Enquête sur la réunion à huis clos tenue par la Ville de Cornwall le 19 septembre 2017
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
décembre 2017
Plainte
1 Notre Bureau a reçu une plainte alléguant que le Conseil de la Ville de Cornwall avait indûment rencontré à huis clos le Conseil du Canton de South Glengarry le 19 septembre 2017, pour discuter de l’aéroport régional de Cornwall. Le plaignant a allégué que le Conseil de la Ville de Cornwall avait discuté de questions et donné des directives au personnel qui ne relevaient pas de l’exception citée des « renseignements privés », énoncée dans la Loi de 2001 sur les municipalités relativement aux réunions à huis clos.
Compétence de l’Ombudsman
2 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités, toutes les réunions d’un conseil municipal, d’un conseil local et des comités de l’un ou de l’autre doivent se tenir en public, à moins de relever des exceptions prescrites.
3 La Loi accorde aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité s’est conformée à la Loi en tenant une réunion à huis clos. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur ou recourir aux services de l’Ombudsman de l’Ontario. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut dans les municipalités qui n’ont pas désigné leur propre enquêteur.
4 L’Ombudsman est chargé d’enquêter sur les réunions à huis clos pour la Ville de Cornwall, mais pas pour le Canton de South Glengarry, qui a demandé aux Local Authority Services de remplir cette fonction. Bien que les deux conseils se soient réunis conjointement le 19 septembre 2017, l’Ombudsman n’est pas en droit d’enquêter sur les pratiques de réunions à huis clos du Canton de South Glengarry, si bien que le présent rapport vise uniquement à établir si le Conseil de la Ville de Cornwall s’est conformé à la Loi sur les municipalités et à son Règlement de procédure.
5 Quand nous enquêtons sur des plaintes à propos de réunions à huis clos, nous cherchons à déterminer si les exigences des réunions publiques énoncées dans la Loi et dans le Règlement de procédure de la municipalité ont été observées.
Processus d’enquête
6 Le 26 septembre 2017, notre Bureau a avisé la Ville de Cornwall de notre intention d’enquêter sur cette plainte.
7 Nous avons examiné des extraits pertinents du Règlement de procédure de la municipalité et de la Loi, ainsi que l’ordre du jour de la réunion et le procès-verbal de la séance publique/de la séance à huis clos du 19 septembre 2017. Nous avons aussi regardé un enregistrement vidéo de la discussion tenue à huis clos et nous avons interviewé la greffière de la Ville de Cornwall. De plus, nous avons examiné le Plan d’affaires de l’aéroport régional de Cornwall qui a été discuté durant la séance publique, et un addendum confidentiel au rapport qui a été examiné à huis clos.
8 Nous avons obtenu une pleine collaboration à notre enquête.
Procédures du Conseil
9 Le Règlement de procédure[1] de la Ville de Cornwall stipule que, sous réserve des exceptions prévues à l’article 239 de la Loi sur les municipalités et au Règlement de procédure, toutes les réunions du Conseil et des comités doivent se tenir en public. Avant de se retirer à huis clos, le Conseil doit adopter une résolution indiquant l’objet de la réunion à huis clos ainsi que la nature générale de la question à examiner[2].
10 L’article 4.13 du Règlement stipule que, pour toutes les réunions à huis clos, on « consignera sans remarque toutes les résolutions, décisions et autres délibérations. »
Aperçu de l’aéroport régional de Cornwall
11 Selon un rapport préparé par Raymond Chabot Grant Thornton, LLP, consultant embauché pour évaluer les possibilités d’aménagement de l’aéroport régional de Cornwall, cet aéroport est détenu conjointement par la Ville de Cornwall et le Canton de South Glengarry[3]. La Règlement de l’aéroport régional de Cornwall gère cet aéroport et se compose de membres nommés par les deux municipalités. Selon la greffière de Cornwall, chacune des deux municipalités a traditionnellement nommé un membre de son Conseil et deux membres non professionnels pour siéger au conseil d’administration de la Commission, qui est composé de six membres.
12 La Ville de Cornwall et le Canton de South Glengarry subventionnent l’exploitation de l’aéroport et, selon la greffière de Cornwall, la contribution de chacune des municipalités et la valeur de l’aéroport pour la communauté sont des sources de préoccupations grandissantes. Actuellement, la Ville de Cornwall subventionne l'aéroport à 85 %, tandis que le Canton de South Glengarry verse 15 %.
13 La Commission a conclu un contrat avec un locataire de l’aéroport – Cornwall Aviation – pour qu’il lui fournisse des services de gestion aéroportuaire. Le gestionnaire de l’aéroport est un employé de Cornwall Aviation.
Réunion extraordinaire du 19 septembre 2017
14 Le 19 septembre 2017, à 18 h, le Conseil de la Ville de Cornwall a tenu une réunion publique extraordinaire conjointe avec le Conseil du Canton de South Glengarry au complexe civique de Cornwall. Les deux municipalités ont traité la réunion comme une réunion extraordinaire de leur Conseil respectif et ont suivi leurs procédures habituelles de réunions (c.-à-d. que chacune a émis un avis de convocation, adopté des résolutions distinctes et consigné des procès-verbaux distincts).
15 D’après notre discussion avec la greffière de Cornwall et notre examen de la documentation de la réunion, le consultant a présenté un rapport au Conseil sur les possibilités d’aménagement de l’aéroport régional de Cornwall. Le rapport, qui était inscrit à l’ordre du jour de la réunion, commençait par un historique de l’aéroport, de ses opérations, et des défis auxquels il fait face actuellement. Il est à noter que le rapport soulignait des « problèmes majeurs de gouvernance et de gestion » qui ont nui à la crédibilité et à l’efficacité de la Commission. Le rapport analysait aussi d’autres aéroports régionaux en Ontario et cernait des possibilités que l’aéroport régional de Cornwall pourrait vouloir explorer. Le rapport se terminait par diverses recommandations en vue de répondre aux priorités à court terme de l’aéroport.
16 Suite à la présentation et à la discussion qui a suivi, le Conseil de la Ville de Cornwall a résolu de :
« demander à l’administration de préparer l'élaboration d'un plan d’action à court terme et [aux directeurs généraux] des deux municipalités de faire rapport au Conseil après avoir pris suffisamment de temps pour examiner la question en fonction des recommandations contenues dans ce rapport ».
17 Selon le procès-verbal de la séance publique, le Conseil a ensuite résolu de se retirer à huis clos à 20 h 10 pour examiner une question relative à des « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, y compris des employés de la municipalité ou du conseil local » en vertu de l’alinéa 239(2)(b) de la Loi sur les municipalités. Ni la résolution ni l’ordre du jour ne contenaient de renseignements supplémentaires sur ce que le Conseil avait l’intention de discuter pendant la séance à huis clos.
18 Une fois réuni à huis clos, le Conseil a examiné diverses questions présentées dans un rapport confidentiel préparé par le consultant à titre d’addendum au rapport discuté en séance publique. Le rapport confidentiel, que notre Bureau a examiné, identifie précisément certains membres de la Commission de l'aéroport et traite d’aspects de leur rendement et de leur conduite relativement aux opérations aéroportuaires. Le rapport inclut aussi des questions personnelles concernant une autre personne qui pouvait être identifiée.
19 Selon l’enregistrement sonore de la séance à huis clos, les conseillers de chacune des deux municipalités ont eu l’occasion d’aborder les questions soulevées dans le rapport du consultant. La discussion qui a suivi a porté sur des incidents précis liés à des personnes identifiées dans le rapport, et a visé à déterminer si la municipalité devrait prendre des mesures pour y donner suite. Le président de la Commission de l'aéroport, qui est aussi l’adjoint au maire du Canton de South Glengarry, a fourni des renseignements supplémentaires sur ces points et a répondu aux questions et aux préoccupations d’autres conseillers.
20 Quand notre Bureau a demandé pourquoi le Conseil avait invoqué l’exception des « renseignements privés » relativement aux réunions à huis clos, la greffière de Cornwall a répondu que le Conseil devait discuter de la conduite de membres de la Commission et d’une autre personne identifiée, et que ces discussions ne convenaient pas à une séance publique.
21 À l’issue de la séance à huis clos, le Conseil a résolu de prendre acte de l’addendum confidentiel au rapport du consultant. Le Conseil n’a pas adopté d’autres résolutions, n’a pas donné de directives au personnel. Il a levé la séance à huis clos à 21 h 25 et la réunion a immédiatement pris fin.
22 La greffière de Cornwall a dit à notre Bureau que, depuis cette réunion, le Conseil de la Ville de Cornwall avait nommé deux membres du Conseil à titre de membres intérimaires de la Commission de l'aéroport. Elle a ajouté qu’à l’époque de l’enquête, la Ville de Cornwall recrutait deux membres non professionnels pour siéger à la Commission.
Analyse
Applicabilité de l’exception des « renseignements privés »
23 Le Conseil s’est appuyé sur l’exception des « renseignements privés » prévue à l’alinéa 239(2)(b) pour discuter à huis clos des questions relatives à l’aéroport régional de Cornwall. Cette exception permet au Conseil de discuter à huis clos de renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, y compris des employés de la municipalité ou du conseil local.
24 Le Commissaire à l’information et la protection de la vie privée de l’Ontario (CIPVP) et notre Bureau ont déterminé que cette exception ne s’applique pas aux discussions sur des membres du Conseil ou des employés dans le cadre de leurs fonctions professionnelles. Toutefois, les discussions au sujet d’une personne à titre officiel peuvent revêtir un caractère plus personnel si la conduite de cette personne fait l’objet d’un examen minutieux[4].
25 Le CIPVP a établi un test en deux parties pour distinguer les renseignements personnels des renseignements professionnels, aux fins des règles sur les réunions publiques :
-
Dans quel contexte apparaissent les noms des personnes? Dans un contexte personnel ou professionnel?
-
Les renseignements particuliers comprennent-ils quelque chose qui, en cas de divulgation, pourrait révéler des éléments de nature personnelle à propos de cette personne?
26 Nous avons été informés que le Conseil s’était appuyé sur l’exception des renseignements privés car le rendement et la conduite de certains membres de la Commission et ceux d’une autre personne avaient été discutés. Notre examen de l’addendum de rapport confidentiel et un enregistrement de la réunion ont confirmé que le Conseil avait parlé d’aspects de la conduite de certains membres de la Commission et d’une autre personne, dans un cadre autre que leur rôle professionnel, si bien que ces renseignements auraient révélé quelque chose de personnel à leur sujet s’ils avaient été divulgués.
27 Par conséquent, cette discussion relève de l’exception prévue à l’alinéa 239(2)(b) de la Loi.
Résolution de se retirer à huis clos
28 La résolution adoptée pour se retirer à huis clos indiquait que le Conseil discuterait de « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, y compris des employés de la municipalité ou du conseil local » en vertu de l’alinéa 239(2)(b) de la Loi sur les municipalités. Ni la résolution ni l’ordre du jour ne contenaient de renseignements supplémentaires sur ce que le Conseil avait l’intention de discuter en séance à huis clos, mais chacun avait indiqué que la réunion extraordinaire porterait sur l’aéroport régional de Cornwall.
29 L’alinéa 239(4)(a) de la Loi sur les municipalités et le Règlement de procédure de la Ville de Cornwall exigent tous deux qu’une résolution adoptée pour se retirer à huis clos divulgue « la nature générale de la question à examiner ». Comme l’a précisé la Cour d’appel dans Farber c. Kingston (Ville), « la résolution de se retirer en séance à huis clos devrait comporter une description générale de la question à discuter de sorte à maximiser les renseignements communiqués au public, sans toutefois porter atteinte à la raison d’exclure le public »[5].
30 Dans ce cas, la résolution adoptée par la Ville n’a pas donné de renseignements significatifs au public sur la question à examiner à huis clos. Le Conseil devrait veiller à ce que ses résolutions fournissent désormais une brève description du sujet à examiner en séance à huis clos, en plus de l’énoncé de l’exception ou des exceptions spécifiques invoquées.
Opinion
31 Le Conseil de la Ville de Cornwall n’a pas enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités quand il a discuté à huis clos du rendement et de la conduite de membres identifiés de la Commission et d’une autre personne. Ce sujet relevait de l’exception des « renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée », énoncée dans la Loi sur les municipalités relativement aux exigences des réunions publiques.
32 Toutefois, la Ville de Cornwall a enfreint les exigences de l’alinéa 239(4)(a) de la Loi et son propre Règlement de procédure en omettant d’indiquer la nature générale des questions à examiner dans la résolution adoptée pour se retirer à huis clos.
Recommandation
33 Je fais la recommandation suivante pour aider le Conseil de la Ville de Cornwall à s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi et à renforcer la transparence de ses réunions.
Recommandation 1
Lorsqu’il se retire à huis clos, le Conseil de la Ville de Cornwall devrait adopter une résolution indiquant clairement les faits de la réunion à huis clos et la nature générale des questions à discuter.
Rapport
34 La Ville de Cornwall a eu la possibilité d’examiner une version préliminaire du présent rapport et de nous communiquer ses commentaires. Nous avons tenu compte de tous les commentaires que nous avons reçus pour préparer ce rapport final.
35 Dans sa réponse, le Conseil de la Ville de Cornwall a accepté la recommandation de notre Bureau et il a indiqué qu’il veillerait à ce que ses résolutions en vue de se retirer à huis clos contiennent toujours des renseignements sur la nature générale de la question à examiner. Le Conseil a aussi précisé qu’il suit déjà cette pratique pour ses réunions ordinaires et a déclaré qu’à l’avenir il la suivra pour toutes ses réunions, y compris ses réunions extraordinaires qui ne traitent que d’un sujet. Je félicite la Ville de Cornwall d’avoir agi promptement en réponse à ma recommandation.
36 Mon rapport devrait être communiqué au Conseil de la Ville de Cornwall et mis à la disposition du public le plus tôt possible, au plus tard à la prochaine réunion du Conseil.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Ville de
Cornwall, Règlement 2012-058,
Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletA By-law to govern the proceedings of the council of the Corporation of the City of Cornwall, en ligne.
[2] Ibid, art. 4.11.
[3] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletCornwall Regional Airport: Development Opportunity Assessment, Raymond Chabot
Grant Thornton LLP (juin 2017), en ligne.
[4] CIPVP, Ordonnance MO-2519 (29 avril 2010).
[5] 2007 ONCA 183, par. 21.