantes quant à la manière d’aborder les plaintes sur les réunions ouvertes au public. Premièrement, « les textes de loi sur les réunions ouvertes au public sont appliqués dans l’intérêt du public et doivent être interprétés le plus favorablement possible en faveur du public »[10]. Les dispositions applicables des textes de loi ne devraient pas être lues, comprises ou appliquées de manière à restreindre ou atténuer l’obligation de tenir des réunions publiques. Elles devraient être interprétées et appliquées de manière à ce que les réunions ouvertes constituent la norme, et non pas l’exception, afin que les exceptions à la règle soient circonscrites. Comme l’a fait observer la Cour d’appel de l’Ontario, « l’objectif législatif clair qui sous-tend l’article 239 est de maximiser la transparence de la gouvernance municipale autant que possible eu égard aux circonstances »[11].

51     Deuxièmement, quand une plainte est déposée à propos d’une réunion ouverte au public, il appartient aux politiciens de donner la preuve qu’ils n’ont pas manqué à leur obligation d’origine législative. Dans la cause Southam Inc., Eade and Aubry v. Council of the Corp. of the City of Ottawa et al., le tribunal a maintenu qu’il appartient aux élus de faire des divulgations suffisantes à propos de ce qui s’est passé à huis clos pour prouver qu’ils ont respecté leur obligation[12]. La raison en est évidente. Si les portes sont fermées, seuls les participants savent si ce qui s’est passé constitue une « réunion » aux termes de la loi, ou relève d’une exception. Si les participants n’expliquent pas pourquoi les portes étaient fermées, de sorte à prouver qu’ils ont respecté la loi, il en résultera probablement un manquement à l’obligation d’ouvrir la réunion au public.

52     En fin de compte, pour déterminer si les dispositions relatives aux réunions ouvertes au public ont été respectées, je ne m’en remets pas à mon impression de ce qui est raisonnable. La question est juridique; elle repose sur l’interprétation de la Loi de 2001 sur les municipalités et du règlement de procédure applicable.

 

Déterminer s’il y a infraction à la Loi : Définir « réunion »

Quelles réunions peuvent se tenir à huis clos ?

53     Les municipalités peuvent invoquer l’article 239 (2) pour tenir des réunions à huis clos qui portent sur la sécurité des biens de la municipalité (alinéa 239 (2) a)), des renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée (alinéa 239 (2) b)), l’acquisition ou la disposition projetée ou en cours d’un bien-fonds (alinéa 239 (2) c)), les relations de travail ou les négociations avec les employés (alinéa 239 (2) d)), les litiges actuels ou éventuels (alinéa 239 (2) e)), les conseils qui sont protégés par le conseil professionnel de l’avocat (alinéa 239 (2) f)), ou une question à l’égard de laquelle une autre entité peut tenir une réunion à huis clos en vertu d’une autre loi (alinéa 239 (2) g)). Les séances « d’éducation ou de formation » peuvent également être exemptées en vertu de la nouvelle disposition à l’article 239 (3.1). Toutefois, les municipalités peuvent décider d’ouvrir leurs réunions au public concernant ces sujets. Les seules circonstances dans lesquelles une réunion à huis clos est requise se rapportent à l’étude d’une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et à la protection de la vie privée par le conseil municipal, agissant comme « personne responsable d’une institution ».

 

Qu’est-ce qu’une « réunion » ?

54     La définition actuelle de « réunion » à l’article 238 (1) de la Loi de 2001 sur les municipalités est pratiquement inutile car elle tourne complètement en rond. Comme l’a fait remarquer un juge, elle ne permet guère de « faire avancer les choses » pour savoir si un rassemblement tombe sous le coup de la loi sur les réunions ouvertes[13]. Elle indique simplement qu’une « réunion » désigne toute réunion « ordinaire, extraordinaire ou autre d’un conseil municipal, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre ». Elle n’offre aucun critère de prise de décision. Sous le couvert d’une définition de « réunion », elle évite en réalité de nous dire ce qu’est une « réunion », se contentant d’indiquer quelles réunions sont couvertes par elle.

55     Quand la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée a rendu public son rapport en 2003, Making Municipal Government More Accountable: The Need for an Open Meetings Law in Ontario, elle a parlé de la nécessité d’une définition claire, précise et pratique de « réunion ». Elle a déclaré que la définition alors existante (presque identique[14]) était insuffisante et imprécise[15]. Le 13 octobre 2004, le Projet de loi d’initiative parlementaire 123, Loi de 2004 sur la transparence des questions d’intérêt public, a proposé une définition en trois parties qui a été appuyée par la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée. Voici l’extrait :

(1) Pour l'application de la présente loi, une réunion d'un organisme public désigné a lieu si les conditions suivantes sont réunies :

  1. L'ensemble des membres de l'organisme ou un nombre précisé de ceux-ci, comme dans le cas d'une réunion d'un comité ou d'une autre division désignée de l'organisme, ont le droit d'assister à la réunion.

  2. L'objet de la réunion est de délibérer d'une question ou de faire toute chose qui relève de la compétence ou du mandat de l'organisme, du comité ou de la division.

  3. Le nombre de membres présents constitue le quorum ou, si les règles ou le mandat de l'organisme, du comité ou de la division n'exigent pas de quorum, la majorité.


(2) Une réunion s'entend notamment d'une réunion électronique ou téléphonique à laquelle s'appliquent les conditions visées au paragraphe (1).[16]


56     Regrettablement, quand le Projet de loi 130, Loi de 2006 modifiant des lois concernant les municipalités, a été adopté, modifiant la Loi de 2001 sur les municipalités, il n’a pas intégré ces suggestions, conservant ainsi la notion circulaire qu’une « réunion est une réunion »[17].

57     L’échec au niveau d’une définition précise ne signifie pas qu’un organisme législatif a abdiqué son rôle, les tribunaux étant libres de décider. La plupart du temps, aucune définition précise n’est donnée par désir de ne pas restreindre indûment l’exécution de la loi. C’est ainsi que la Cour suprême du Canada a vu les choses dans la cause London (City) v RSJ Holdings Inc., quand elle a déclaré (à propos de la définition antérieure à 2007) que « les mots ‘comité’ et ‘réunion’ sont définis d’une façon générale à l’article 238 (1) de la Loi de 2001 sur les municipalités »[18]. Étant donné que la définition actuelle est essentiellement la même que celle dont disposait la Cour, la cause London (City) v RSJ Holdings Inc. donne clairement à ceux qui appliquent cette disposition le mandat d’interpréter le mot « réunion » au sens large.

58     Cependant, il ne faut pas en conclure que « réunion » doit prendre le sens le plus large possible sur le plan linguistique. Ce mot doit être interprété selon l’approche requise pour toutes les dispositions législatives en accord avec la norme Bell ExpressVu de la Cour suprême du Canada : « Il n’y a qu’un principe ou qu’une approche, à savoir que les termes d’une loi doivent être lus dans tout leur contexte, et dans leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du Parlement »[19]. Il faut donc comprendre le mot « réunion » non seulement dans son sens ordinaire, mais aussi en fonction du contexte où il est utilisé et à la lumière des exigences de la loi sur les réunions ouvertes au public. C’est pourquoi une réunion n’est pas toujours une « réunion » au sens de la loi.

59     Cette règle universelle d’interprétation n’a pas encore mené à une définition générique. Certes, les juges ont offert diverses descriptions indiquant quand un « rassemblement » constitue une « réunion », mais les descriptions proposées tendaient à se rapporter aux faits présentés au tribunal. En regroupant ces définitions à la lumière de l’objectif de la loi, une définition équitable couvrant les différents secteurs de pouvoir serait la suivante :

Pour qu’une réunion ait lieu, les membres du conseil ou d’un comité doivent se rassembler dans le but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou du comité, ou dans le but de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.


60     Cette définition comporte essentiellement deux composantes : ce doit être une réunion du conseil ou d’un comité, et l’objectif doit être d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou du comité, ou de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.

 

Qu’est-ce qui constitue une « réunion » ?

61     Comme indiqué, en suivant les principes ordinaires de l’interprétation, le terme « réunion » doit être compris dans le contexte où il est utilisé. À première vue, la disposition pertinente, soit l’article 239 (1), est sans limite. Elle déclare que :

(1) Sauf disposition contraire du présent article, les réunions sont ouvertes au public.


62     Le terme « réunion » est défini par la loi, mais d’une manière qui impose des limites quant aux réunions tenues par qui; la définition se cantonne aux réunions du « conseil municipal », d’un « conseil local » ou « d’un comité de l’un ou de l’autre ».

63     Il existe des cas où un conseil ou un comité se rassemble de toute évidence pour exercer ses fonctions en tant que tel. D’habitude, ceci se voit aux formalités qui entourent l’événement, à savoir s’il s’agissait d’une réunion ordinaire inscrite au calendrier, ou si des actes courants des réunions de cet organisme ont eu lieu, par exemple chanter Ô Canada, dresser un procès-verbal ou nommer un président. Dans la cause Southam Inc. v. Ottawa Council, concluant qu’une réunion du conseil s’était tenue, le tribunal a noté que les conseillers s’étaient rassemblés « pour discuter [de questions] de manière structurée »[20]. De même, dans la cause City of Yellowknife Property Owners Assn. v. Yellowknife (City)[21], la décision affirmant que des « séances d’information » hebdomadaires tenues par le conseil étaient assujetties à la loi sur les réunions ouvertes résultait en partie du fait qu’il y avait eu un ordre du jour, que quelqu’un avait fait fonction de président, qu’un procès-verbal avait été dressé, qu’il y avait eu un vote d’essai et des votes à mains levées. Les réunions s’étaient déroulées conformément aux habitudes de l’organisme agissant en tant que tel, ce qui a facilité la conclusion disant que ces « réunions » tombaient sous le coup de la loi sur les réunions ouvertes.

64     Dans Hamilton-Wentworth, pour conclure qu’il s’agissait d’une réunion du conseil municipal, le juge Grange s’est appuyé sur le fait que les membres du conseil avaient été convoqués officiellement. Il a souligné que « quand tous les membres [d’un comité] sont convoqués à une réunion ordinairement prévue et qu’ils tentent alors de procéder à huis clos, ils contrecarrent l’intention et l’objectif des [règles des réunions secrètes] »[22]. C’est dans ce contexte que le juge Grange a suggéré qu’une réunion est « un rassemblement auquel tous [les membres du comité] sont invités »[23].

65     Mais pour appliquer efficacement la loi, la formalité d’une invitation ne peut pas être une condition requise. En effet, ceci exclurait les rassemblements impromptus de l’organisme en question, par exemple une décision spontanée de traiter de questions non inscrites à un ordre du jour officiel, une fois que le public est parti. Le problème que posait l’insistance du juge Grange sur la formalité de l’invitation a été reconnu par la Cour divisionnaire dans la cause Southam Inc. v. Ottawa Council[24]. La définition offerte alors par la majorité de la Cour indiquait qu’une réunion pouvait se tenir en l’absence d’une requête, les conseillers ou les membres du comité pouvant y prendre part sans convocation[25]. Comme la Cour l’a précisé clairement, « la question n’est pas de savoir si… les formalités d’une réunion officielle du conseil sont observées »[26].

66     La raison principale pour laquelle une réunion doit être « une réunion du conseil ou d’un comité » pour se qualifier est peut-être rattachée aux objectifs des dispositions sur les réunions ouvertes au public que je vais discuter ci-après. Ces dispositions ont trait à l’exercice du pouvoir politique. C’est pourquoi de nombreuses instances aux États-Unis font ce qu’a tenté de faire le Projet de loi d’initiative parlementaire 123 en Ontario et étudient la question en se demandant quand l’organisme aurait le pouvoir d’agir dans sa capacité d’organisme, ou de quasi organisme. Elles imposent donc un quorum : étant donné qu’un organisme ne peut pas agir sans quorum, il ne peut pas légalement tenir une « réunion » à moins qu’il n’ait un quorum.

67     En général, cette approche me convient. Mais une mise en garde s’impose. Même s’il n’y a pas de quorum, les membres qui sont présents peuvent commencer le travail préparatoire nécessaire pour exercer le pouvoir de cet organisme une fois qu’un nombre suffisant d’entre eux seront là. Dans ce cas, une « réunion » aura eu lieu. De même, il y aura « réunion » si un organisme procède à une série de réunions en petits groupes, où les affaires de l’organisme sont menées en secret.

68     En résumé, une réunion ne relève de l’article 239 (1) que s’il s’agit d’une réunion d’un conseil ou d’un comité. Si l’assemblée se conduit d’une manière structurée similaire à celle adoptée pour ses réunions habituelles, alors l’organisme tient une réunion. Cependant, même en l’absence des formalités officielles d’une réunion, quand un quorum du conseil ou du comité se réunit, l’assemblée constitue une « réunion ». Et même en l’absence de quorum, si les membres se réunissent en espérant qu’il y aura quorum ou participent à une série de réunions afin d’entreprendre le travail du conseil ou du comité, la première exigence sera probablement remplie – le résultat étant qu’il y aura « réunion ». Le fait qu’une réunion doit être ouverte au public ou non, conformément à l’article 239 (1), dépend finalement de son objectif.

 

Quel était l’objectif de la réunion ?

69     Comme indiqué, pour qu’il y ait « réunion » conformément à l’article 239 (1), la réunion doit avoir pour objectif d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou du comité, ou d’effectuer le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité. Fondamentalement, la loi sur les réunions ouvertes au public vise deux objectifs – la poursuite de la démocratie et la préservation de l’apparence de l’intégrité dans l’exercice du pouvoir politique.

70     Dans la cause London (City) v RSJ Holdings Inc.[27], la Cour suprême du Canada a fait remarquer que : « la légitimité démocratique des décisions municipales ne résulte pas uniquement d’élections périodiques, mais aussi d’un processus décisionnel transparent, accessible au public, prescrit par la loi »[28].

71     Pour mettre les choses en perspective, disons que les garanties de réunions ouvertes ont les mêmes fonctions que les lois sur l’accès à l’information, le « principe d’audiences publiques » (qui permet au public d’assister à ce qui se passe aux tribunaux) et la liberté de la presse protégée par la Constitution. Ensemble, ces mécanismes garantissent que le public (dont le gouvernement fait partie), pour lequel le pouvoir doit être exercé et des décisions d’intérêt supérieur doivent être prises, dispose « des moyens d’éliminer les défauts d’un gouvernement pernicieux », comme l’a dit le philosophe politique du 19e siècle James Mill. Les « moyens » auxquels James Mill faisait allusion étaient les moyens d’accès à l’information – information qui permet au public d’exprimer son mécontentement et de contester une « mauvaise gouvernance ». James Mill réagissait alors au fait parfaitement connu que la mauvaise gestion, la paresse et même la malhonnêteté peuvent prospérer à huis clos, mais ne peuvent survivre à la lumière purificatrice du jour dans une démocratie. Un juge du Minnesota a fait écho à ces mots quand il a décrit la loi sur les réunions ouvertes de son État : la loi existe, a-t-il dit, « pour prohiber les mesures d’action lors d’une réunion secrète où il est impossible pour le public intéressé de s’informer pleinement des décisions du conseil ou de détecter des influences indues »[29]. Ou encore, pour citer un auteur américain, l’ouverture mène « à de meilleurs programmes gouvernementaux, à une meilleure gouvernance, ainsi qu’à une forme de gouvernement plus réceptive à l’intérêt public et moins sujette à la corruption »[30].

72     Les lois sur les réunions ouvertes au public ont une autre fonction importante. Les réunions publiques intensifient la confiance publique. Comme indiqué précédemment, dans la cause London (City) v. RSJ Holdings Inc., la Cour suprême du Canada a déclaré que la disposition sur les réunions ouvertes au public énoncée à l’article 239 de la Loi de 2001 sur les municipalités « avait pour objectif d’intensifier la confiance du public dans l’intégrité du gouvernement local en assurant l’ouverture et la transparence de l’exercice du pouvoir municipal »[31].

 

Définir « l’exercice du pouvoir politique »

73     Étant donné que la disposition sur les réunions ouvertes au public a pour objectif de contrôler l’utilisation du pouvoir par les dirigeants élus, toute définition de « réunion » devrait être assez générale pour inclure l’exercice de ce pouvoir, mais suffisamment restreinte pour exclure l’exercice inapproprié de ce pouvoir. L’importance que revêt l’objectif d’une réunion ressort clairement de deux causes canadiennes. Dans Southam Inc. v. Ottawa Council, la cour a donné une définition plus formelle à ses fins en disant « en d’autres termes, le public est-il privé de la possibilité d’observer un élément essentiel du processus de décision? ». Et dans Niagara-on-the-Lake Conservancy Society v. Niagara-on-the-Lake (Town)[32], un juge de l’Ontario a conclu qu’il n’y avait pas eu infraction à la disposition sur les réunions ouvertes en soulignant que rien ne suggérait que « quiconque avait appuyé la décision ait eu un motif répréhensible ou un conflit d’intérêt »[33]. Essentiellement, aux yeux du juge, cette cause ne donnait aucune raison de s’inquiéter quant à l’apparence de l’intégrité dans l’exercice du pouvoir politique.

74     Un examen des opinions judiciaires sur la manière de déterminer si un rassemblement constitue une « réunion » révèle trois types d’approche. Il y a les causes où l’on se demande a) si l’organisme prend des décisions; b) si l’organisme en question agit dans son champ de compétence; et c) si l’organisme établit des politiques.

 

L’organisme prend-il des décisions ?

75     Les conseils et les comités sont des organismes de prise de décision, et c’est de là que vient leur pouvoir. C’est pourquoi, si les personnes qui se sont rassemblées ont pris des décisions en tant qu’organisme exerçant ce pouvoir, une « réunion » a évidemment eu lieu. Dans Southam Inc. v. Ottawa Council, le tribunal a maintenu que le fait suivant avait contribué à conclure qu’une « réunion » avait eu lieu, même si le conseil affirmait qu’il était simplement en « retraite »[34] : le conseil avait « décidé d’une mesure d’action » pour nommer un comité chargé d’enquêter et de faire rapport sur des questions de paiement aux dirigeants de comité.

76     Malheureusement, certains font le lien entre l’application complète ou partielle des dispositions sur les réunions ouvertes et la prise de décision. Cette approche résulte d’une décision prise dans une cause en Ontario, Vanderkloet et al. v Leeds & Grenville County Board of Education[35]. Dans cette cause, la Cour d’appel de l’Ontario devait déterminer si un conseil scolaire avait manqué à ses obligations d’équité de procédure en droit administratif. La Cour a finalement déclaré que le conseil scolaire n’avait pas violé les normes du droit administratif quand il avait tenu une réunion à huis clos avant une réunion du conseil municipal « ouverte au public » (sans préavis) durant laquelle un vote avait eu lieu. Un élément crucial de cette décision était que le conseil scolaire avait rouvert la question, à la suite d’une objection, et avait tenu une réunion plénière avec préavis durant laquelle la décision première avait été confirmée, avec raison. En d’autres termes, le fait qu’aucune décision finale n’ait été prise durant les premières séances et le fait que le résultat final ait été une décision intègre prise lors d’une réunion publique avaient satisfait les exigences d’équité de procédure.

77     La transférabilité de l’approche Vanderkloet aux causes sur les réunions ouvertes peut être mise en doute. Le tribunal ne devait pas alors s’occuper d’une disposition législative exigeant des réunions ouvertes. De plus, l’issue était différente. Le tribunal ne devait pas se demander si le principe des réunions ouvertes avait été respecté; il devait se poser une question plus générale, à savoir si le fait de ne pas avoir tenu une réunion ouverte en premier lieu nuisait à ce point à l’équité du processus que la décision du conseil scolaire devait être révoquée. Cependant, l’influence de l’approche Vanderkloet se fait sentir sur les causes de réunions ouvertes. Dans 3714683 Canada Inc. v. Parry Sound (Town)[36] par exemple, un promoteur qui cherchait à obtenir un changement de zonage pour faciliter un projet d’aménagement a rencontré le conseil à huis clos. Le tribunal a maintenu que cette réunion ne constituait pas un enfreint aux dispositions sur les réunions ouvertes car il y avait simplement eu « échange d’information » et car aucune décision n’avait été prise à propos des changements de zonage proposés. Aucune réunion n’avait donc eu lieu[37].

78     La cause Parry Sound est un exemple clair des raisons pour lesquelles une prise de décision n’est pas toujours la preuve de la tenue d’une « réunion ». Précisons que dans la cause Parry Sound, certains membres du public étaient opposés à la requête du promoteur. Autoriser le promoteur à participer à une « séance secrète d’information » avec le conseil, avant la réunion publique, laissait le public dans l’ignorance de ce qui s’était passé à huis clos et de l’influence qu’avait alors exercée le promoteur. La réunion secrète n’avait fait qu’affaiblir l’apparence de l’intégrité dans l’exercice du pouvoir politique que les dispositions sur les réunions ouvertes sont censées garantir. Précisons bien qu’alors les conseillers n’ont pas rencontré, en tant que particuliers, ce promoteur en tant qu’électeur. Il s’agissait d’une réunion d’un organisme démocratique et délibératif, le conseil municipal, avec un promoteur qui avait un intérêt dans la question soumise à considération et qui donnait de l’information à propos d’une question sur laquelle le conseil devrait décider. À cet égard, la décision affirmant qu’il n’y avait pas eu de réunion n’est pas persuasive.

79     Pour être juste envers le tribunal qui a décidé de la cause Parry Sound, précisons qu’il a fait la distinction avec un autre cas, Aitken v Lambton Kent District School Board[38], car les réunions dont il était question dans cette cause avaient « fait progresser substantiellement la cause », si bien que « le cœur de la question » avait été décidé à huis clos[39]. Cette norme est similaire à celle adoptée dans la cause Southam Inc. v. Ottawa Council[40]. Le tribunal a déterminé alors qu’une « réunion » peut avoir lieu même si aucune décision n’est prise – si des questions qui exigent une délibération et une décision « progressent substantiellement ». Cette définition est en accord avec celle utilisée par de nombreuses instances américaines, où le terme « réunion » comprend les délibérations d’un organisme public qui mènent à une décision, même en l’absence de mesures d’action officielles[41].

80     À mon avis, même cette approche – exigeant la preuve que les questions « ont progressé substantiellement » ou que les délibérations ont mené à une décision – ne saisit pas pleinement l’objectif de la loi. Ironiquement, le jugement dissident du juge Lacourcière dans Hamilton-Wentworth peut servir de guide : le juge a alors considéré le résultat de la réunion, et non son objectif. Il s’est référé avec approbation à la définition du Black’s Law Dictionary, qui définit « réunion » comme « un rassemblement de personnes… dans l’objectif de discuter et d’agir à propos d’une question ou de questions d’intérêt commun pour elles »[42]. Je conclus d’après cette déclaration qu’une réunion ne cesse pas d’être une « réunion » si les parties en présence ne peuvent pas parvenir à un consensus ou faire de progrès. Ce qui compte, c’est que les parties se sont réunies dans un but qui met en jeu le processus démocratique, en faisant un travail préparatoire à l’exercice éventuel de leur pouvoir politique.

81     Toutefois, je ne crois pas qu’une « réunion » se tienne uniquement si les objectifs du rassemblement sont « de discuter et d’agir » à propos d’une question. L’un ou l’autre suffit. L’approche implicite dans la décision rendue à la majorité dans Hamilton-Wentworth (et expressément suivie dans la cause St. Cloud Newspapers devant la Cour suprême du Minnesota) me semble fondée en droit. Dans cette cause, le tribunal a maintenu que la loi sur les réunions ouvertes avait pour intention de s’appliquer à toutes les étapes du processus décisionnel, y compris aux étapes d’étude et de discussion collectives, même si le « rassemblement » n’avait pas pour but d’agir à propos d’une question – étant donné que cette action est prévue ultérieurement[43]. Quand des renseignements substantiels sont donnés, non pas pour les objectifs généraux d’éducation et de formation visés par la nouvelle exception à l’article 239 (3.1) de la Loi de 2001 sur les municipalités, mais en tant qu’éléments spécifiques à une prise de décision en attente ou en suspens, la disposition sur les réunions ouvertes au public devrait s’appliquer.

82     À première vue, cette approche peut sembler contraire à l’ensemble de lois qui permettent aux conseillers et aux membres des comités d’obtenir de l’information ou de participer à des discussions informelles sans tout le tam-tam qui entoure la loi sur les réunions ouvertes. Le dictum le plus souvent cité pour appuyer l’exemption des simples discussions est le commentaire fait par le juge Dubin dans la cause de droit administratif Vanderkloet : « Je ne crois pas que la nécessité… d’ouvrir les réunions au public interdise les discussions informelles entre… les membres, soit seuls soit avec l’aide de leur personnel »[44].

83     Le juge Dubin parlait dans un contexte distinct, mais ses paroles témoignent d’une sagesse évidente. Il est bon pour la démocratie que les dirigeants élus partagent l’information et évaluent la situation par des discussions informelles, avec d’autres, avant de prendre des décisions de politique. Comme l’a fait remarquer le juge Simonett du Minnesota, alors qu’il citait un modèle de loi proposé, « rien… ne devrait rendre illégales les discussions informelles, soit en personne, soit au téléphone, entre les membres d’organismes publics quand l’objectif est d’obtenir des faits et des opinions… »[45]. Le juge a noté ceci : « Affirmer… qu’un membre du conseil ne peut jamais parler à un autre membre du conseil, en dehors d’une réunion [publique] dûment convoquée… est irréaliste et paralyse inutilement le discours… »[46].

84     Tout ceci est vrai. Mais pour que l’objectif des dispositions sur les réunions ouvertes soit respecté, il faut prendre soin de ne pas laisser ce concept de « discussions informelles » l’emporter sur le principe des réunions ouvertes. Le juge Grange avait de toute évidence raison quand il a fait une mise en garde dans la cause Hamilton-Wentworth, en soulignant qu’un comité qui est tenu de se réunir en public ne peut pas transformer une réunion en discussion informelle et détourner l’objectif de la loi sur les « réunions ouvertes »[47]. À mon avis, le moyen d’empêcher que les règles sur les réunions ouvertes ne perdent ainsi leur sens est de reconnaître que, quand des politiciens élus ne travaillent pas ensemble en tant que groupe, l’autorité démocratique qui leur est donnée n’est pas en œuvre. Mais il serait dangereux, pour les objectifs des dispositions sur les réunions ouvertes, d’accepter qu’un organisme puisse se réunir en secret en tant qu’organisme, et acquérir une information connexe à une décision en attente ou en suspens susceptible d’influencer les opinions des participants. Si les conseillers ou les membres d’un comité se rassemblent pour travailler en vue de régler définitivement une question qui fait appel à l’exercice de leur pouvoir, les dispositions sur les réunions ouvertes devraient s’appliquer – même s’ils ne se rassemblent alors que pour obtenir l’information nécessaire à leur décision.

85     En résumé, il est clair que chacune de ces approches – « arriver à une décision », « faire progresser substantiellement les choses », et évaluer si les protagonistes se sont rassemblés pour travailler en vue de régler définitivement une question qui fait appel à l’exercice de leur pouvoir – résultent d’un examen fondé sur le but visé par les textes de loi. Ce sont là des exemples d’organismes démocratiques engagés dans différentes étapes de l’exercice de pouvoirs à propos desquels les électeurs ont légitimement le droit de vouloir faire des commentaires, et où l’apparence de l’intégrité dans l’exercice du pouvoir politique peut être mise en jeu. Les deux premières approches sont sous-inclusives, car les principes peuvent intervenir même sans décisions ou sans délibérations productives. Je me suis donc inspiré de ces causes car elles sont censées appuyer une approche fondée sur des principes, aussi imparfaitement soit-il, mais j’ai redéfini leurs normes en examinant une question d’envergure plus large, à savoir si les participants se sont rassemblés dans le but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou d’un comité, ou dans le but de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.

 

L’organisme agit-il dans son champ de compétence ?

86     L’un des éléments couramment proposés pour définir « réunion » dans les causes judiciaires est l’exigence que le rassemblement traite de questions relevant du champ de compétence de l’organisme. Dans Hamilton-Wentworth, le juge Grange a déclaré que « dans le contexte d’un comité statutaire, ‘réunion’ devrait être interprétée comme tout rassemblement auquel tous les membres du comité sont invités à discuter de questions relevant de leur champ de compétence »[48]. Dans Southam Inc. v. Ottawa Council,[49] le tribunal s’est également demandé si les intéressés avaient pris part à « une fonction où les questions relevant ordinairement des affaires du conseil sont traitées de manière à les faire progresser substantiellement dans le spectre global d’une décision du conseil »[50].

87     Très certainement, un indice important pour déterminer si un organisme tient ou non une « réunion » est le suivant : l’organisme s’est-il livré à des activités pour lesquelles il a été constitué? Mais à mon avis, ceci ne devrait pas être une condition essentielle pour qu’il n’y ait pas manquement aux dispositions sur les réunions ouvertes. Ceci exempterait de la protection de la loi les occasions où l’organisme est censé utiliser les pouvoirs qu’il possède en tant qu’organisme, mais où il fonctionne ultra vires, c’est-à-dire illégalement. Intuitivement, il ne se peut pas qu’un conseil ou un comité puisse échapper à la procédure des réunions publiques par un excédent d’autorité. À mon avis, aussi longtemps que les participants se sont rassemblés dans le but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou du comité, le fait qu’ils agissent en dehors de leur champ de compétence n’est pas pertinent.

 

L’organisme établit-il des politiques ?

88     Dans la cause Board of County Commissioners v. Costilla County Conservancy District, la Cour suprême du Colorado a fait cette déclaration à propos des lois de cet État sur les réunions ouvertes :

(1) Nous considérons qu’un organisme public local, comme le conseil, est tenu de donner un préavis public de toute réunion à laquelle assiste ou doit assister un quorum de l’organisme public si cette réunion est engagée dans un processus d’établissement des politiques. Une réunion est engagée dans un processus d’élaboration de politique quand cette réunion a pour but de discuter ou d’entériner une règle, un règlement, une ordonnance ou une action formelle. Si le mémento permet de conclure que la réunion est rationnellement liée aux responsabilités d’établissement des politiques par un organisme public qui tient la réunion ou y participe, la réunion est assujettie à la [loi] »[51].


89     Bien que cette décision ait été prise aux États-Unis, elle articule mieux que toute autre un sous-courant qui se produit aussi au Canada, le tout étant de savoir quand une question traitée lors d’une réunion est une question de politique ou autre.

90     Il est intéressant de se demander si un organisme travaille à une question de politique, ou en vue d’une question de politique, car les dispositions sur les réunions ouvertes sont reliées à l’exercice du pouvoir politique – et parce que le pouvoir politique détenu par les conseils et les comités est principalement un pouvoir d’établissement des politiques. Ici en Ontario, les dirigeants municipaux élus ont le pouvoir d’adopter des règlements et de déterminer d’importantes questions de politique, notamment l’attribution des programmes et des services municipaux. De plus, ils établissent et supervisent les politiques, les pratiques et les programmes administratifs requis pour mettre en œuvre les décisions du conseil. Par contre, ils n’ont pas le pouvoir d’administrer directement les affaires de la municipalité; ce sont les administrateurs et les employés de la municipalité qui veillent à l’application des politiques et des programmes et qui s’acquittent des fonctions assignées par la municipalité[52]. Bien sûr, les politiciens municipaux interagissent avec les administrateurs, mais lorsqu’ils le font, ils n’exercent pas leur pouvoir d’une manière qui exige une loi de type sunshine laws. Ils gèrent les politiques existantes ou participent autrement à l’administration.

91     Pour déterminer si l’article 239 (1) devrait s’appliquer, il est utile de vérifier si l’organisme prend des décisions ou travaille en vue de décisions de politique. Cependant, considérer uniquement si une décision est une décision de politique ou pas risque de mener à une approche sous-inclusive. Ainsi, la décision dont il était question dans la cause Southam Inc. v. Ottawa Council – qui était de commanditer une étude – était moins une décision de politique qu’un prélude à un choix potentiel de politique. De plus, quand un comité a pour tâche de rendre une décision administrative, c’est forcer les choses que de décrire le processus comme étant une prise de décision politique, mais la réunion devrait certainement être ouverte. Déterminer qu’une politique est en jeu constitue donc un indicateur puissant qu’une réunion a eu lieu, mais constater qu’aucune politique générale n’est considérée lors d’une réunion ne constitue pas forcément une raison de conclure qu’il n’y a pas obligation d’ouvrir les portes.

92     Nous arrivons donc au dernier élément de ce qui constitue à mon avis un ensemble utile et applicable de critères pour déterminer si une « réunion » s’est tenue conformément à l’article 239 (1) : les membres du conseil ou d’un comité doivent se rassembler dans le but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou du comité, ou dans le but de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.

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André Marin
Ombudsman de l'Ontario



[1] [2007] S.C.J. No. 29 [London (City) v. RSJ Holdings Inc.].
[2] Ibidem, para. 18.
[3] Ibidem, para. 38.
[4] Ibidem.
[5] Broward County v. Doran, 224 So. 2d 693 (Fla. 1969).
[6] Southam Inc. v. Hamilton-Wentworth (Regional Municipality) Economic Development Committee, [1988] O.J. No. 1684, para. 22 (Ont. C.A.), Lacourciere J.A., jugement dissident [Hamilton-Wentworth].
[7] Ontario, Rapport du Comité de travail provincial-municipal sur les réunions ouvertes et sur l’accès à l’information, Toronto : Le Comité (juillet 1984), p. 2.
[8] Voir par exemple, Ontario. Commission de la liberté de l’information et de la protection de la vie privée (« Commission Williams »). Public Government for Private People. Toronto : La Commission, (1980) et Ontario. Ministère des Affaires municipales. Open Local Government. Toronto : Imprimeur de la Reine, 1992, pages 2, 3 et 31.
[9] Supra note 1, para. 22.
[10] St. Cloud Newspapers, Inc. v. Dist. 742 Cmty. Schs., 332 N.W.2d 1 (Minn. 1983) [St. Cloud Newspapers].
[11] Farber v. Kingston (City), [2007] O.J. No. 919 para. 19 (Ont. C.A.).
[12] Southam Inc., Eade and Aubry v. Council of the Corp. of the City of Ottawa et al.,[1991] O.J. No. 3659 (Ont. Div. Ct.) [Southam Inc. v. Ottawa Council]. Voir aussi Hamilton-Wentworth, supra note 6, para. 11.
[13] Southam Inc. v. Ottawa Council, ibidem.
[14] La définition alors existante décrivait une « réunion » comme toute « réunion ordinaire, extraordinaire ou autre d’un conseil municipal, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre ».
[15] A. Cavoukian, “Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletMaking Municipal Government More Accountable: The Need for an Open Meetings Law in Ontario” (2003), en ligne : Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée/Ontario (date de consultation : 14 avril 2008).
[16] Projet de loi 123, Loi de 2004 sur la transparence des affaires publiques, première séance, 38e Assemblée législative, Ontario 2004, s. 3 (première lecture, 13 octobre 2004).
[17] Projet de loi 130, Loi de 2006 modifiant diverses lois en ce qui concerne les municipalités, deuxième séance, 38e Assemblée législative, Ontario, 2006 (sanctionné le 20 décembre 2006), L.O. 2006, chap. 32.
[18] Supra note 1, para. 23.
[19] Bell ExpressVu Limited Partnership v. Rex, [2002] 2 S.C.R. 559, para. 26.
[20] Southam Inc. v. Ottawa Council, supra note 12, para.15.
[21] City of Yellowknife Property Owners Assn. v. Yellowknife (City), [1998] N.W.T.J. No. 74, para. 12. (N.W.T.S.C.) [City of Yellowknife].
[22] Supra note 6, para. 12.
[23] Supra note 6, para. 9.
[24] Southam Inc. v. Ottawa Council, supra note 12.
[25] Southam Inc. v. Ottawa Council, supra note 12, para. 12.
[26] Ibidem.
[27] Supra note 1.
[28] Supra note 1, para. 38.
[29] Lindahl v. Independent School District No. 306, 270 Minn. 164, 167, 133 N.W.2d 23, 26 (1965).
[30] Little & Tompkins, Open Government Laws: An Insider’s View, 53 N.C.L. Rev. 451, 475 (1974), cité avec approbation dans St. Cloud Newspapers, supra note 10.
[31] Supra note 1, para. 19.
[32] Niagara-on-the-Lake Conservancy Society v. Niagara-on-the-Lake (Town), [2000] O.J. No. 3480 (Ont. S.C.J.).
[33] Ibidem para. 18.
[34] Southam Inc. v. Ottawa Council, supra note 12, para. 15.
[35] Vanderkloet v. Leeds & Grenville County Board of Education (1985), 51 O.R. (2d) 577 (C.A.) [Vanderkloet].
[36] 3714683 Canada Inc. v. Parry Sound (Town), [2004] O.J. No. 561 (Ont. S.C.J.) [Parry Sound].
[37] Ibidem, para. 67.
[38] Aitken v. Lambton Kent District School Board, [2002] O.J. No. 3026 (Ont. Div. Ct.).
[39] Parry Sound, supra note 36, para. 66.
[40] Southam Inc. v. Ottawa Council, supra note 12.
[41] Voir par exemple, Arizona, Texas, Oregon, Virginie de l’Ouest et Idaho.
[42] Supra note 6, para. 31. Le juge Lacourcière a rendu un jugement dissident car il considérait que la réunion contestée était simplement un « atelier » où il y avait eu un échange d’information, mais qu’il n’y avait pas eu d’efforts faits en vue de décisions particulières.
[43] St. Cloud Newspapers, supra note 10.
[44] Vanderkloet, supra note 35,para. 33.
[45] St. Cloud Newspapers, supra note 10, juge Simonett, jugement en partie concourant et en partie dissident.
[46] Ibidem.
[47] Hamilton-Wentworth, supra note 6, para. 12. Voir aussi City of Yellowknife, supra note 21.
[48] Supra note 6, para. 9.
[49] Southam Inc. v. Ottawa Council, supra note 12, para.12.
[50] Ibidem.
[51] Board of County Commissioners v. Costilla County Conservancy District, 88 P.3d 1188 (Colo. 2004).
[52] Voir Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, articles 224-229.