Enquête visant à déterminer si des membres du Conseil du Canton de Leeds et des Mille-Îles ont tenu indûment des réunions à huis clos le 16 novembre 2012 et le 19 février 2013
André Marin
Ombudsman de l’Ontario
novembre 2013
Plainte
1 Notre Bureau a reçu des plaintes alléguant que certains membres du Conseil du Canton de Leeds et des Mille-Îles avaient tenu deux réunions illégales à huis clos.
2 La première plainte portait sur une rencontre informelle entre le maire, l’adjointe au maire et trois conseillers l’après-midi du 16 novembre 2012, dans une arrière-salle du bureau municipal à Lansdowne. Le groupe s’était retrouvé ce jour-là pour décorer une remorque à la caserne des pompiers située tout près de là, pour en faire un char des défilés du père Noël qui auraient bientôt lieu dans la région.
3 La seconde avait trait à une réunion à huis clos du Comité du personnel du Conseil le 19 février 2013, qui n’avait été précédée d’aucun avis public.
Compétence de l’Ombudsman
4 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités (la Loi), les municipalités sont tenues d'adopter des règlements municipaux qui définissent les règles de procédure des réunions. La Loi stipule qu'elles doivent aviser le public de ces réunions et que toutes les réunions doivent être publiques, sauf si elles relèvent d'exceptions prescrites.
5 Depuis le 1er janvier 2008, des modifications à la Loi accordent aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité a dûment fermé une réunion au public. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur ou recourir aux services de l'Ombudsman de l'Ontario. La Loi désigne l'Ombudsman en tant qu'enquêteur par défaut dans les municipalités qui n'ont pas nommé leur propre enquêteur.
6 L’Ombudsman de l’Ontario est l’enquêteur par défaut sur les réunions à huis clos du Canton de Leeds et des Mille-Îles.
7 Lorsqu'il enquête sur les plaintes à propos de réunions à huis clos, mon Bureau détermine si les exigences de la Loi relatives aux réunions publiques et les règlements municipaux de procédure pertinents ont été dûment respectés.
Processus d’enquête
8 Le 20 février 2013, mon Bureau a avisé le Canton que nous ferions une enquête visant à déterminer si des membres du Conseil s’étaient indûment réunis à huis clos le 16 novembre 2012.
9 Tout d’abord, mes enquêteurs ont fait des entrevues au téléphone avec des membres du Conseil et du personnel du Canton. En raison de contradictions dans les renseignements qui nous ont été fournis, nous avons demandé des preuves documentaires supplémentaires, dont des courriels au sujet de cette rencontre, le 25 avril 2013. Ces documents nous sont parvenus en mai 2013.
10 Au cours de notre enquête sur la rencontre du 16 novembre 2012, nous avons reçu une seconde plainte sur la réunion tenue le 19 février 2013 par le Comité du personnel du Canton. Nous avons joint l’enquête sur cette plainte à celle qui était en cours, car les deux plaintes portaient sur des réunions au sujet de la rémunération des cadres supérieurs.
11 De plus, nous avons fait des entrevues en personne en août 2013.
12 Le Conseil et le personnel du Canton ont coopéré pleinement à cette enquête.
Rapport préliminaire
13 Conformément à nos procédures, tous les membres du Conseil du Canton – y compris ceux qui n’étaient pas présents à la rencontre du 16 novembre 2012 ou à la réunion du Comité du personnel le 19 février 2013 – ont eu la possibilité d’examiner une ébauche de ce rapport, comprenant nos constatations et notre analyse préliminaires d’enquête et de nous faire des commentaires avant la finalisation de ce document. Nous leur avons proposé de leur remettre une copie de notre rapport préliminaire, pour qu’ils puissent l’étudier, sous réserve qu’ils signent un engagement de confidentialité conformément aux exigences de la Loi sur l’ombudsman.
14 Nous avons reçu cinq engagements de non-divulgation du Canton, du 11 au 21 octobre 2013, et nous avons envoyé des exemplaires de notre rapport en conséquence.
15 Après avoir reçu ce rapport préliminaire, les membres du Conseil ont décidé de retenir les services d’un cabinet d’avocats pour les aider dans leur examen de ce rapport et dans la préparation de leur réponse à mon Bureau. À la demande du Conseil et de ses avocats, nous avons prolongé le délai de réponse du 18 octobre au 12 novembre 2013.
16 Le 12 novembre 2013, nous avons reçu la réponse des avocats qui représentaient la municipalité. Une copie de cette réponse est jointe en annexe à ce rapport. J’en ai tenu compte pour finaliser mon rapport.
Enquête précédente
17 Ce n’est pas la première fois que mon Bureau se penche sur une allégation de violation des exigences sur les réunions publiques de la Loi sur les municipalités par le Canton. En avril 2012, j’avais conclu qu’il y avait eu une réunion à huis clos illégale le 23 janvier 2012, durant laquelle les membres du Conseil avaient voté en faveur d’une augmentation de leur salaire se situant apparemment à 60 %. Nous avons alors incité le Canton à adopter plusieurs pratiques exemplaires pour garantir le respect de la loi à l’avenir. Le 13 mai 2013, le Canton a adopté un nouveau Règlement de procédure. Les deux réunions qui font l’objet de cette enquête ont eu lieu à l’époque où l’ancien Règlement de procédure était encore en vigueur.
Règlement de procédure du Canton
18 L’ancien Règlement de procédure du Canton (Règlement no 11-056) ne traite pas des comités. Le nouveau Règlement, qui comprend des procédures renforcées d’avis au public, a rectifié cette omission.
Quand une réunion constitue-t-elle une « réunion » ?
Interprétation de la loi
19 Le terme de « réunion » est ainsi défini à l’article 238 de la Loi sur les municipalités : « réunion ordinaire, extraordinaire ou autre d’un conseil municipal ou d’un conseil local, ou d’un comité de l’un ou de l’autre ». Le Règlement de procédure du Canton comprend une définition similaire. Mais ni l’un ni l’autre ne donne des directives claires sur ce qui constitue une « réunion » assujettie aux exigences sur les réunions publiques.
20 Comprenant que cette question méritait d’être clarifiée, j’en suis arrivé à une approche plus pratique dans mon rapport d’enquête de 2008 sur une réunion à huis clos du Conseil de la Ville du Grand Sudbury (au sujet de la vente des billets pour un concert d’Elton John). Après une étude de la jurisprudence pertinente et des principes d’ouverture, de transparence et de responsabilisation[1], j’ai établi la définition pratique suivante :
Pour constituer une réunion assujettie à la Loi sur les municipalités :
Les membres du Conseil (ou d’un comité) doivent se rassembler en vue d’exercer le pouvoir ou l’autorité du Conseil (ou du comité), ou dans le but de faire le travail préparatoire nécessaire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.[2]
21 Cette définition concorde avec les principales interprétations du concept de réunion publique, visant à garantir le maintien d’un processus décisionnel municipal démocratique à la fois transparent et ouvert, sans priver le public de son droit démocratique à observer le gouvernement municipal dans son travail[3].
22 Dans leur réponse à mon rapport préliminaire, les avocats qui représentaient la municipalité ont déclaré que ma définition pratique de « réunion » ne cadrait pas avec les décisions des tribunaux de l’Ontario. Ils ont pris pour position que, pour constituer une réunion, la question examinée devait faire avancer « de façon importante » la prise de décision. Ils ont déclaré que je devrais appliquer la norme d’un avancement important pour déterminer si une réunion des conseillers a eu lieu dans la salle des réunions à huis clos du Canton le 16 novembre 2012.
23 Pour mon Rapport d’enquête de 2008 sur la Ville du Grand Sudbury, j’ai étudié en profondeur la jurisprudence pertinente, dont l’approche a varié sur cette question. Comme je l’ai dit dans ce rapport :
En résumé, il est clair que chacune de ces approches – « arriver à une décision », « faire progresser substantiellement les choses », et évaluer si les protagonistes se sont rassemblés pour travailler en vue de régler définitivement une question qui fait appel à l’exercice de leur pouvoir – résultent d’un examen fondé sur le but visé par les textes de loi. Ce sont là des exemples d’organismes démocratiques engagés dans différentes étapes de l’exercice de pouvoirs à propos desquels les électeurs ont légitimement le droit de vouloir faire des commentaires, et où l’apparence de l’intégrité dans l’exercice du pouvoir politique peut être mise en jeu. Les deux premières approches sont sous-inclusives, car les principes peuvent intervenir même sans décisions ou sans délibérations productives. Je me suis donc inspiré de ces causes car elles sont censées appuyer une approche fondée sur des principes, aussi imparfaitement soit-il, mais j’ai redéfini leurs normes en examinant une question d’envergure plus large, à savoir si les participants se sont rassemblés dans le but d’exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou d’un comité, ou dans le but de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité.[4]
L’approche que j’ai adoptée reflète les principes de transparence, d’ouverture et de responsabilisation qui sous-tendent les exigences sur les réunions publiques.
Rencontres à caractère social
24 La Loi de 2001 sur les municipalités n’interdit absolument pas aux membres du Conseil de se retrouver officieusement en dehors de la salle de réunion du Conseil. Par exemple, il n’était pas illégal pour les membres du Conseil de se porter volontaires pour décorer le char de Noël ensemble. Les rencontres à caractère purement social ne font pas l’objet des exigences sur les réunions publiques, même si le quorum du Conseil est présent. Le danger de tels événements, en général, est que la conversation dérive vers des sujets à éviter légalement. Les membres du Conseil doivent faire preuve de vigilance pour ne pas franchir la limite et profiter de rencontres sociales afin de tenir des réunions d’affaires.
25 Il serait irréaliste de demander aux membres du Conseil de ne jamais se parler en dehors d’une réunion publique. Toutefois, comme je l’ai conclu récemment dans mon rapport d’enquête sur une rencontre lors d’un dîner entre un groupe de membres du Conseil de la Ville de London :
Le cœur de la démocratie se trouve menacé quand le quorum d’un conseil ou d’un comité permanent se réunit illégalement en dehors de la salle de réunion du conseil, sans pouvoir être observé ou entendu du public. Le problème devient particulièrement grave quand de telles réunions prennent un caractère secret, dans un lieu isolé, surtout à la veille de votes importants ou controversés du conseil.
Quand les membres d’un conseil se rencontrent officieusement, le danger qu’ils obtiennent de manière intentionnelle ou autre des renseignements et tiennent des discussions leur permettant de faire un travail préparatoire à l’exercice de leur pouvoir ou de leur autorité augmente. Ce type de conduite devrait être évité car il va à l’encontre des dispositions sur les réunions publiques de la Loi sur les municipalités.[5]
26 Cette rencontre du 16 novembre 2012 était problématique car elle n’était pas seulement une activité à caractère social. Comme l’explique la partie suivante de ce rapport, les membres du Conseil alors présents ne se sont pas contentés de préparer un char pour le défilé de Noël, à la caserne des pompiers, mais un quorum du Conseil s’est réuni en privé dans la salle des réunions à huis clos, dans le but exprès de parler d’une question controversée concernant la municipalité.
Rencontre du 16 novembre 2012
Les participants
27 Le Conseil compte sept membres, incluant le maire et l’adjointe au maire.
28 Les récits des témoins présentent des contradictions, mais il est clair que la majorité du Conseil s’est réuni le 16 novembre 2012. Étaient présents : le maire Frank Kinsella, l’adjointe au maire Heidi Conarroe et les conseillers Geraldine Dickson, Harold Emmons et Wendy Merkley.
Lancer une idée en l’air
29 Les personnes présentes à cette rencontre du 16 novembre ont toutes témoigné qu’elles s’étaient rencontrées pour décorer un char pour les futurs défilés de Noël, à la caserne des pompiers. À l’exception d’une seule, toutes ont reconnu qu’à un certain moment – avant de commencer la décoration, ou durant une pause – elles s’étaient réunies dans une salle de réunion à l’arrière de la salle du Conseil. Cette salle sert généralement aux séances à huis clos et elle est d’ailleurs connue sous le nom de salle des réunions à huis clos.
Figure 1 : Salle de réunion à l’arrière de la salle du Conseil du Canton, connue sous le nom de salle des réunions à huis clos.
30 Cette rencontre n’était pas une réunion officielle du Conseil. Il n’y a pas eu d’avis au public, pas d’ordre du jour, et aucun membre du personnel n’était présent. La porte de la salle des réunions à huis clos est restée ouverte, mais de toute évidence l’objectif des participants était de se réunir en privé.
31 Les preuves confirment que cette rencontre avait été planifiée d’avance. Cependant, les participants ont fait des récits différents des discussions. L’estimation de la durée de la réunion a varié grandement elle aussi, allant de quelques minutes à une demi-heure.
L’invitation à décorer un char de Noël
32 La conseillère Merkley a expliqué tout d’abord qu’elle avait été chargée de coordonner la décoration du char de Noël. Elle avait envoyé un courriel aux membres du Conseil à ce sujet, le 8 novembre 2012. Dans ce courriel, elle avait précisé qu’au moins quatre membres du Conseil se rencontreraient cet après-midi du vendredi 16 novembre 2012, pour la décoration. Mais la rencontre a vite tourné vers l’inclusion d’un second objectif.
L’invitation à une réunion sur le salaire des cadres supérieurs
33 L’adjointe au maire nous a fait savoir que, quelque temps après avoir reçu le courriel de la conseillère Merkley, le maire lui avait demandé d’envoyer un autre courriel aux conseillers leur demandant d’être sur les lieux une heure plus tôt, à 14 h, le 16 novembre 2012 pour parler de questions de salaires du personnel.
34 Le système de rémunération salariale des cadres supérieurs faisait l’objet d’une controverse depuis un certain temps déjà au Canton et il avait été inscrit plusieurs fois à l’ordre du jour de réunions du Conseil. En janvier 2012, le Canton avait engagé un consultant pour procéder à un examen et faire des recommandations à ce sujet. En mai, le Conseil avait rejeté ce rapport et avait formé un Comité d’examen de la rémunération, chargé d’étudier les salaires et les avantages sociaux du personnel. En octobre 2012, le maire avait été désigné pour combler un poste vacant au bureau de la mairie, en raison d’une maladie du titulaire. Ce même mois, le Comité d’examen de la rémunération avait fait une présentation au Conseil et le maire avait demandé au personnel de soumettre un rapport et des recommandations au Conseil le 13 novembre.
35 Le 13 novembre 2012, l’administratrice en chef a présenté un rapport au Conseil sur un Plan de rémunération des cadres, qui a été déposé. Le lendemain, l’adjointe au maire a envoyé le courriel ci-dessous à tous les membres du Conseil :
Bonsoir à tout le Conseil,
À la suite de ma conversation avec le maire Kinsella aujourd’hui, auriez-vous tous l’amabilité de vous réunir à 14 h vendredi, pour une durée d’une heure, afin de régler les questions de salaires avant de décorer le char?
36 L’adjointe au maire a reçu deux réponses à son courriel, qu’elle a transmises à tout le groupe.
37 La première venait de la conseillère Dickson :
Bonjour tout le monde – se réunir à 14 h vendredi pour régler des questions et décorer le char est une excellente idée – donc à bientôt.
38 La seconde provenait de la conseillère Merkley :
Je pensais justement à ça ce soir, et je me demandais quand nous – le « Conseil » – allions parler des salaires, mais qu’est-ce qu’on fait : un quorum indique qu’il y a réunion du Conseil, et ça veut dire 24 heures d’avis au public?
39 Le maire s’est souvenu d’avoir dit à son adjointe qu’il avait des chiffres et des documents qu’il voulait partager avec le Conseil, à propos des salaires, mais pas de lui avoir demandé d’aviser les autres membres du Conseil. Il nous a expliqué que la séance de décoration du char présentait l’occasion de distribuer de l’information, qui serait étudiée – à sa connaissance – par le Conseil lors de sa prochaine réunion ordinaire lundi 26 novembre 2012. Il a ajouté qu’après avoir reçu le courriel de son adjointe, il avait reconsidéré la rencontre du Conseil pour discuter des salaires, mais il n’avait communiqué à personne ce changement d’idée.
Les enveloppes
40 Tous les membres du Conseil présents le 16 novembre ont expliqué que le maire leur avait remis des enveloppes contenant six pages d’information sur la rémunération du personnel, y compris les grilles de salaires du personnel de 2008 à 2012, les recommandations du Comité d’examen de la rémunération, un résumé de notes provenant de ce Comité, du bureau du directeur général et du maire. Ces renseignements ont été transmis par la suite aux deux membres du Conseil qui étaient absents. Les renseignements contenus dans l’enveloppe pouvaient être examinés à huis clos normalement en vertu des exceptions des « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée » ou des « relations de travail ou négociations avec les employés », énoncées aux alinéas 239 (2) b) et d) de la Loi sur les municipalités.
41 Le maire a inclus la note suivante à la documentation qu’il a distribuée :
TRADUCTION :
Directives au Conseil / Chaque conseiller étudiera la documentation remise le 16 novembre 2012 / Décisions à prendre par les conseillers : 1) Devons-nous payer les cadres supérieurs en fonction a) des différentiels de postes b) des évaluations de postes; 2) Voulons-nous une seule grille de salaires pour les cadres supérieurs de l’administration / Documents distribués : Confidentiel. 1) Salaires de 2008 à 2012. 2) Recommandations du Comité de la rémunération. 3) Annexe « A » telle que soumise par l’AC. 4) Fiche récapitulative plus notes du Com. de la rémunération, le PDG & le maire.
42 La secrétaire du Canton a dit à nos enquêteurs qu’elle n’avait pas assisté à la rencontre. Mais elle s’est souvenue que le maire lui avait parlé au téléphone ce jour-là et lui avait dit que des membres du Conseil se rencontreraient avant de décorer le char de Noël pour « discuter d’une ou deux choses ». La secrétaire a dit qu’elle avait mis le maire en garde car s’il y avait un « quorum » (majorité du Conseil, légalement doté du pouvoir de gérer les affaires), le personnel du Canton devrait y assister. Selon son témoignage, le maire avait répondu qu’il n’y aurait pas de quorum et qu’il comptait simplement distribuer des documents. Vers 14 h, le maire lui avait demandé de faire sept copies de plusieurs documents. La secrétaire nous a informés qu’elle avait fait ces copies et qu’elle les avait apportées (pas dans des enveloppes) dans la salle des réunions à huis clos, où se trouvaient le maire et quatre autres membres du Conseil.
43 La secrétaire nous a expliqué que les documents qu’elle avait photocopiés pour le maire ne faisaient partie d’aucun ordre du jour existant pour une future réunion du Canton. Elle a fait remarquer que, normalement, tous les documents à distribuer au Conseil lui sont remis à elle, car c’est elle qui prépare un dossier, à inclure à l’ordre du jour de la réunion identifiant les points connexes à ces documents.
Que s’est-il passé dans la salle des réunions à huis clos ?
44 Dans ses entrevues avec notre Bureau, le maire nous a fait savoir qu’à un moment de la séance de décoration du char de Noël, à la caserne des pompiers, le groupe était passé dans la salle des réunions à huis clos qui se trouvait à côté, pour faire une pause et prendre des rafraîchissements. Il a expliqué qu’une fois le groupe réuni dans cette salle, il avait distribué les enveloppes en disant bien à tous ceux présents qu’il ne devait pas y avoir de discussion. Il nous a déclaré qu’il avait aussi répété cette mise en garde quand certains participants avaient voulu poser des questions. Voici un extrait de son témoignage :
Je leur ai tout simplement donné ça, en leur disant « on ne va pas en discuter », mettez ça dans votre voiture; parce que je ne voulais pas que ce soit considéré comme une réunion. C’était tout simplement – pour distribuer des documents. Alors j’ai dit : « voilà le problème qu’on a, on a deux types de grilles. On a deux systèmes différents. Les points à bien considérer sont le placement sur les grilles, et les grilles de salaires. Mais c’est à faire après avoir ouvert [les enveloppes]. Bonne chance et bonne lecture. »
45 Le maire a insisté que la rencontre du 16 novembre 2012 ne constituait pas une réunion. Il a dit que la décoration du char de Noël était une activité bénévole et qu’il n’y avait pas de moyen de prévoir qui viendrait à 14 h un jour ouvrable. Il a souligné que la porte de la salle des réunions à huis clos était restée ouverte en tout temps, et il a ajouté :
… Pour que ce soit une réunion légitime du Conseil, il faut que la secrétaire soit présente, et en l’absence de la secrétaire pour garder un compte rendu officiel, techniquement, il n’y a pas de réunion du Conseil… or la secrétaire n’était pas présente.
46 D’après les estimations du maire, la décoration du char et la séance dans la salle des réunions à huis clos ont duré environ deux heures.
47 D’après l’adjointe au maire, le groupe des cinq membres du Conseil s’est réuni dans la salle des réunions à huis clos avant de décorer le char. Elle a déclaré qu’une fois rassemblés, le maire leur avait remis des enveloppes, en avait lu le contenu, avait fait un historique de la rémunération du personnel et en avait souligné les incohérences. D’après elle, personne n’a fait de commentaires sur les renseignements au sujet des salaires, et le maire à rappelé à un membre du Conseil qui lui avait posé une question sur le contenu des enveloppes qu’ils n’étaient pas en train de tenir une réunion sur cette question. L’adjointe au maire s’est aussi souvenue que le maire avait mentionné que la porte de la pièce devait rester ouverte, car ils ne tenaient pas de réunion à huis clos du Conseil. D’après l’adjointe au maire, cette rencontre n’a aucunement fait avancer les affaires du Conseil, étant donné que les personnes présentes n’avaient délibérément pris aucune décision. Selon ses souvenirs, la rencontre dans la salle des réunions à huis clos avait duré environ une demi-heure.
48 La conseillère Dickson s’est souvenue que le groupe s’était tout d’abord rencontré dans la salle des réunions à huis clos, avant de passer à la décoration du char. D’après elle, après avoir distribué les enveloppes, le maire avait dit aux personnes alors présentes de ne pas les ouvrir, mais de les emporter à la maison, car elles étaient distribuées en vue d’une discussion lors d’une prochaine réunion. Elle a estimé que la rencontre avait duré une demi-heure.
49 Le conseiller Emmons ne s’est pas souvenu d’être entré dans la salle des réunions à huis clos. Il a dit que le maire lui avait remis une enveloppe avec des renseignements sur les salaires du personnel pendant que le groupe décorait le char de Noël, à la caserne des pompiers, et qu’il n’y avait pas eu la moindre discussion à ce sujet. Pourtant, d’après tous les autres participants, le conseiller Emmons se trouvait dans la salle des réunions à huis clos quand les enveloppes ont été distribuées.
50 La conseillère Merkley nous a raconté que le groupe s’était tout d’abord réuni dans la salle des réunions à huis clos, où le maire avait distribué des enveloppes, puis le groupe était allé à la caserne des pompiers pour décorer le char. Selon ses souvenirs, pendant qu’ils étaient dans cette salle, le maire avait répondu à une question d’un conseiller, mais il avait dit qu’il n’y aurait pas de discussion sur les salaires du personnel. Elle a insisté que le groupe n’avait pas discuté de cette question et qu’ils n’avaient passé que quelques minutes dans la salle des réunions à huis clos.
Retour de la question de la rémunération à l’ordre du jour
51 La question des salaires des cadres supérieurs a été examinée à la réunion ordinaire suivante du Conseil le 26 novembre 2012, durant l’une des deux séances à huis clos tenues ce jour-là. Elle a été abordée en vertu de l’exception qui permet de discuter à huis clos de « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, y compris des employés de la municipalité ». Le procès-verbal de la réunion ne donne aucun détail des discussions – ce qui peut s’expliquer du fait que cette séance était irrégulière. D’après certains membres du personnel, la secrétaire du Canton était en vacances ce jour-là et les membres du Conseil ont demandé au personnel de quitter la salle puis ils se sont réunis en privé, à huis clos.
52 La question des salaires des cadres supérieurs a été inscrite de nouveau à l’ordre du jour d’une réunion du Conseil le 10 décembre 2012, quand le maire a présenté un rapport daté du 28 novembre 2012, sur l’examen de la rémunération des cadres supérieurs. Ce rapport situe le contexte général et indique ceci :
Le Conseil a passé un temps considérable à retracer des chiffres et à faire des calculs pour parvenir enfin à des suggestions de salaires pour les cadres supérieurs, ainsi qu’à une série de directives pour le personnel.
53 En janvier 2013, le maire a formé un Comité du personnel dans le but exprès d’examiner la question des salaires des cadres supérieurs. Le 13 mai 2013, le Conseil a approuvé les recommandations de ce Comité. À notre connaissance, cette question des salaires des cadres supérieurs reste irrésolue.
Analyse : But de se rencontrer
54 Le 14 novembre 2012, quand l’adjointe au maire a envoyé son courriel aux membres du Conseil, l’objectif de la rencontre du 16 novembre avait évolué pour ne plus être seulement une activité sociale mais aussi pour inclure aussi une réunion d’une heure, avant la séance de décoration du char – afin de régler « les questions de salaires ». Dans sa réponse à l’adjointe au maire, la conseillère Merkley a demandé s’il fallait donner un avis de cette réunion car « un quorum indique qu’il y a une réunion du Conseil ». Mais le groupe ne semble pas s’être davantage préoccupé de la pertinence procédurale de se réunir en privé, sans avis au public, sans présence de membres du personnel, pour examiner une question d’affaires du Conseil.
55 La majorité des participants ont expliqué que la réunion avait eu lieu avant le début de la séance de décoration du char. Cette version des faits est appuyée par la secrétaire, qui dit avoir remis les documents au maire dans la salle des réunions à huis clos vers 14 h. Je n’admets pas la preuve avancée par le maire que cette réunion dans le bureau municipal a eu lieu durant une pause de la séance de décoration. Je n’admets pas non plus le récit des faits présentés par le conseiller Emmons disant qu’il n’était pas dans le bureau municipal, car quatre autres membres du Conseil et la secrétaire l’ont contredit sur ce point.
56 Les témoignages ont comporté des contradictions considérables quant aux preuves de ce qui avait été vraiment dit dans la salle des réunions à huis clos et quant à la durée de la réunion du groupe des cinq. Comme l’intention était à l’origine que le groupe se rencontre une heure avant de commencer à décorer le char, je penche pour la preuve donnée par l’adjointe au maire et la conseillère Dickson indiquant que la réunion avait duré une demi-heure, plutôt que de croire qu’elle avait duré seulement quelques minutes comme l’a dit la conseillère Merkley.
57 Le maire a nié avoir discuté la question des salaires et il s’est souvenu que, à la suite d’une question à ce sujet, il avait répondu qu’il n’y aurait pas de discussion. L’adjointe au maire et la conseillère Merkley se sont elles aussi souvenues de cet échange. Cependant, le maire a admis que son intention, lors de la distribution des renseignements sur la rémunération des cadres supérieurs le 16 novembre, était que tout le monde dispose des mêmes renseignements avant toute discussion ultérieure de la question par le Conseil. Les directives données par le maire dans les enveloppes étaient très explicites. Il voulait que les conseillers se demandent comment rémunérer les cadres supérieurs, c’est-à-dire en fonction de différentiels de postes ou d’évaluations de postes, et s’il était pertinent d’utiliser une seule grille de salaires.
58 Le maire a aussi reconnu qu’il avait expliqué au groupe, dans la salle des réunions à huis clos, que le problème venait du fait qu’il existait deux grilles différentes de rémunération des cadres supérieurs, et qu’ils devaient examiner la question du placement sur les grilles et celle des grilles de salaires.
59 Parmi les quatre membres du Conseil qui se sont souvenus d’avoir assisté à la réunion, seule l’adjointe au maire a été en mesure de donner des détails sur les discussions. D’après son témoignage, le maire a lu le contenu des enveloppes et il a parlé de l’historique et des incohérences des salaires du personnel.
60 Je n’admets pas que le maire a simplement fait une tâche administrative de distribution des documents. Si telle avait été son intention, il aurait pu simplement remettre les enveloppes à la caserne des pompiers, ou suivre le protocole pertinent en demandant à la secrétaire de préparer et de distribuer ces enveloppes, avec l’ordre du jour pertinent avant la réunion ordinaire suivante du Conseil. De plus, la simple distribution des documents aurait pris bien moins de temps que les quelque 30 minutes passées par le groupe dans la salle des réunions à huis clos. Le maire a fait plus. Il a décrit les documents, résumé la nature du problème, donné des instructions à ses collègues pour qu’ils se préparent à traiter la question de la rémunération des cadres supérieurs lors d’une réunion du Conseil.
61 Cette question de la rémunération des cadres supérieurs avait été examinée par le Conseil le 13 novembre, soit trois jours avant la rencontre, et elle est de nouveau revenue pour examen le 26 novembre, lors de la réunion ordinaire suivante du Conseil. Les critères suivis pour déterminer si une réunion illégale a eu lieu ne comportent pas forcément une prise de décision par les membres du Conseil, ni une discussion des affaires du Conseil par plusieurs de ses membres. Quand des renseignements sont transmis à propos d’une question à examiner par le Conseil, d’une manière qui influe sur de futures prises de décisions sur la question, la rencontre peut constituer une réunion illégale. Dans ce cas, la distribution de documents sur la rémunération des cadres supérieurs, et le résumé de la question et des instructions fait par le maire, ont permis un travail préparatoire à l’examen de la question des salaires par le Conseil le 16 novembre 2012, d’une manière qui a incontestablement fait progresser la compréhension du Conseil et ses délibérations sur cette question le 26 novembre.
62 Il est clair que l’objectif de la réunion convoquée pour 14 h dans la salle des réunions à huis clos était de faire un travail préparatoire à de futures prises de décisions sur la question de la rémunération des cadres supérieurs. Par conséquent, j’en conclus que la rencontre était une réunion en vertu de la Loi sur les municipalités. Même si la question avait pu être examinée en vertu d’une exception aux règles sur les réunions publiques, le Conseil était tenu de respecter les exigences quant à l’avis à communiquer et les autres points de procédure, avant de se réunir pour examiner la question des salaires des cadres supérieurs.
63 Contrairement à l’opinion exprimée par le maire durant cette enquête, le fait d’avoir laissé ouverte la porte de la salle et de se réunir sans la présence de membres du personnel ne fait pas moins de cette rencontre une réunion à huis clos illégale.
64 Les avocats engagés par la municipalité contestent la caractérisation que j’ai faite des événements du 16 novembre 2012, principalement parce qu’ils ne sont pas d’accord avec la définition du terme « réunion » que j’ai adoptée. Ils maintiennent que la rencontre n’a pas fait avancer de façon importante les travaux du Conseil lors de la rencontre du 16 novembre 2012 et soulèvent les points suivants pour défendre leur position :
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La salle des réunions à huis clos est une salle de conférence, et bien que les huis clos se déroulent dans cette salle, elle est aussi utilisée pour d’autres raisons.
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Laisser ouverte la porte de la salle n’est pas en adéquation avec une intention de se rencontrer en privé.
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Indépendamment du fait que l’adjointe au maire et la conseillère Dickson ont toutes deux utilisé le mot de « réunion » dans leur correspondance par courriel, déterminer si la rencontre constituait ou non une réunion aux fins de la Loi dépend à la fois de son objectif et de sa nature.
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Il ne convient pas de tirer la moindre conclusion des divers souvenirs personnels des participants sur la durée de la rencontre pour déterminer s’il y a eu une « réunion ».
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La réunion a eu pour objectif de distribuer des documents, il n’y a pas eu de discussion, et la rencontre n’a pas fait avancer les travaux du Conseil.
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Le maire, dans son rôle de directeur général, est chargé d’assurer un leadership au Conseil et il a rassemblé les membres du Conseil dans le simple but de leur distribuer d’importants documents, de leur rappeler les questions à examiner, et de tous les encourager à étudier et à considérer sérieusement la question avant la prochaine réunion du Conseil, où la question serait étudiée.
65 Certes, il se peut fort bien que la salle des réunions à huis clos soit utilisée pour d’autres raisons, mais le 16 novembre 2012 elle a clairement servi à tenir une réunion privée de membres du Conseil, planifiée d’avance, sans avis au public. Le fait que la porte est restée ouverte durant cette rencontre est sans importance, étant donné que le public n’avait pas connaissance de cette rencontre.
66 La correspondance échangée par courriel pour organiser cette rencontre faisait mention d’une « réunion » et allouait une heure à l’étude de la question des salaires des cadres supérieurs. De toute évidence, l’intention n’était pas de se rencontrer brièvement, par hasard. En outre, l’adjointe au maire nous a décrit comment, durant cette rencontre, le maire avait lu le contenu des enveloppes et avait parlé de l’historique et des incohérences de cette question de salaires des cadres supérieurs. Son récit était le plus détaillé de tous. Son évaluation de la durée et du déroulement de la réunion était la plus persuasive. Conjugué à d’autres preuves, son récit prête à conclure que la rencontre du 16 novembre 2012 était une réunion, à la fois dans son objectif et dans sa nature.
67 Le maire a délibérément décidé de soulever une question, de faire ressortir les points de discussion à régler, et de distribuer des documents pour faire un travail préparatoire à l’examen de la question des salaires des cadres supérieurs lors d’une future réunion. Cette conduite dépassait de loin la simple distribution administrative de documents.
Conclusion 1
68 Compte tenu de toutes les preuves, j’estime que la réunion qui s’est ouverte à 14 h le 16 novembre 2012, sans avis au public et dans le non-respect des autres exigences de procédure sur les réunions, dans la salle même où le Conseil gère normalement ses affaires à huis clos, était une réunion à huis clos illégale du Conseil.
Réunion à huis clos du 26 novembre 2012
69 Bien que la réunion à huis clos du 26 novembre 2012 n’ait pas fait l’objet d’une plainte à mon Bureau, je considère qu’elle mérite d’être examinée de plus près. Cette réunion a suivi la réunion à huis clos illégale du 16 novembre et le Conseil y a alors poursuivi l’examen de la question des salaires des cadres supérieurs. La remise de documents et de directives par le maire aux membres du Conseil au sujet des salaires des cadres supérieurs, le 16 novembre, a servi de point de départ à une discussion ultérieure le 26 novembre. De plus, les circonstances qui ont entouré cette réunion à huis clos étaient exceptionnelles, étant donné qu’aucun membre du personnel municipal n’était présent.
70 La Loi sur les municipalités exige que le secrétaire ou son délégué consigne un compte rendu de toutes les réunions du Conseil (paragraphes 228, 239 (7), (8)). De toute évidence, le Conseil a enfreint cette exigence quand il a éjecté le personnel de la réunion à huis clos du 26 novembre. De plus, et peut-être en conséquence, le Conseil a omis de faire un compte rendu exact et complet de cette réunion.
71 Les avocats de la municipalité ont contesté mon « enquête » sur la réunion du 26 novembre 2012, en l’absence de plainte. Les preuves relatives à cette réunion avaient une incidence directe sur mon examen de la rencontre du 16 novembre 2012. Ceci faisait partie d’une série d’événements concernant les salaires des cadres supérieurs, et c’était la première réunion où cette question était débattue, après la rencontre du 16 novembre. Examiner la rencontre du 16 novembre dans le vide, sans la placer dans le contexte des réunions ultérieures, rendrait l’examen de mon Bureau à la fois artificiel et incomplet. En outre, bien que la réunion du 26 novembre n’ait pas spécifiquement fait l’objet d’une plainte, chaque fois que mon Bureau découvre des preuves d’un manque de respect de la Loi sur les municipalités et d’un manque de compréhension de ses exigences, il m’appartient d’examiner la question. De toute évidence, il y va des intérêts du public et du Conseil.
Réunion du Comité du personnel le 19 février 2013
72 Le 28 janvier 2013, durant une réunion ordinaire du Conseil, le maire a désigné l’adjointe au maire et les conseillères Merkley et Dickson comme membres inauguraux du Comité du personnel du Conseil. D’après le courriel adressé par l’adjointe au maire au personnel le 10 février 2013, ce Comité avait pour rôle d’examiner les besoins des cadres supérieurs de gestion, plus précisément sur le plan des salaires, et de faire des recommandations au Conseil. Le 18 février 2013, lors d’une réunion spéciale du Conseil, le Comité a aussi été chargé de négocier une tentative d’accord sur la rémunération et la rétention des cadres supérieurs, en vue d’une ratification par le Conseil.
73 Le 10 février 2013, l’adjointe au maire, agissant au nom du Comité du personnel, a envoyé un courriel à quatre membres des cadres supérieurs, avec copie au Conseil, leur demandant de se présenter au Comité le matin du 19 février 2013. Ce courriel leur expliquait que le Comité souhaitait entendre les membres du personnel sur divers sujets, dont leur rôle, les responsabilités et les opportunités supplémentaires d’intérêt pour eux, leur salaire actuel et leur futur salaire proposé. Le Canton n’a pas communiqué d’avis de cette réunion au public. L’adjointe au maire a expliqué que le Règlement de procédure ne s’appliquait pas aux comités – omission qui a depuis été rectifiée.
74 La réunion du 19 février 2013 a commencé dans la salle du Conseil. Les trois membres du Comité étaient présents, ainsi qu’un membre du personnel délégué pour dresser le compte rendu des délibérations. L’ordre du jour de la réunion indiquait que le Comité se retirerait à huis clos pour examiner des « négociations avec les employés ». Au début de la réunion, le Comité a adopté une résolution pour se retirer à huis clos afin de discuter de « relations de travail ou négociations avec les employés ». Puis le Comité a rencontré séparément chacun des trois cadres supérieurs dans la salle des réunions à huis clos, pour discuter un certain nombre de sujets.
75 Le procès-verbal de la réunion est assez détaillé. Il indique que, durant la séance, trois membres du personnel ont été interviewés à propos de leur expérience et de leur opinion sur le système de rémunération, la description de leur poste et leur salaire, et d’autres questions de rémunération des cadres supérieurs. Les membres du personnel ont fait savoir que le procès-verbal reflétait les discussions avec exactitude.
Analyse : Comités et réunions publiques
76 Les comités du Conseil sont tenus de respecter les exigences sur les réunions publiques. La Loi sur les municipalités donne cette définition de « comité » : tout comité ou sous-comité consultatif ou autre, ou une entité similaire, dont au moins 50 pour cent des membres sont également membres d’un ou de plusieurs conseils municipaux ou conseils locaux. Le Comité du personnel, entièrement composé de membres du Conseil, relève clairement de cette définition et il est donc assujetti aux exigences sur les réunions publiques, entre autres à l’obligation de communiquer des avis de ses réunions.
77 Fait troublant, durant notre enquête le maire a exprimé plusieurs idées erronées sur l’application des exigences des réunions publiques aux comités. Le maire croyait en effet que la nécessité de communiquer un avis des réunions et de respecter certaines autres formalités de procédure ne s’appliquait que si un comité était composé d’un quorum des membres du Conseil. Il a expliqué que, pour éviter la présence d’un quorum, lié aux formalités de procédure en question, il n’avait pas assisté aux réunions du Comité du personnel.
78 Les avocats de la municipalité ont reconnu que, quand le Comité du personnel s’était réuni le 19 février 2013, le Règlement de procédure ne comprenait aucune disposition stipulant expressément que des avis des réunions du Comité devaient être communiqués au public, comme l’envisage la Loi sur les municipalités. Depuis, cette situation a été rectifiée. Les avocats affirment aussi que la Loi sur les municipalités ne requiert pas de communiquer des avis des réunions au public, et ils maintiennent qu’on ne peut pas conclure que le Comité du personnel ait violé la Loi. Je considère que c’est là une approche excessivement technique aux règles sur les réunions publiques. Les municipalités sont tenues d’instaurer des règlements de procédure qui prévoient un avis des réunions au public. Si aucun avis d’une réunion n’est communiqué, que ce soit contrairement à un règlement de procédure ou parce que le règlement de procédure lui-même est fondamentalement incorrect, il s’ensuit tout naturellement que la réunion est contraire à la Loi.
Exception 239 (2) d) – Relations de travail ou négociations avec les employés
79 Aucune jurisprudence connue n’interprète l’exception des « relations de travail ou négociations avec les employés » de la Loi sur les municipalités. Dans le contexte des lois ontariennes sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, certains dossiers portant sur « des questions de relations de travail ou de sujets relatifs à l’emploi » ne sont pas accessibles au public. Bien que la loi résultant du système d’accès à l’information ne soit pas contraignante pour mon Bureau dans le cadre d’un examen de la Loi sur les municipalités, les principes appliqués donnent certains repères.
80 La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le sens ordinaire de l’expression « relations de travail » dans la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée s’étendait aux relations et aux conditions de travail autres que les négociations collectives, incluant la rémunération en dehors d’une structure d’emploi traditionnelle[6].
81 Le Bureau du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée a aussi déterminé que deux rapports de consultants sur un plan de rémunération du personnel de gestion ne pouvaient pas être communiqués, en vertu d’une disposition similaire de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée. Le Bureau du commissaire a souligné que, bien que certains renseignements versés aux dossiers soient généraux – par exemple, l’un incluait un examen des pratiques exemplaires et l’autre incluait une étude de programmes de rémunération dans d’autres institutions – ces deux dossiers étaient consacrés à des questions de rémunération du personnel de la ville[7].
82 D’après les preuves, le Comité du personnel a rencontré les trois cadres supérieurs du personnel le 19 février pour obtenir des renseignements supplémentaires et pour connaître leurs opinions, et ceci afin de faciliter son examen de la rémunération des cadres supérieurs. Ce Comité avait pour mandat de faire des recommandations au Conseil sur la question et de négocier une tentative d’accord avec les employés, concernant la rémunération et la rétention des effectifs. La municipalité agissait en tant qu’employeur et traitait directement des modalités d’emploi des cadres supérieurs. Ces discussions portaient sur des questions de rémunération du personnel du Canton. Par conséquent, elles pouvaient se tenir à huis clos en vertu de l’exception des « relations de travail ou négociations avec les employés ».
83 Étant donné que le Comité cherchait à obtenir les opinions personnelles d’employés particuliers, entre autres sur leur situation personnelle d’emploi, l’exception des « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée » (alinéa 239 (2) b)) aurait aussi pu être invoquée pour justifier de se retirer à huis clos.
Conclusion 2
84 Bien que le Comité du personnel ait eu le droit de se retirer à huis clos en vertu de l’exception citée, cette réunion enfreignait les exigences de la Loi sur les municipalités car aucun avis n’avait été communiqué au public.
Recommandations
85 Il est troublant que certains membres du Conseil du Canton de Leeds et des Mille-Îles continuent de ne pas comprendre clairement leurs obligations en vertu des exigences sur les réunions publiques énoncées dans la Loi sur les municipalités. Collectivement et personnellement, les membres du Conseil ont pour devoir de garantir le droit qu’a le public d’observer la démocratie en action, y compris le droit d’obtenir des avis des réunions. Pourtant, comme l’ont montré les deux réunions qui ont fait l’objet de cette enquête, le droit du public quant aux avis de réunions n’a pas été respecté. Certes, le fait que le Canton ait décidé de modifier son Règlement vicié de procédure est pour moi signe d’encouragement, mais d’autres mesures s’avèrent nécessaires pour garantir le respect des exigences de la Loi sur les municipalités, à la fois dans la lettre et dans l’esprit.
86 Outre les problèmes présentés par les deux réunions soumises à notre enquête, le Conseil s’est réuni à huis clos pour examiner cette même question de rémunération des cadres supérieurs le 26 novembre 2012, sans la présence de membres du personnel, et il n’a pas conservé de compte rendu de ce huis clos, contrairement à ce qu’exige la Loi. Quand les comptes rendus de réunions sont problématiques, il n’y a pas de moyen immédiat et indépendant de confirmer que les participants ont uniquement discuté de questions qui relèvent clairement des exceptions aux exigences sur les réunions publiques. Conformément au paragraphe 239 (7) de la Loi sur les municipalités, une municipalité est tenue de consigner, sans remarques, toutes les résolutions, décisions et autres délibérations de ses réunions.
87 Idéalement, tout compte rendu écrit d’une réunion à huis clos devrait inclure les points suivants :
-
lieu de la réunion;
-
moment où la réunion a commencé, a été levée;
-
personne qui a présidé la réunion;
-
personnes présentes à la réunion, avec référence spécifique au secrétaire ou au responsable désigné du compte rendu de la réunion;
-
indication de tout participant parti ou arrivé durant la réunion, avec mention de l’heure de départ ou d’arrivée;
-
description détaillée des questions de fond et de procédure qui ont été examinées, avec référence à tout document spécifique considéré;
-
toute motion, avec référence à la personne qui l’a présentée et à celles qui l’ont appuyée;
-
tous les votes, et toutes les directives données.
88 Dans l’intérêt de la transparence, un certain nombre de municipalités de l’Ontario font des enregistrements sonores de leurs réunions publiques ou en autorisent la diffusion. C’est une méthode judicieuse et raisonnable, car elle contribue à conserver un compte rendu clair, complet et accessible des réunions.
89 Aux États-Unis, plusieurs instances exigent que les réunions municipales à huis clos soient enregistrées électroniquement, ou sur vidéo, et d’autres ont adopté cette pratique pour renforcer la responsabilisation et la transparence de leurs délibérations. Ainsi, en Illinois, l’Open Meetings Act stipule que tous les organismes publics doivent conserver un compte rendu in extenso de toutes leurs réunions à huis clos, sous forme d’enregistrement audio ou vidéo[8]. De même, en Iowa, la loi[9] stipule que des enregistrements sonores doivent être faits de toutes les séances à huis clos, tandis qu’au Nevada les organismes publics doivent faire des enregistrements sonores de leurs réunions publiques et à huis clos, ou faire transcrire les délibérations par un sténographe judiciaire[10].
90 Comme je l’ai fait remarquer dans mon Rapport annuel de 2011-2012 sur les réunions municipales à huis clos, il va de l’intérêt de toutes les municipalités de l’Ontario de faire des enregistrements sonores de leurs réunions publiques et de leurs réunions à huis clos. Cette pratique montre qu’une municipalité est certaine qu’elle suit les règles, et inspire confiance à la communauté quant à la transparence et à la responsabilisation du gouvernement local. De plus, elle permet de faire des économies de temps et de ressources pour tous les intéressés. Quand les enquêteurs sur des réunions à huis clos disposent de comptes rendus clairs et accessibles pour procéder à leur examen, de nombreuses enquêtes prennent beaucoup moins de temps et exigent moins d’entrevues. Les municipalités qui font des enregistrements électroniques de leurs séances à huis clos comprennent la Municipalité de Lambton Shores, la Ville de Midland, les Cantons de Madawaska Valley et Tiny, et la Ville d’Oshawa. J’encourage le Canton de Leeds et des Mille-Îles à envisager d’adopter cette pratique.
Recommandation 1
Le Canton de Leeds et des Mille-Îles devrait adopter une politique écrite ou des directives écrites et veiller à ce que les membres du Conseil et de tout comité soient informés des exigences des réunions publiques énoncées dans la Loi de 2001 sur les municipalités. Ces textes devraient inclure une définition de ce qui constitue une « réunion », préservant le droit qu’a le public d’observer le gouvernement municipal en action, ainsi qu’une explication montrant comment cette définition s’applique aux discussions informelles des affaires du Conseil et des comités.
Recommandation 2
Tous les membres du Conseil du Canton de Leeds et des Mille-Îles devraient éviter de profiter de rencontres à caractère social pour gérer les affaires du Canton à huis clos.
Recommandation 3
Tous les membres du Conseil du Canton de Leeds et des Mille-Îles devraient s’acquitter avec vigilance de leurs obligations individuelles et collectives pour garantir que le Conseil se conforme à ses responsabilités légales en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et de ses propres procédures et règlements.
Recommandation 4
Le Canton de Leeds et des Mille-Îles devrait faire des enregistrements audio ou vidéo de toutes ses réunions à huis clos et conserver ces enregistrements dans un lieu confidentiel et sûr, pour références futures.
Rapport
91 Mon rapport devrait être communiqué au Canton de Leeds et des Mille-Îles et mis à la disposition du public dès que possible, au plus tard lors de la prochaine réunion du Conseil.
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André Marin
Ombudsman de l’Ontario
Annexe
Réponse (PDF accessible - en anglais)
[1] Ombudsman de l’Ontario, Porte ouverte sur le scandale des billets du concert d’Elton John (25 avril 2008), en ligne, paragraphes 42-92.
[2] Ibid., paragraphes 54-60
[3] London (Cité) c. RSJ Holdings Inc., [2007] 2 R.C.S. 588, 2007 CSC 29, paragraphe 32; Southam Inc. v. Ottawa (City) (1991), 5 O.R. (3d) 726 (Ont. Div. Ct.), paragraphes 12-18; Southam Inc. v. Hamilton-Wentworth Economic Development Committee (1988), 66 O.R. (2d) 213 (Ont. C.A.), paragraphes 9-12; Jason Reynar, Transparent Municipal Governance: When Must a Meeting be Open? (2011) 88 M.P.L.R. (4th) 68.
[4] Ibid., note de bas de page 1, paragraphe 85.
[5] Ombudsman de l’Ontario, En arrière-salle : Enquête visant à déterminer si des membres du Conseil de la Ville de London ont tenu indûment une réunion à huis clos le 23 février 2013, octobre 2013, paragraphes 26 et 27.
[6] Ontario (Minister of Health and Long-Term Care) v. Ontario (Assistant Information and Privacy Commissioner), [2003] O.J. No. 4123 (C.A.) examen de l’alinéa 65 (6) 3 de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.
[7] Ordonnance MO-2455, Cité de Toronto, 31 août 2009.
[8] 5 ILCS 120/2.06
[9] Iowa Code § 21.5(4)
[10] N.R.S 241.035(4)