Enquête à propos d’une plainte sur une réunion tenue par le Canton de Leeds et les Mille-Îles le 11 août 2020
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Avril 2022
Plainte
1 Mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par le conseil du Canton de Leeds et les Mille-Îles (le « Canton ») le 11 août 2020. La plainte alléguait qu’une discussion et un vote avaient eu lieu de manière indue en séance à huis clos, concernant les résultats d’une étude technique préliminaire confidentielle relative à une proposition de réseau Internet à large bande.
Compétence de l’Ombudsman
2 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités[1] (la « Loi »), toutes les réunions d'un conseil municipal, d'un conseil local et des comités de l'un ou de l'autre doivent se tenir en public, à moins qu'elles ne relèvent des exceptions prescrites.
3 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité a respecté la Loi en se réunissant à huis clos. Les municipalités peuvent nommer leur propre enquêteur(euse) ou recourir aux services de l’Ombudsman de l’Ontario. La Loi fait de l'Ombudsman l'enquêteur par défaut dans les municipalités qui n'ont pas désigné le(la) leur.
4 L’Ombudsman enquête sur les réunions à huis clos pour le Canton de Leeds et les Mille-Îles.
5 Lorsque nous enquêtons sur des plaintes concernant des réunions à huis clos, nous examinons si les exigences relatives aux réunions publiques énoncées dans la Loi et le règlement de procédure de la municipalité ont été respectées.
6 Depuis 2008, mon Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos dans des municipalités partout en Ontario. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Nous avons créé ce recueil interrogeable pour permettre aux intéressé(e)s d'accéder facilement aux décisions de l'Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l’Ombudsman sont consultables dans ce recueil : https://www.ombudsman.on.ca/digest-fr/accueil.
Processus d’enquête
7 Le 9 juin 2021, nous avons informé le Canton de notre intention d’enquêter sur la réunion du 11 août 2020.
8 Les membres de mon équipe chargée des réunions publiques ont examiné les parties pertinentes du règlement et des politiques du Canton, ainsi que de la Loi. Nous avons examiné les comptes rendus de la réunion, dont l’ordre du jour et le procès-verbal. Nous avons parlé à l’ensemble des membres du conseil ayant assisté à la réunion le 11 août 2020. Nous avons également parlé au directeur général, à la directrice de la planification, à la directrice des services communautaires et des opérations, et à la personne chargée d’animer le groupe de travail sur le réseau Internet à large bande, qui réside dans le Canton.
9 Mon Bureau a obtenu une entière coopération dans cette affaire.
Contexte
10 En 2019, le Canton a décidé d’étudier de manière officielle comment mettre en œuvre un réseau Internet haute vitesse à travers tout son territoire, afin de couvrir les zones mal desservies et d’assurer la fiabilité d’un réseau à large bande pour l’ensemble de la collectivité. Le Canton a établi un groupe de travail sur le réseau Internet à large bande, qui a été chargé de mener ce projet. Ce groupe était constitué d’un conseiller, du directeur général, de la directrice de la planification et de la personne chargée de l’animer.
11 Le conseil a approuvé le financement d’une étude visant à déterminer le coût et le calendrier approximatifs de la mise en place d’un réseau Internet à large bande dans tout le Canton. Le Canton a demandé à une entreprise spécialisée dans la construction de réseaux de télécommunications de réaliser l’étude.
12 L’étude a conduit à la publication d’un rapport, qui contenait une feuille de route pour la mise en œuvre d’un réseau Internet à large bande à l’échelle du Canton. Le rapport d’étude présentait les coûts et les détails physiques du réseau, dont la conception avait été adaptée à la topographie unique du Canton. Il donnait également un exemple de cadre de déploiement, avec les priorités, les budgets, les modèles de gestion et les échéanciers. Ces détails avaient pour objectif d’aider le conseil à déterminer s’il pourrait ou non recourir à un partenariat public-privé pour créer un service municipal de réseau.
Réunion du conseil le 11 août 2020
13 Le conseil a tenu une réunion extraordinaire le 11 août 2020 à 18 h 00 pour discuter de plusieurs questions, dont le projet de réseau Internet à large bande. Il s’agissait d’une réunion virtuelle, à laquelle ont assisté la personne chargée d’animer le groupe de travail et la directrice de la planification. Le projet de réseau Internet à large bande a été abordé à trois reprises au cours de la réunion.
14 D’abord, la personne chargée d’animer le groupe de travail a présenté une série de diapositives en séance publique vers 18 h 35, rappelant l’historique du projet, indiquant sa situation actuelle et dressant le tableau des prochaines étapes. Y figuraient notamment des renseignements sur le dépôt d’une demande de financement auprès du Programme d’amélioration de la connectivité en Ontario (« PACO »), un programme provincial de financement des projets de réseau Internet à large bande, pour lequel les demandes devaient être effectuées au plus tard le 20 août 2020.
15 Plus tard dans la soirée, le conseil a examiné en séance publique un rapport de planification rédigé par la directrice de la planification. Ce document indiquait que le rapport d’étude contenait des données financières et exclusives qui compromettraient les négociations en vue d’un partenariat si elles étaient rendues publiques. Le rapport de planification parlait aussi du processus de financement par le PACO. Il contenait un bref résumé des résultats de l’étude et une série de recommandations à l’intention du conseil.
16 Vers 19 h 40, le conseil a adopté ces recommandations à l’unanimité et a voté pour recevoir le rapport de planification comme information, pour reconnaître l’importance d’offrir un réseau à large bande fiable, pour accepter les résultats de l’étude et pour autoriser le personnel municipal à établir une demande de propositions en vue de trouver un(e) partenaire pour le projet et de poursuivre la recherche d’options de financement.
17 Le conseil a ensuite adopté une résolution à 19 h 41 pour se retirer à huis clos en invoquant, pour le projet de réseau Internet à large bande, l’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) i) de la Loi, qui se rapporte à des discussions sur des renseignements fournis à une municipalité par une tierce partie. Aucune description de la nature générale du sujet devant être discuté n’apparaissait dans la résolution.
18 Durant la séance à huis clos, la personne chargée d’animer le groupe de travail a présenté les résultats de l’étude et le conseil a discuté du projet et des coûts associés s’il devait aller de l’avant.
19 Le conseil a aussi parlé de la demande de financement que le Canton pourrait déposer auprès du PACO, notamment du montant de la contribution financière du Canton que le personnel municipal devrait inscrire comme approuvé par le conseil, advenant que le financement soit accepté.
20 Le conseil a repris sa séance publique vers 20 h 46, ne mentionnant à aucun moment le projet de réseau Internet à large bande jusqu’à la fin de la réunion, à 20 h 53.
21 Le Canton a déposé une demande de financement auprès du PACO le 18 août 2020, une semaine après la réunion à huis clos. La demande fait état d’une contribution municipale de trois millions de dollars. Il nous a été dit que le conseil n’avait pas rediscuté de la demande après la séance à huis clos du 11 août 2020.
Analyse
22 Notre examen montre qu’au cours de la séance à huis clos, le conseil a discuté de deux sujets en lien avec le projet de réseau Internet à large bande : premièrement, les renseignements de l’étude à propos de la conception, du coût et du processus relatifs au réseau et, deuxièmement, la demande à l’intention du PACO et la contribution financière potentielle de la municipalité au projet. Nous évaluons ci-dessous si chacune des parties de la discussion avait ou non le droit de se tenir à huis clos.
Le rapport d’étude
Applicabilité de l’exception des renseignements communiqués à titre confidentiel par une tierce partie – alinéa 239 (2) i)
23 Dans sa résolution adoptée pour se retirer à huis clos, le conseil a cité l’exception des renseignements communiqués à titre confidentiel par une tierce partie, énoncée à l’alinéa 239 (2) i). Le but de cette exception est de protéger des renseignements confidentiels concernant des tierces parties, dans le cas où la divulgation de ces renseignements pourrait nuire à la situation concurrentielle d’une tierce partie dans des négociations[2].
24 Bien qu’elles ne soient pas contraignantes pour mon Bureau, un examen de décisions du(de la) Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée (« le(la) CIPVP ») peut s’avérer instructif pour déterminer si l’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) i) s’applique aux renseignements qui figurent dans le rapport d’étude[3]. Conformément aux interprétations du(de la) CIPVP, je suis convaincu que l’exception s’applique si les renseignements discutés :
i. relèvent de l’un des types répertoriés : secret industriel ou renseignements d’ordre scientifique, technique, commercial, financier ou qui ont trait aux relations de travail;
ii. ont été communiqués à titre confidentiel, que ce soit de manière explicite ou implicite, à la municipalité par une tierce partie;
iii. sont en lien avec la tierce partie et sont sa propriété, plutôt que celle de la municipalité;
iv. pourraient, selon toutes attentes raisonnables, s’ils étaient divulgués, être préjudiciables, en ayant pour effet soit de nuire gravement à la situation concurrentielle, soit d’entraver gravement les négociations contractuelles ou autres d’une personne, d’un groupe de personnes ou d’une organisation.
25 Cette exception a pour objet de protéger des renseignements confidentiels qui sont la propriété d’une tierce partie[4]. Les renseignements du rapport d’étude ayant fait l’objet de discussions en séance à huis clos se rapportaient à des renseignements concernant le Canton et avaient été communiqués par une entreprise dont le Canton avait retenu les services. Cette entreprise spécialisée dans la construction de réseaux de télécommunications n’avait en jeu aucun renseignement la concernant. C’est au contraire le Canton, puisqu’il avait commandé l’étude, qui était propriétaire des renseignements que contenait le rapport.
26 Par conséquent, la troisième condition de validité de l’exception n’est pas respectée. L’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) i) ne peut donc pas s’appliquer.
Applicabilité de l’exception des renseignements qui sont la propriété de la municipalité – alinéa 239 (2) j)
27 Bien que le conseil n’ait pas invoqué l’exception des « renseignements qui sont la propriété de la municipalité » pour se retirer à huis clos, nous avons cherché à savoir au cours de notre examen si cette exception s’appliquait aux discussions sur le rapport d’étude et la demande à l’intention du PACO.
28 Pour que cette exception s’applique, une municipalité doit démontrer que la discussion portait sur :
i. un secret industriel ou des renseignements d’ordre financier, commercial, scientifique ou technique;
ii. qui sont la propriété de la municipalité ou du conseil local;
iii. et qui ont une valeur pécuniaire actuelle ou éventuelle[5].
29 Comme indiqué plus haut, le premier élément de la discussion s’est concentré sur les renseignements figurant dans un rapport d’étude qui détaillait le plan d’infrastructure technique et les coûts associés, ainsi que les calendriers de construction et les phases de recherche d’un(e) partenaire pour le projet.
30 Premièrement, le rapport d’étude contenait des renseignements conformes aux définitions des renseignements d’ordre commercial, technique et financier.
31 Les « renseignements d’ordre commercial » sont des renseignements liés à l’achat, la vente ou l’échange de marchandises ou de services[6]. La discussion du conseil sur les détails techniques du rapport d’étude, comme les phases proposées des opérations, les calendriers de construction et les priorités géographiques pour la construction du réseau, comprenait des « renseignements d’ordre commercial ».
32 Les « renseignements d’ordre technique » sont des renseignements généralement préparés par un(e) professionnel(le), qui décrivent la construction, le fonctionnement ou l’entretien d’une structure, d’un processus, d’un équipement ou d’une chose[7]. Dans ce cas, le rapport d’étude était un rapport technique préliminaire contenant des renseignements sur la construction et l’exploitation d’un réseau Internet à large bande. Ces renseignements sont conformes à la définition des « renseignements d’ordre technique ».
33 Les « renseignements d’ordre financier » sont des renseignements liés à l’utilisation ou la distribution de fonds, contenant des données particulières ou y faisant référence[8]. La discussion du conseil sur certains éléments précis du rapport d’étude, qui comprenaient des données particulières liées aux coûts indirects de la construction du réseau, s’inscrit dans la définition des « renseignements d’ordre financier ».
34 Deuxièmement, le Canton a demandé à une entreprise spécialisée dans la construction de réseaux de télécommunications de réaliser l’étude pour son compte. Les renseignements figurant dans l’étude et discutés par le conseil sont la propriété du Canton.
35 Troisièmement, l’ultime condition de validité de l’exception suppose de déterminer si les renseignements discutés avaient une valeur pécuniaire actuelle ou éventuelle[9]. Les renseignements qui influent sur la capacité d’une organisation à décrocher des contrats ne sont pas synonymes de renseignements ayant une valeur pécuniaire[10]. Ces renseignements doivent avoir une valeur intrinsèque, c’est-à-dire qu’ils doivent offrir un débouché, dont l’organisation serait privée en cas de divulgation des renseignements[11].
36 Dans ce cas, le rapport d’étude établissait une feuille de route indiquant comment et où un réseau Internet à large bande pourrait être installé pour desservir le Canton. Il précisait d’importants détails techniques et présentait une conception de réseau adaptée aux besoins et à la géographie uniques du Canton.
37 Les représentant(e)s du Canton nous ont dit qu’ils(elles) n’avaient nullement l’intention de vendre les renseignements du rapport d’étude car ils(elles) prévoyaient construire et exploiter le réseau avec un(e) partenaire. Cependant, ils(elles) étaient conscient(e)s que le rapport d’étude contenait des renseignements que les entreprises de télécommunications de la région considéreraient comme précieux. Ils(elles) ont expliqué que des entreprises privées seraient susceptibles d’être intéressées par l’achat des renseignements afin d’étendre leurs réseaux à des zones rentables du Canton.
38 L’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) j) s’applique donc à la partie de la réunion où le conseil a discuté du contenu du rapport d’étude en lien avec la proposition de réseau à large bande municipal et de service connexe.
La demande à l’intention du Programme d’amélioration de la connectivité en Ontario (PACO)
Applicabilité de l’exception des renseignements qui sont la propriété de la municipalité – alinéa 239 (2) j)
39 Pour relever de l’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) j) de la Loi, les discussions liées à la demande à l’intention du PACO et à la contribution financière potentielle de la municipalité au projet de réseau Internet à large bande doivent aussi remplir les conditions de validité de l’exception indiquées plus haut, au paragraphe 28.
40 La demande de financement au PACO et les renseignements sur la contribution du Canton au projet de réseau Internet à large bande s’inscrivent dans la définition des « renseignements d’ordre financier ». La discussion sur la somme d’argent que le Canton serait susceptible de consacrer au projet, ainsi que sur les montants potentiels qu’il pourrait recevoir du PACO, se rapportait à la distribution et à l’utilisation de fonds.
41 De plus, la contribution financière discutée était liée à la situation financière du Canton et aux coûts évoqués dans le rapport d’étude pour que le Canton aille de l’avant en ce qui concerne son projet. Ces renseignements sont la propriété du Canton.
42 En revanche, les renseignements abordés lors de la discussion n’ont aucune valeur pécuniaire. Comme indiqué plus haut, pour que l’exception s’applique, il faut que les renseignements aient une valeur pécuniaire réelle ou potentielle, dont la municipalité serait privée s’ils étaient divulgués. Le préjudice financier ou les effets négatifs ne sont pas des facteurs pertinents, pas plus que le coût engagé pour créer le document contenant les renseignements[12]. Pour qu’une question relève de cette exception, il faut plutôt que les renseignements aient une valeur pécuniaire, faisant qu’ils pourraient être vendus à une autre partie.
43 En réponse à une version préliminaire de ce rapport, le Canton a fait valoir que les renseignements discutés concernant la demande à l’intention du PACO avaient une valeur pécuniaire actuelle ou éventuelle car, s’ils étaient divulgués, la situation financière de la municipalité pourrait s’en trouver affectée. La(la) CIPVP a interprété l’expression « valeur pécuniaire actuelle ou éventuelle » dans le contexte des lois sur l’accès à l’information et a conclu que de tels renseignements doivent offrir un débouché réel ou potentiel. Bien qu’elles ne soient pas contraignantes pour mon Bureau, un examen de décisions de ce type prises par le(la) CIPVP peut s’avérer instructif pour ma propre analyse.
44 Par exemple, dans une décision concernant un rapport d’évaluation obtenu par la Ville de South Bruce Peninsula avant des négociations pour la vente d’un bien-fonds, le(la) CIPVP a conclu que le rapport d’évaluation lui-même n’avait aucune valeur pécuniaire intrinsèque, aux termes de l’alinéa correspondant de la Loi[13].
45 Dans une autre décision, une municipalité avait arrêté d’offrir des services de ramassage des déchets aux entreprises. Elle prétendait qu’une liste de ces entreprises avait une valeur pécuniaire parce que cette liste pourrait être vendue à des opérateurs privés de ramassage des déchets. Le(la) CIPVP a conclu qu’il n’y avait aucune preuve d’une quelconque valeur pécuniaire réelle, pas plus que de l’intention de la municipalité de vendre la liste, ni même de sa capacité à le faire. Au cours des trois dernières décennies, le(la) CIPVP a systématiquement appliqué la règle voulant que, pour avoir une « valeur pécuniaire », des renseignements doivent offrir un débouché réel ou potentiel[14].
46 Ni les chiffres apparaissant dans la demande à l’intention du PACO ni le montant que le conseil a indiqué envisager de consacrer au projet ne présentent de valeur pécuniaire évidente ou potentielle. Je ne suis pas convaincu que les renseignements sur le montant à hauteur duquel le Canton pourrait contribuer au projet de réseau Internet à large bande aient une quelconque valeur pécuniaire intrinsèque.
47 L’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) j) ne peut donc pas s’appliquer.
Applicabilité de l’exception pour des projets et des instructions dans le cadre d’une négociation – alinéa 239 (2) k)
48 Bien que l’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) k) n’ait pas été invoquée par le Canton pour se retirer en séance à huis clos le 11 août 2020, un(e) membre du conseil nous a dit lors des entretiens qu’à son avis, cette exception s’appliquait à la discussion sur le financement par le PACO.
49 L’alinéa 239 (2) k) de la Loi permet que des discussions sur des projets et des instructions dans le cadre d’une négociation soient menées à huis clos afin de protéger des renseignements qui pourraient compromettre la position de négociation d’une municipalité. Pour que l’exception s’applique, la municipalité doit démontrer que :
i. la discussion à huis clos concernait des positions, des projets, des procédures, des critères ou des instructions;
ii. les positions, projets, procédures, critères ou instructions sont destinés à être appliqués aux négociations;
iii. les négociations sont en cours, ou à venir;
iv. les négociations sont menées par la municipalité ou en son nom[15].
50 Bien que le rapport de planification et le rapport d’étude aient pour but d’être des éléments d’un processus conduisant à une future négociation avec un(e) partenaire possible pour le projet, nous n’avons trouvé aucune preuve d’un lien entre la discussion sur une demande de financement et une future négociation.
51 Au cours de nos entretiens, il nous a été rapporté que la discussion du conseil s’était concentrée sur la contribution financière que le personnel municipal devrait indiquer dans la demande à l’intention du PACO, plutôt que sur une quelconque négociation en cours ou à venir avec des partenaires potentiel(le)s pour le projet.
52 De toute façon, la demande de fonds ne constituait pas une négociation avec l’organisme de financement, et le Canton n’était engagé dans aucune négociation avec quelque autre partie que ce soit à propos du contenu de cette demande. Selon l’Oxford English Dictionary, la définition simple du mot « négocier », largement acceptée par les tribunaux dans la jurisprudence[16], est la suivante : « s’entretenir (avec autrui) dans le but de régler une certaine question par un accord à l’amiable; discuter d’une question en vue d’arriver à un règlement ou un compromis » [traduction]. Au vu de cette définition, indiquer simplement une somme d’argent pour une demande de financement ne laisse entrevoir aucun effort pour parvenir à un « accord à l’amiable », à un « règlement » ou à un « compromis ».
53 Cette exception ne s’applique pas.
Entrecouper la discussion
54 Des questions qui ne relèvent généralement pas d’une exception peuvent parfois être discutées à huis clos si elles portent sur un seul sujet et si la séparation des renseignements nécessiterait d’interrompre de manière déraisonnable la conversation[17]. Cependant, si la discussion peut être scindée, le conseil est censé retourner en séance publique pour les parties de la discussion qui ne relèvent pas d’une exception relative aux réunions publiques[18].
55 Dans ce cas, les discussions en lien avec l’étude et les plans détaillés du Canton concernant son service municipal de réseau Internet à large bande peuvent être dissociées de la discussion sur la demande de financement par le PACO et le montant à hauteur duquel le conseil souhaitait contribuer au coût global du projet. D’après ce dont se souviennent les membres à propos de la réunion, la demande de financement était un sujet à part entière lors de la séance à huis clos et n’était pas imbriquée dans le reste de la discussion du conseil. Un(e) membre du conseil à qui nous avons parlé pensait même que la demande de financement avait été discutée lors de la partie publique de la réunion.
56 Le conseil a largement parlé du rapport d’étude en séance publique avant de se retirer à huis clos. La demande à l’intention du PACO aurait pu être abordée dans le cadre de cette discussion, afin que les sujets réservés au huis clos se limitent à ceux relevant d’une des exceptions aux règles des réunions publiques.
Résolution de se retirer à huis clos – paragraphe 239 (4)
57 Le paragraphe 239 (4) de la Loi exige des municipalités qu’avant de se retirer à huis clos, elles indiquent par voie de résolution au cours de la séance publique qu’une réunion à huis clos va se tenir, ainsi que la nature générale de la question devant y être étudiée. La description générale devrait maximiser les renseignements communiqués au public, sans compromettre la raison de son exclusion[19]. J’ai aussi recommandé précédemment que les conseils fournissent davantage de détails de fond dans les résolutions adoptées pour autoriser les séances à huis clos[20].
58 Dans ce cas, l’ordre du jour de la réunion du 11 août 2020 ne faisait référence qu’aux exceptions. Aucun autre renseignement sur les sujets de discussion proposés ne figurait dans la résolution.
59 Le Canton n’a pas respecté son obligation d’indiquer la nature générale de la question devant être discutée dans la résolution adoptée pour se retirer en séance à huis clos, ce qui est particulièrement regrettable, étant donné que j’ai déjà abordé cette question avec lui par le passé[21].
Vote en séance à huis clos
60 Le paragraphe 239 (6) de la Loi autorise une municipalité à procéder à un vote en séance à huis clos si la discussion de la réunion relève d’une exception énoncée dans la Loi et si le vote porte sur une question de procédure ou vise à donner des directives ou des instructions au personnel municipal. Aux termes des règles des réunions publiques, parvenir à un consensus est considéré comme un vote[22].
61 Avant que la réunion du 11 août 2020 ne se poursuive à huis clos, le conseil a donné des directives au personnel municipal afin de rechercher un(e) partenaire pour le projet de mise en œuvre du réseau à large bande. Ce vote est consigné dans le procès-verbal de la séance publique. Les directives données au personnel municipal ne contenaient aucun détail sur la contribution financière du Canton.
62 Nos entretiens ont révélé qu’après avoir discuté du coût du projet lors de la séance à huis clos, le conseil a parlé de faire une demande de financement auprès du PACO et a réfléchi au montant à hauteur duquel le Canton contribuerait, en cas d’obtention du financement. Il a été proposé que le Canton indique sur la demande qu’il s’engagerait à verser trois millions de dollars, soit 10 % du coût total du projet, sous certaines conditions. Aucune objection n’a été soulevée et un vote par consensus a eu lieu.
63 La demande de financement au PACO déposée par le Canton une semaine plus tard comprenait une contribution municipale de trois millions de dollars. Il nous a été rapporté que le conseil n’avait pas rediscuté de la contribution financière du Canton après la séance à huis clos, ce qui indique que le personnel municipal pensait que le conseil était parvenu à un consensus et avait donné des directives concernant le contenu de la demande.
64 Comme la discussion en lien avec la demande à l’intention du PACO ne relevait d’aucune exception relative aux réunions publiques, le conseil n’avait pas le droit de procéder à quelque vote que ce soit durant cette partie de la séance à huis clos.
Opinion
65 Le conseil du Canton de Leeds et les Mille-Îles n’a pas enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités le 11 août 2020 lorsqu’il s’est retiré à huis clos pour discuter du rapport relatif à l’étude qu’il avait commandée à propos d’un réseau Internet à large bande. La discussion relevait de l’exception des réunions à huis clos concernant les renseignements qui sont la propriété de la municipalité, énoncée à l’alinéa 239 (2) j) de la Loi.
66 Le conseil a transgressé la Loi le 11 août 2020 quand il a discuté à huis clos d’une demande de financement et de la contribution financière connexe de la municipalité. Comme cette partie de la discussion ne relevait d’aucune des exceptions aux règles des réunions publiques, le conseil a aussi contrevenu à la Loi lorsqu’il a donné, par consensus, des directives au personnel municipal concernant le contenu de la demande de financement.
67 Le conseil du Canton de Leeds et les Mille-Îles a enfreint le paragraphe 239 (4) de la Loi le 11 août 2020 en omettant d’indiquer par voie de résolution la nature générale des questions devant être discutées à huis clos.
Recommandations
68 Je fais les recommandations suivantes pour aider le Canton de Leeds et les Mille-Îles à s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi et à améliorer la transparence de ses réunions :
Recommandation 1
L’ensemble des membres du conseil du Canton devraient s’acquitter avec vigilance de leurs obligations individuelles et collectives pour veiller à ce que la municipalité se conforme à ses responsabilités en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et de son règlement de procédure.
Recommandation 2
Le Canton de Leeds et les Mille-Îles devrait s’assurer qu’aucun sujet n’est discuté à huis clos à moins qu’il ne relève clairement de l’une des exceptions légales aux exigences des réunions publiques.
Recommandation 3
Le Canton de Leeds et les Mille-Îles devrait s’assurer que ses votes réalisés à huis clos, y compris les votes par consensus, sont conformes aux dispositions du paragraphe 239 (6) de la Loi. Pour qu’un conseil ait le droit de voter lors d’une séance à huis clos, il doit satisfaire les exigences énoncées au paragraphe 239 (6) et il faut que la réunion soit dûment tenue à huis clos.
Recommandation 4
Avant de se retirer à huis clos, le Canton de Leeds et les Mille-Îles devrait adopter une résolution qui indique clairement le fait qu’il va y avoir une séance à huis clos, ainsi que la nature générale des questions devant y être discutées.
Rapport
69 Le conseil du Canton de Leeds et les Mille-Îles a eu l’occasion d’examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter pour mon Bureau. En raison des restrictions causées par la COVID-19, certaines modifications ont été apportées au processus habituel d’examen préliminaire, et nous remercions le conseil et le personnel municipal de leur coopération et de leur souplesse. Tous les commentaires que nous avons reçus ont été pris en compte dans la préparation de ce rapport final.
70 Dans sa réponse, le conseil du Canton a fait savoir qu’il n’était pas d’accord avec mes conclusions concernant la demande de financement au PACO et a souligné que mon interprétation des exceptions des réunions à huis clos était par trop restrictive.
71 Les exceptions des réunions à huis clos n’ont pas pour objet d’empêcher le public d’examiner des sujets sensibles ou controversés, même quand la municipalité pourrait souhaiter discuter de certaines questions en privé. Les exceptions énoncées dans la Loi sur les municipalités doivent être interprétées et appliquées de manière restrictive, pour conserver le droit qu’a le public d’observer un gouvernement municipal dans son processus d’activités.
72 Les discussions à huis clos en lien avec la demande de financement au PACO ne relevaient d’aucune exception figurant dans la Loi sur les municipalités et auraient dû avoir lieu en séance publique. La Loi sur les municipalités ne contient aucune exception aux règles des réunions publiques s’appliquant aux discussions sur des renseignements qu’une municipalité juge sensibles.
73 Ce rapport sera affiché sur le site Web de mon Bureau et devrait également être rendu public par le Canton de Leeds et les Mille-Îles. Conformément au paragraphe 239.2 (12) de la Loi de 2001 sur les municipalités, le conseil est tenu d’adopter une résolution indiquant comment il compte traiter ce rapport.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] L.O. 2001, chap. 25.
[2] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une réunion tenue par la Ville du Grand Sudbury le 12 janvier 2021, (mai 2021), par. 40, en ligne.
[3] Ordonnance M-326, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletEtobicoke (City) (Re), 1994 CanLII 6973 (ON CIPVP) [Ordonnance M-326], en ligne; Ordonnance PO-2018, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario (Management Board Secretariat) (Re), 2002 CanLII 46420 (ON CIPVP), en ligne; Ordonnance PO-1763, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario Lottery Corporation (Re), 2000 CanLII 20949 (ON CIPVP), en ligne.
[4] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur la réunion à huis clos tenue par le conseil de la Municipalité de St.-Charles le 3 avril 2019, (octobre 2019), par. 29 [St.-Charles], en ligne.
[5] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos de séances à huis clos tenues par la Ville de Hamilton le 16 janvier 2019, (juin 2019), par. 48 [Hamilton], en ligne.
[6] Ordonnance PO-3570, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOffice of the Public Guardian and Trustee (Re), 2016 CanLII 4760 (ON CIPVP), en ligne.
[7] Ordonnance PO-1805, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario Hydro (Re), 2000 CanLII 20800, en ligne.
[8] Ordonnance PO-2010, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario (Natural Resources) (Re), 2002 CanLII 46412, en ligne.
[9] Hamilton, supra note 5, par. 49.
[10] Ibid., par. 55-57.
[11] Ordonnance PO-2166, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario (Natural Resources) (Re), 2003 CanLII 53917 (ON CIPVP) [Ordonnance PO-2166], en ligne.
[12] Hamilton, supra note 5, par. 53-60. Voir aussi : Ordonnance M-326, supra note 3; Ordonnance M-654, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletMetropolitan Separate School Board (Re), 1995 CanLII 6783 (ON CIPVP) [Ordonnance M-654]; Ordonnance PO-2166, supra note 11; Ordonnance PO-3629, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario Power Generation (Re), 2016 CanLII 46208 (ON CIPVP) [Ordonnance PO-3629], en ligne.
[13] CIPVP, MO-2532, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletTown of South Bruce Peninsula (Re), 2010 CanLII 38706 (ON CIPVP), en ligne.
[14] Voir, par exemple, Ordonnance M-326, supra note 3; Ordonnance M-654, supra note 12; Ordonnance PO-2166, supra note 11; Ordonnance PO-3629, supra note 12.
[15] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par la Ville de St. Catharines le 25 juin 2018, (février 2019), en ligne.
[16] Voir, par exemple : Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletCommercial Union Life Assurance Co of Canada v John Ingle Insurance Group Inc., (2002) 61 OR (3d) 296 (ON CA) (CanLII), en ligne, par. 52-53.
[17] St.-Charles, supra note 4, par. 28.
[18] Ombudsman de l'Ontario, Enquête à propos d’une plainte sur une réunion à huis clos tenue par la Ville de Plympton-Wyoming le 24 juin 2020, (février 2021), en ligne.
[19] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletFarber v Kingston (City), 2007 ONCA 173 (CanLII), par. 21, en ligne.
[20] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une réunion tenue par la Ville de Kirkland Lake le 25 août 2020, (juillet 2021), par. 39, en ligne.
[21] Lettre de l’Ombudsman au Canton de Leeds et les Mille-Îles (8 septembre 2016), en ligne.
[22] Ombudsman de l'Ontario, Enquête visant à déterminer si le Conseil de la Ville de South Bruce Peninsula a tenu des réunions à huis clos illégales en avril, mai et juin 2015, (octobre 2015), en ligne.