Mémoire à la consultation sur les règlements proposés pour les agent(e)s spéciaux(ales)

Mémoire à la consultation sur les règlements proposés pour les agent(e)s spéciaux(ales)

février 22, 2023

22 février 2023

Le ministère du Solliciteur général a demandé l’avis du public et des parties prenantes sur quatre règlements proposés en vertu de la Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers, concernant les agent(e)s spéciaux(ales).

Mémoire à la consultation du ministère du Solliciteur général sur les règlements proposés pour les agent(e)s spéciaux(ales)

Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario

Février 2023

 

Aperçu

Le ministère du Solliciteur général a demandé l’avis du public et des parties prenantes sur quatre règlements proposés en vertu de la Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers, concernant les agent(e)s spéciaux(ales). Ces règlements portent sur la nomination et les fonctions des agent(e)s spéciaux(ales), l’autorisation des employeur(e)s d’agent(e)s spéciaux(ales), le code de conduite des agent(e)s spéciaux(ales), les plaintes contre les agent(e)s spéciaux(ales), et les uniformes des agent(e)s spéciaux(ales).

En tant qu’agent(e)s de la paix, les agent(e)s spéciaux(ales) interagissent étroitement avec les membres du public chaque jour. On estime à 3 000 le nombre d’agent(e)s spéciaux(ales) en Ontario, employé(e)s par divers organismes du secteur public, dont des commissions de services policiers, des organismes de transport en commun, des universités, des offices de protection de la nature et des sociétés de logement communautaire. Bien que les agent(e)s spéciaux(ales) disposent d’un grand nombre des pouvoirs habituellement associés aux policiers(ères), les lois et règlements de l’Ontario ont historiquement prescrit très peu de directives et de surveillance sur le recours à ces pouvoirs.

Les quatre règlements proposés par le gouvernement constituent une étape importante pour remédier à cette lacune de longue date, et je salue cet effort en vue d’élaborer un cadre réglementaire pour les agent(e)s spéciaux(ales). Toutefois, mon examen a cerné d’autres lacunes que le gouvernement devrait combler pour garantir la responsabilisation et la transparence de la surveillance exercée sur les agent(e)s spéciaux(ales).

 

Compétence de l’Ombudsman

L’Ombudsman de l’Ontario a une longue tradition d’enquêtes indépendantes et impartiales, et de règlement, concernant les plaintes des personnes qui estiment avoir été traitées injustement lors de la prestation de services publics. Dans ce rôle, mon Bureau exerce une surveillance sur le gouvernement de l’Ontario et les organismes du secteur public, les municipalités, les conseils scolaires financés par les fonds publics, les universités, ainsi que la prestation des services en français et des services de protection de l’enfance. Quand des problèmes apparaissent, je peux faire des recommandations pour les régler, améliorer les processus et renforcer la gouvernance et la responsabilisation.

Généralement, les services policiers et les agent(e)s spéciaux(ales) ne relèvent pas de la compétence de mon Bureau. Toutefois, mon Bureau peut examiner certains aspects de la surveillance exercée sur les services policiers, et enquêter à leur sujet, incluant le ministère du Solliciteur général, la Commission civile de l’Ontario sur la police et l’Unité des enquêtes spéciales. Dans certains cas, j’exerce également une surveillance directe sur les organismes du secteur public qui emploient des agent(e)s spéciaux(ales). Au cours des cinq dernières années, mon Bureau a reçu 20 plaintes concernant des agent(e)s spéciaux(ales).

La Commission civile de l’Ontario sur la police a mis en place un processus public d’examen pour certaines plaintes sur les agent(e)s spéciaux(ales). De nombreuses organisations qui emploient des agent(e)s spéciaux(ales) ont également leurs propres processus de traitement des plaintes. Le cas échéant, mon Bureau achemine les plaintes sur les agent(e)s spéciaux(ales) à leur employeur(e), à la Commission civile de l’Ontario sur la police ou à la commission de services policiers concernée.

 

Contexte

La nécessité d’améliorer la formation à la désescalade pour la police a été soulignée dans de nombreux rapports et de nombreuses enquêtes. Par exemple, en 2016, mon Bureau a publié Une question de vie ou de mort[1], rapport d’enquête suscité par la mort de Sammy Yatim, 18 ans, abattu par la police dans un tramway à Toronto en 2013. La vidéo macabre de ce jeune homme tué par un policier a engendré une conversation publique plus vaste sur l’utilisation de la force létale par les agent(e)s de la paix en Ontario.

Dans ce rapport, mon Bureau a examiné de nombreuses fusillades policières mortelles en Ontario dont les victimes étaient des personnes en situation de crise, et les recommandations qui avaient été présentées dans le sillage de leur décès. Ce rapport a souligné l’importance de recourir à des techniques de désescalade face à des personnes en crise et a fait valoir que le gouvernement provincial doit s’acquitter de sa responsabilité légale de guider les interventions des services policiers. Bien que mes 22 recommandations aient toutes été acceptées à la parution de ce rapport, le Ministère n’en a mis aucune en œuvre. Mes recommandations fournissaient des conseils pratiques pour aborder d’importantes questions sur les directives législatives et réglementaires, les modèles de recours à la force, la formation des policiers(ères), l’orientation des politiques d’utilisation de la vidéo corporelle, ainsi que le signalement, le suivi et l’évaluation des incidents de désescalade avec des personnes en crise. Comme je l’ai récemment exprimé dans mon Rapport annuel de 2021-2022, je m’inquiète tout particulièrement que le Ministère ait décidé de ne pas élaborer de règlement spécifique sur la désescalade, alors que je l’avais recommandé[2].

Bien que le rapport Une question de vie ou de mort traite de la désescalade chez les policiers(ères), bon nombre des recommandations s’appliquent également aux agent(e)s spéciaux(ales). En tant qu’agent(e)s de la paix, les agent(e)s spéciaux(ales) peuvent être armé(e)s d’aérosol ou de mousse d’oléorésine de capsicum (OC), de matraques, et dans certains cas, d’armes à feu et de pistolets à impulsion électrique. Ils(elles) doivent souvent traiter avec des personnes en crise, lors de situations qui peuvent contraindre au recours à la force. La désescalade réussie des situations de conflit par les agent(e)s spéciaux(ales) est une question de sécurité publique et de protection des vies.

 

Règlements proposés

Le premier règlement[3] proposé par le Ministère traite de la nomination et des fonctions des agent(e)s spéciaux(ales), ainsi que des questions relatives aux employeur(e)s des agent(e)s spéciaux(ales). Il indique la manière dont les agent(e)s spéciaux(ales) sont nommé(e)s, qui peut les employer, et désigne différentes classifications pour ce rôle. Selon la classification, le règlement proposé accorde certains pouvoirs, dont l’utilisation d’armes. Il permettrait généralement à tous les types d’agent(e)s spéciaux(ales) de porter un aérosol/une mousse OC et une matraque, et dans certains cas, une arme à feu et un pistolet à impulsion électrique. Le règlement n’impose aucunement aux agent(e)s spéciaux(ales) de tenter des techniques de désescalade avant d’utiliser les armes mentionnées.

Le deuxième règlement proposé[4] traite de la conduite des agent(e)s spéciaux(ales), et plus particulièrement du respect des obligations légales, des droits de la personne, de l’intégrité, de l’interaction avec le public et de l’exercice des fonctions. Bien que le règlement proposé traite des circonstances dans lesquelles le recours à la force est autorisé, il n’exige aucunement que les agent(e)s spéciaux(ales) tentent des techniques de désescalade avant de recourir à la force.

Le troisième règlement proposé[5] concerne les plaintes au sujet des agent(e)s spéciaux(ales). Il prévoit que ces plaintes peuvent être adressées à l’employeur(e) ou au(à la) chef(fe) de l’organisme de police qui a nommé l’agent(e) spécial(e). Les organismes qui emploient des agent(e)s spéciaux(ales) seraient tenus d’établir un processus de plainte et d’enquête pour examiner de tels problèmes, sous réserve de certaines exigences de procédure. Dans la plupart des cas, le règlement ne permettrait pas au public de se plaindre des agent(e)s spéciaux(ales) auprès d’un organisme de surveillance indépendant, comme l’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre (APFO) nouvellement créée[6].

Enfin, le quatrième règlement proposé[7] porte sur certaines exigences relatives aux uniformes des agent(e)s spéciaux(ales).

Je suis encouragé par la volonté qu’a le Ministère d’élaborer un cadre réglementaire cohérent qui normaliserait de nombreux aspects du travail des agent(e)s spéciaux(ales) dans toute la province. Cependant, je suis alarmé de l’absence de toute obligation de tenter de recourir à la désescalade avant d’utiliser la force. Je suis également préoccupé du fait que les règlements ne désignent pas d’organisme de surveillance indépendant chargé d’examiner toutes les plaintes sur les agent(e)s spéciaux(ales).

 

Établir une norme d’ensemble sur le recours à la force

J’ai demandé à plusieurs reprises au Ministère d’élaborer un règlement qui stipulerait expressément que les policiers(ères) doivent tenter la désescalade avant de recourir à des options plus violentes. Vu le rôle des agent(e)s spéciaux(ales), cet appel à l’action s’applique également à leur travail. Je continue de croire qu’un tel règlement est nécessaire étant donné le manque de formation et d’orientation normalisées sur la façon dont les agent(e)s de la paix interagissent avec les personnes en crise.

Malheureusement, le Ministère a informé mon Bureau qu’il n’avait nulle intention d’élaborer un règlement traitant expressément de la désescalade. Certes, je suis déçu par cette décision du Ministère, mais je crois que toute révision ou élaboration d’un règlement sur l’usage de la force par les agent(e)s de la paix est une occasion pour le Ministère d’aborder et de reconsidérer cette lacune flagrante de réglementation.

Les agent(e)s spéciaux(ales) jouent un rôle crucial dans la protection des gens et la prévention des crimes. À certains moments, ces fonctions exigent que les agent(e)s spéciaux(ales) utilisent une force raisonnable, et la réglementation leur donne le pouvoir de le faire, le cas échéant. Je ne m’inquiète pas de la capacité des agent(e)s spéciaux(ales) à utiliser la force, mais plutôt du fait qu’il existe peu de directives sur la manière dont ils(elles) peuvent le faire, et quand.

Les règlements proposés permettent aux agent(e)s spéciaux(ales) d’utiliser la force et certaines armes, mais rien n’exige que la force ne soit utilisée qu’en dernier recours, quand la désescalade a échoué. Le Ministère a le pouvoir et l’obligation morale de donner des directives et des conseils à tous(toutes) les agent(e)s de la paix, y compris aux agent(e)s spéciaux(ales), qui peuvent se trouver en présence de personnes en situation de crise. Il devrait fournir des conseils précis sur les techniques de désescalade et sur leur utilisation, et exiger que ces techniques soient envisagées avant tout recours à la force.

 
Proposition 1

Je préconise instamment au Ministère de traiter la question de la désescalade dans les règlements sur les agent(e)s spéciaux(ales), et d’établir une norme claire et cohérente dans tout l’Ontario sur le recours aux techniques de désescalade par les agent(e)s spéciaux(ales). Il devrait y avoir une obligation réglementaire d’utiliser les techniques de communication et de désescalade avant le recours à la force, lorsque les considérations tactiques et de sécurité du public le permettent.



 

En ce qui concerne la formation des agent(e)s spéciaux(ales), la Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers reconnaît expressément l’importance de la désescalade. L’alinéa 92 (1) f) de la Loi stipule que la réussite de la formation prescrite par le(la) ministre, incluant les techniques de désescalade des situations, est une condition préalable à la nomination d’un(e) agent(e) spécial(e). La formation des agent(e)s spéciaux(ales) aux pratiques, normes et techniques est essentielle pour prévenir le recours inapproprié ou prématuré à la force. Bien que le Ministère ait confirmé qu’il travaille à un règlement pour répondre aux exigences de formation en vertu de la Loi, ce règlement n’a pas été publié pour consultation, et l’on ignore s’il traitera des techniques de désescalade et des exigences de formation spécifiques pour les agent(e)s spéciaux(ales). J’encourage le Ministère à envisager attentivement et à traiter expressément les exigences en matière de formation à la désescalade pour les agent(e)s spéciaux(ales) dans le cadre de toute proposition de règlement sur la formation.

 
Proposition 2

Le Ministère devrait prescrire une formation spécifique, incluant des techniques de désescalade des situations, en vertu de l’alinéa 92 (1) f) de la Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers.



 

Plaintes sur les agent(e)s spéciaux(ales)

Les nouvelles propositions de règlements exigeraient de tous(toutes) les employeur(e)s d’agent(e)s spéciaux(ales) qu’ils(elles) mettent en place des procédures claires et cohérentes de traitement des plaintes du public. Je salue cette nouvelle exigence, car il existe actuellement de grandes différences entre les processus de plainte des différent(e)s employeur(e)s, et certain(e)s ne mettent en avant l’existence d’aucun processus de plainte.

Toutefois, je m’inquiète que le règlement ne prévoie aucun mécanisme de surveillance indépendant pour la plupart des agent(e)s spéciaux(ales). C’est un pas dans la mauvaise direction. Actuellement, la Commission civile de l’Ontario sur la police peut s’informer, enquêter et faire rapport sur la conduite ou l’exercice des fonctions d’un(e) agent(e) spécial(e). Elle peut le faire de sa propre initiative (parfois après avoir reçu une plainte du public), à la demande du Solliciteur général, du Directeur indépendant de l’examen de la police, d’un conseil municipal ou d’une commission des services policiers.

Une fois que la Loi de 2019 sur la refonte complète des services de police de l’Ontario entrera en vigueur et que la Commission sera dissoute, il n’y aura aucun mécanisme pour examiner de façon indépendante la plupart des plaintes sur les agent(e)s spéciaux(ales). L’Unité des enquêtes spéciales et l’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre nouvellement créée ne pourront accepter que les plaintes concernant les agent(e)s spéciaux(ales) de la Niagara Parks Commission, mais pas les agent(e)s spéciaux(ales) employé(e)s par d’autres organismes.

Un mécanisme indépendant et impartial de surveillance améliore le système de plaintes au sujet des agent(e)s spéciaux(ales). Certes, je ne doute pas que de nombreuses plaintes puissent être résolues par les employeur(e)s des agent(e)s spéciaux(ales), mais un mécanisme indépendant de surveillance est essentiel pour renforcer la confiance du public envers le système de plaintes et pour promouvoir la responsabilisation de tous(toutes) les agent(e)s spéciaux(ales) partout en Ontario.

Le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) est un organisme civil indépendant de surveillance qui a pour mandat de recevoir, gérer et superviser toutes les plaintes du public concernant la police en Ontario. Quand la Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers entrera en vigueur, le BDIEP sera dissous et son rôle de surveillance de la police sera transféré à la nouvelle Agence des plaintes contre les forces de l’ordre (APFO). L’APFO sera habilitée à examiner les plaintes du public concernant, entre autres, la conduite des policiers(ères) et des agent(e)s spéciaux(ales) de la Niagara Parks Commission. Ce mécanisme de surveillance existant pourrait être élargi pour inclure les plaintes sur d’autres agent(e)s de la paix, y compris tous(toutes) les agent(e)s spéciaux(ales). Ce faisant, le Ministère comblerait la lacune résultant de la dissolution de la Commission civile de l’Ontario sur la police.

Étant donné l’importance d’une surveillance indépendante, j’encourage le Ministère à veiller à ce que le public puisse faire part de ses préoccupations concernant les agent(e)s spéciaux(ales) à un bureau indépendant et impartial de surveillance, comme le BDIEP, qui sera bientôt connu sous le nom de l’APFO. Les agent(e)s spéciaux(ales) sont des agent(e)s de première ligne qui disposent de pouvoirs discrétionnaires considérables pour s’acquitter d’importantes fonctions de sécurité publique, et je crains que l’absence d’un mécanisme indépendant de surveillance ne compromette la confiance du public en ce qui concerne le règlement équitable et impartial des plaintes.

 
Proposition 3

Le Ministère devrait prévoir un mécanisme indépendant de surveillance, comme l’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre, pour les plaintes sur tous(toutes) les agent(e)s spéciaux(ales). Cette surveillance renforcerait la responsabilisation des agent(e)s spéciaux(ales) et la confiance du public à leur égard, et comblerait la lacune laissée par la dissolution de la Commission civile de l’Ontario sur la police.



 

Conclusion

Je félicite le Ministère d’avoir élaboré un cadre réglementaire pour les agent(e)s spéciaux(ales). Cependant, j’ai cerné plusieurs lacunes dans ce mémoire en espérant qu’elles seront rectifiées par le Ministère, et j’ai fait des propositions pour aider le Ministère en ce sens. Je profite également de cette occasion pour redire que j’espère que le Ministère réexaminera son absence de progrès concernant sa stratégie sur l’usage de la force et la désescalade plus généralement. Mon personnel se fera un plaisir de fournir de plus amples renseignements et de répondre aux questions concernant toute proposition ici faite.


__________________________
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario



[1] Ombudsman de l’Ontario, « Une question de vie ou de mort; Enquête sur les directives données par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aux services de police de l’Ontario sur la désescalade des situations conflictuelles » (juin 2016), en ligne.
[2] Ombudsman de l’Ontario, « Rapport annuel 2021-2022 » (août 2022) p. 19, en ligne.
[3] Questions relatives à la nomination et aux fonctions des agents spéciaux et à l’autorisation d’emploi d’agents spéciaux (22-SOLGEN021).
[4] Code de conduite des agents spéciaux (22-SOLGEN011).
[5] Plaintes concernant les agents spéciaux (22-SOLGEN019).
[6] Le règlement proposé exclurait les agent(e)s spéciaux(ales) employé(e)s par la Niagara Parks Commission. Les plaintes concernant les agent(e)s spéciaux(ales) de cette Commission suivraient le processus prévu à la Partie X de la Loi de 2019 sur la sécurité communautaire et les services policiers.
[7] Uniformes des agents spéciaux (22-SOLGEN023).