Enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par la Municipalité de Brighton le 10 mars 2017
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Août 2017
Plainte
1 Le 27 mars 2017, mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une série d’appels téléphoniques entre des membres du Conseil de la Municipalité de Brighton, le 10 mars 2017.
2 Le plaignant alléguait que le maire Mark Walas avait téléphoné à quatre membres du Conseil avant une réunion extraordinaire de celui-ci le 15 mars 2017. Lors de cette réunion, qui s'est tenue à huis clos, le Conseil a discuté de la possibilité de vendre un terrain dans le parc industriel municipal.
Compétence de l’Ombudsman
3 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités, toutes les réunions d'un conseil municipal, d'un conseil local et d'un comité de l'un ou de l'autre doivent se tenir en public, sous réserve des exceptions prescrites.
4 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité s’est dûment retirée à huis clos en vertu de la Loi. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut dans les municipalités qui ne l'ont pas fait.
5 L’Ombudsman est chargé d’enquêter sur les réunions à huis clos dans la Municipalité de Brighton.
6 Lorsque nous enquêtons sur les plaintes à propos de réunions à huis clos, nous déterminons si les exigences des réunions publiques énoncées dans la Loi et les procédures de gouvernance de la municipalité ont été respectées.
Procédures du Conseil
7 Le Règlement de procédure de la municipalité (Règlement no 097-2013) stipule que toutes les réunions doivent se tenir en public, sous réserve des dispositions à l’article 239 de la Loi.
Processus d’enquête
8 Le 12 mai 2017, nous avons informé la municipalité de notre intention d’enquêter sur cette plainte.
9 Les membres du personnel de mon Bureau ont examiné les extraits pertinents du Règlement et des politiques de la municipalité, ainsi que de la Loi. Nous avons aussi écouté un enregistrement sonore de la séance à huis clos de la réunion tenue par le Conseil le 15 mars 2017.
10 Nous avons interviewé le maire et les membres du Conseil qui avaient participé aux appels téléphoniques.
11 Mon Bureau a obtenu une pleine collaboration dans cet examen.
Contexte
Possibilité de vendre un terrain
12 Le 8 mars 2017, la Quinte Economic Development Commission (QEDC) a informé le maire qu’une entreprise étrangère était intéressée par l’achat d’un terrain dans le parc industriel de la municipalité, pour y construire une usine. Les représentants de cette entreprise étaient dans la région pour une courte visite et examinaient aussi la possibilité d’acheter d’autres terrains dans les municipalités voisines.
13 Désireux de saisir cette occasion pour la municipalité, le maire a organisé une rencontre avec les représentants de l’entreprise et la QEDC. Après cette réunion, la QEDC a dit au maire que l’entreprise avait reçu des propositions de vente de terrains présentées par d’autres municipalités, et que Brighton devrait faire de même si elle souhaitait demeurer concurrentielle.
14 Dans ce but, le directeur général (DG) de la municipalité et un membre du personnel ont préparé une proposition pour l’entreprise, le 10 mars 2017. Le maire n’était pas présent, mais il a téléphoné périodiquement au bureau du DG durant la préparation de cette proposition. La proposition finale comprenait des modalités de financement pour la vente du terrain, ainsi qu'un prix à l’acre et des frais de planification, de permis de construire et de services d'électricité. Elle précisait aussi que toutes les modalités devraient être approuvées par le Conseil.
15 Plus tard dans la soirée, le DG a envoyé la proposition de la municipalité à la QEDC. Il a dit aux membres de mon Bureau qu’il avait reçu des instructions verbales du maire lui demandant de faire parvenir cette proposition à la compagnie. Le maire a déclaré au DG qu’il avait obtenu l’approbation d’un quorum du Conseil quant aux modalités de la proposition.
16 Le maire a convoqué une réunion extraordinaire du Conseil le 15 mars 2017 pour discuter de la possibilité de vendre un terrain à cette compagnie. Le Règlement de procédure de la municipalité permet au maire de convoquer et d’organiser des réunions extraordinaires du Conseil.
Appels téléphoniques
17 Le maire a dit à mon Bureau qu’il avait parlé à quatre membres du Conseil au téléphone, le 10 mars 2017.
18 Le maire a déclaré qu’il avait téléphoné à ces conseillers car il était important de les informer de l’intérêt de l'entreprise pour l'achat d'un terrain municipal et de leur préciser le caractère urgent de cette occasion de vente. Durant les appels téléphoniques, il a dit aux conseillers qu’il avait rencontré les représentants de l'entreprise et la QEDC. Il leur a aussi fait savoir que les membres du personnel préparaient pour l’entreprise une proposition qui décrirait certaines modalités de vente du terrain, dont un prix à l’acre. Les conseillers ont commenté la proposition et ont appuyé son envoi à l’entreprise, sous réserve de l’approbation du Conseil.
19 Les membres de mon Bureau ont parlé aux quatre membres du Conseil qui avaient participé aux appels téléphoniques. Deux conseillers se sont souvenus d’avoir parlé au maire au téléphone quant à la possibilité de vendre un terrain municipal et d’avoir appuyé l’envoi de la proposition à la QEDC. Les deux autres conseillers ont confirmé qu’ils avaient parlé au maire au téléphone, mais ils ne se sont pas souvenus d’avoir discuté de la proposition. Ils ont dit à mon Bureau qu’ils avaient alors parlé brièvement au maire de l'organisation d'une réunion extraordinaire du Conseil.
Réunion extraordinaire du Conseil le 15 mars 2017
20 La Municipalité de Brighton fait des enregistrements sonores des réunions à huis clos de son Conseil. Nous avons obtenu une copie de l’enregistrement sonore de la réunion tenue par le Conseil le 15 mars 2017, et nous l’avons écoutée.
21 L’enregistrement relate les propos du maire déclarant qu’il a parlé à quatre membres du Conseil de la possibilité de vendre un terrain municipal à l’entreprise. Le maire a dit que ces conseillers lui avaient fait des commentaires verbaux sur la proposition et avaient appuyé son envoi à l’entreprise, pour que la municipalité reste concurrentielle parmi les autres municipalités à l’étude.
22 Aucun des quatre membres du Conseil n’a contesté les souvenirs du maire, lors de la réunion extraordinaire du Conseil.
Analyse
Différentes versions des événements
23 Deux des quatre membres du Conseil qui avaient participé aux appels téléphoniques ne se sont pas souvenus d’avoir parlé au maire des modalités de la proposition durant ces appels. Selon ces conseillers, le maire les a appelés pour organiser une réunion extraordinaire du Conseil le 15 mars 2017. Les appels téléphoniques ont été brefs, durant moins de deux minutes.
24 Le témoignage du maire et celui du DG ne corroborent pas les souvenirs de ces deux conseillers.
25 Le maire a dit aux membres de mon Bureau que, durant les appels téléphoniques, il avait demandé et obtenu des commentaires de chacun des quatre conseillers sur les modalités de la proposition, ainsi que leur appui pour l’envoyer à l’entreprise avant la réunion extraordinaire du 15 mars 2017. Le maire a souligné qu'il devait aviser certains membres du Conseil de l’intérêt montré par l’entreprise pour la municipalité avant que ses représentants ne quittent la région, et c’est pourquoi il avait téléphoné à chacun des conseillers au lieu d’attendre la réunion extraordinaire.
26 Le DG a dit aux membres de mon Bureau qu’il n’aurait pas envoyé la proposition à l’entreprise si le maire ne lui avait pas donné l’assurance qu’un quorum du Conseil était d’accord avec les modalités. Un membre du personnel qui était présent dans la pièce durant l’appel téléphonique entre le maire et le DG a confirmé les souvenirs du DG.
27 De plus, l’enregistrement de la réunion à huis clos du 15 mars 2017 relate les commentaires faits par le maire disant qu’il a obtenu les commentaires et l’appui des quatre conseillers auxquels il avait téléphoné, concernant la proposition. Aucun des membres du Conseil qui ont participé aux appels téléphoniques n'a contesté les déclarations du maire pendant la séance à huis clos. Cette preuve, qui date de la même époque que les appels téléphoniques, corrobore le souvenir que le maire a gardé de ces appels.
28 Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que les appels téléphoniques entre le maire et chacun des quatre conseillers a inclus une discussion sur la proposition et ses modalités, et que les quatre conseillers ont tous appuyé l’envoi de la proposition à l’entreprise.
Y a-t-il eu une réunion?
29 La Loi de 2001 sur les municipalités définit ainsi une réunion : « Réunion ordinaire, extraordinaire ou autre d’un conseil municipal, d’un conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre »[1]. Dans un rapport de 2008, mon Bureau a conçu une définition pratique de « réunion » pour faciliter l’interprétation de la définition donnée dans la Loi[2] :
Les membres du Conseil (ou d’un comité) doivent se rassembler en vue d’exercer le pouvoir ou l’autorité du Conseil (ou du comité), ou dans le but de faire le travail préparatoire à l’exercice de ce pouvoir ou de cette autorité[3].
30 Cette définition appuie les principes sous-jacents des règles des réunions publiques.
31 Une réunion du Conseil n’est pas strictement qu'une rencontre physique de ses membres. En fait, une réunion peut se produire chaque fois que le Conseil exerce son pouvoir, y compris par des moyens électroniques.
32 Dans une enquête faite en février 2009, notre Bureau a examiné si une série d’appels téléphoniques entre la mairesse et chacun des conseillers du Canton de Nipissing pouvaient être considérés comme une « réunion » aux termes des exigences des réunions publiques[4]. Dans ce cas, il n’y avait jamais eu de quorum du Conseil dans la même pièce, ni au téléphone, durant les conversations. Cependant, à la suite des appels téléphoniques, le Conseil était parvenu collectivement à un consensus pour approuver des suppléments de coûts concernant l’achat d’un véhicule de lutte contre les incendies. Notre rapport a fait cette observation :
Ce n’est pas forcément la forme d’une réunion, mais sa teneur qui devrait être déterminante. D’après moi, une réunion de conseil municipal n’est pas strictement un rassemblement physique de ses membres. Une suite d’appels téléphoniques passés auprès des membres du conseil « pour exercer le pouvoir ou l’autorité du conseil ou pour faire le travail préparatoire afin d’exercer ce pouvoir ou cette autorité » peut constituer une réunion...[5].
33 Une série d'appels téléphoniques individuels a lieu, par nature, à huis clos.
Un quorum du Conseil a-t-il participé à la série d'appels téléphoniques?
34 Pour déterminer si une réunion a effectivement eu lieu, le concept de quorum légal est un élément important à considérer. Dans un rapport d’octobre 2015 sur la Ville d’Elliott Lake, notre Bureau a souligné qu’à lui seul, le quorum des membres présents ne permet pas de conclure à cet égard, mais qu’il indique la présence d’un nombre suffisant de membres pour légalement traiter d’affaires[6]. Quand le quorum d'un conseil municipal, d’un comité ou d’un conseil local est atteint, les risques que les personnes présentes exercent leur pouvoir collectivement se trouvent accrus.
35 Dans ce cas, les appels téléphoniques ont eu lieu entre le maire et quatre membres du Conseil. Comme le Conseil est composé de sept membres, un quorum de conseillers a participé aux appels téléphoniques.
Les appels téléphoniques ont-ils fait avancer concrètement les travaux ou les processus décisionnels du Conseil?
36 J’ai déjà conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les appels téléphoniques successifs passés par le maire ont fait plus que de simplement informer les conseillers de l’intérêt de l’entreprise pour la municipalité et d’organiser une réunion extraordinaire. Durant ces appels, le maire a consulté quatre conseillers sur la proposition, a discuté avec eux d’un prix à l’acre pour le terrain, et a obtenu leur appui pour l’envoi de la proposition avant la réunion extraordinaire du Conseil.
37 Le Conseil n’a pas voté durant les appels téléphoniques, mais il est clair que le personnel a envoyé la proposition à l’entreprise à la suite de ces appels et de l’accord découlant d'un quorum du Conseil. Les appels téléphoniques ont donc fait progresser les rapports entre la municipalité et l’entreprise, ainsi que les intérêts du Conseil en vue de la conclusion d’un accord de vente d’un terrain à cette entreprise.
38 Lorsqu’il a effectué ces appels téléphoniques, le maire a peut-être simplement eu l’intention d’informer certains membres du Conseil de l’occasion qui se présentait à la municipalité sur le plan économique et de les tenir au courant de ses mesures d’action. Cependant, en visant à obtenir l’avis personnel de chacun des conseillers sur les modalités précises de la vente d’un terrain municipal, les appels téléphoniques successifs ont franchi un cap à ne pas dépasser.
39 Par conséquent, cette série d'appels téléphoniques a fait avancer les travaux du Conseil.
40 En entrevues avec notre Bureau, certains membres du Conseil ont souligné que, comme cette proposition portait l'indication « sous réserve de l’approbation du Conseil », les travaux du Conseil n’ont pas avancé puisque celui-ci n’avait pas pris de décision finale. Cette interprétation des règles des réunions publiques n’est pas exacte. J’ai déjà conclu que cette série d'appels téléphoniques avait constitué un quorum du Conseil réuni dans le but de faire avancer les travaux du Conseil. La proposition n’a été envoyée à l’entreprise qu'avec l'appui de ses modalités par un quorum des membres du Conseil. Dans ce cas, la mention « sous réserve de l’approbation du Conseil » indiquée sur la proposition n'exemptait pas le Conseil de respecter les règles des réunions publiques dans ses mesures d’action.
Opinion
41 Mon enquête a conclu que le Conseil de la Municipalité de Brighton a enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités et son Règlement de procédure en tenant une série d'appels téléphoniques afin de discuter et d'approuver une proposition pour une entreprise intéressée par l’achat d’un terrain municipal, avant la réunion du Conseil le 15 mars 2017. La série d'appels téléphoniques entre un quorum des conseillers a constitué une réunion aux termes de la Loi sur les municipalités, et cette réunion a eu lieu à huis clos. Je fais cette conclusion selon la prépondérance des probabilités en tenant compte de toutes les preuves fournies à mon Bureau.
42 Même si le Conseil a peut-être été motivé par la volonté d’agir rapidement et de tirer parti d’une possibilité économique pour la municipalité, le gouvernement local est tenu de rester vigilant pour garantir qu’il agit dans la transparence et la responsabilisation. Le processus peut s’avérer plus fastidieux, mais c’est ce qu’exige la démocratie.
Recommandations
43 Je fais les recommandations suivantes pour aider la municipalité à s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi et à renforcer la transparence de ses réunions.
Recommandation 1
Les membres du Conseil de la Municipalité de Brighton devraient s'acquitter avec vigilance de leurs obligations personnelles et collectives pour garantir que le Conseil se conforme à ses responsabilités en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et de son Règlement de procédure.
Recommandation 2
La Municipalité de Brighton devrait éviter d’exercer le pouvoir ou l’autorité du Conseil, ou de faire un travail préparatoire en ce sens, par une série d'appels téléphoniques ou par tout autre moyen électronique.
Rapport
44 La Municipalité de Brighton a eu la possibilité d’examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter. Nous n’avons reçu aucun commentaire.
45 Mon rapport devrait être communiqué au Conseil de la Municipalité de Brighton et mis à la disposition du public dès que possible, au plus tard lors de la prochaine réunion du Conseil.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, par. 238 (1).
[2] Ombudsman de l’Ontario,
Porte ouverte sur le scandale des billets du concert d’Elton John (25 avril 2008), en ligne.
[3] Ibid, paragraphes 54-60.
[4] Ombudsman Ontario,
Enquête sur la réunion spéciale du Conseil du Canton de Nippissing le 25 avril 2008, (6 février 2009), en ligne.
[5] Ibid, paragraphe 29.
[6] Ombudsman de l’Ontario,
Enquête visant à déterminer si le Conseil de la Ville d’Elliot Lake a tenu des réunions à huis clos illégales en avril 2015, (octobre 2015) en ligne.