Enquête sur la réunion à huis clos tenue par le conseil de la Municipalité de St.-Charles le 3 avril 2019
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Octobre 2019
Plainte
1 En avril 2019, mon Bureau a reçu une plainte au sujet de la réunion tenue par le Comité plénier du conseil de la Municipalité de St.-Charles (la municipalité) le 3 avril 2019. Cette plainte alléguait que, durant la réunion, le conseil avait discuté de documents et de recommandations sur les finances de la municipalité, contrairement aux dispositions de la Loi de 2001 sur les municipalités.
Compétence de l’Ombudsman
2 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités (La Loi)[1], toutes les réunions d’un conseil municipal, d’un conseil local et des comités de l’un ou de l’autre doivent se tenir en public, à moins de relever des exceptions prescrites.
3 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité s’est conformée à la Loi en ne permettant pas au public d’assister à une réunion. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur ou recourir aux services de l'Ombudsman de l’Ontario. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut dans les municipalités qui n’ont pas désigné le leur.
4 L’Ombudsman est chargé d’enquêter sur les réunions à huis clos pour la Municipalité de St.-Charles.
5 Quand nous enquêtons sur des plaintes au sujet de réunions à huis clos, nous vérifions si les exigences de la Loi relativement aux réunions publiques et les procédures de gouvernance de la municipalité ont été respectées.
6 Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et les citoyens, nous avons créé un recueil en ligne des décisions sur les réunions publiques qui contient les sommaires des cas de réunions publiques réglés par l’Ombudsman. Ce recueil consultable est compilé pour permettre à toutes les parties intéressées d’avoir aisément accès aux décisions de l’Ombudsman et à ses interprétations des règles sur les réunions publiques. Les membres des conseils et le personnel peuvent consulter ce recueil afin d’éclairer leurs discussions et leurs décisions visant à déterminer si une question devrait être ou pourrait être discutée en séance à huis clos, ainsi que leurs examens des questions de procédures des réunions publiques. Les sommaires des décisions prises jusqu’alors par l’Ombudsman peuvent être consultés dans ce recueil en ligne.
Procédures du conseil
7 Conformément au règlement de procédure de la municipalité (Règlement 2018-46), le Comité plénier est un comité composé de tous les membres du conseil. Ce règlement stipule que toutes les réunions du conseil et du comité doivent se tenir en public, sous réserve des dispositions de la Loi.
Processus d’enquête
8 Le 31 mai 2019, nous avons avisé la Municipalité de St.-Charles que nous avions l’intention d’enquêter sur cette plainte.
9 Les membres de mon Bureau ont examiné les extraits pertinents du règlement de procédure de la municipalité et de la Loi, ainsi que l’ordre du jour, le procès-verbal et la documentation connexes aux discussions tenues en séance à huis clos. Nous avons aussi écouté l’enregistrement sonore du huis clos. Les enregistrements audio et vidéo fournissent le compte rendu le plus exact et le plus complet des réunions et nous félicitons la municipalité d’avoir pris l’habitude de faire des enregistrements sonores des réunions du conseil.
10 Pour comprendre le cadre et le contexte des discussions tenues en séance à huis clos, nous avons interviewé la personne qui occupait alors les fonctions de greffier, le maire et le directeur général (DG), la trésorière/directrice des finances et un conseiller.
11 Nous avons obtenu une pleine coopération durant notre enquête.
Réunion du Comité plénier le 3 avril 2019
12 Le 3 avril 2019, le conseil s’est réuni pour une réunion du Comité plénier à 18 h dans la salle du conseil.
13 Après la réunion convoquée en séance publique, le conseil a adopté une résolution pour se retirer à huis clos à 18 h 33 afin de discuter de ce qui suit :
- renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, y compris des employés de la municipalité ou du conseil local, conformément à l’Alinéa 239 (2) b) de la Loi de 2001 sur les municipalités, telle que modifiée;
- relations de travail ou négociations avec les employés, conformément à l’Alinéa 239 (2) d) de la Loi de 2001 sur les municipalités, telle que modifiée;
Sujet : Service du bâtiment; Service du trésor
14 Avant d’adopter cette résolution, la conseillère Jackie Lafleur a publiquement avisé le conseil que la question citée dans la résolution pour se retirer à huis clos, concernant le Service du trésor, pourrait ne pas se prêter à une discussion à huis clos car le sujet à examiner était similaire à une lettre de gestion. Elle a indiqué que le Bureau de l’Ombudsman avait précédemment conclu que les lettres de gestion ne pouvaient pas faire l’objet de discussion en séance à huis clos.
15 Malgré cet avertissement, le conseil s’est retiré à huis clos.
16 Notre examen du procès-verbal de la réunion indique que la résolution ne précisait pas quelle exception des réunions à huis clos s’appliquait à chaque sujet à l’ordre du jour. Toutefois, durant les entrevues, nous avons été informés que l’exception des renseignements privés s’appliquait à la question du Service du trésor, tandis que l’exception des relations de travail ou des négociations avec les employés s’appliquait au Service du bâtiment. À titre de pratique exemplaire, la municipalité devrait veiller à ce que toute résolution adoptée pour se retirer à huis clos indique clairement quelle exception ou quelles exceptions sont invoquées pour discuter de chacun des sujets à huis clos.
Discussion du conseil
17 Une fois en séance à huis clos, le conseil a étudié un rapport détaillé d’un consultant financier dont la municipalité avait retenu les services pour l’aider à cerner et à corriger des erreurs et des écarts dans son logiciel de comptabilité. Le rapport comprenait un filigrane indiquant qu’il était « communiqué à titre confidentiel » à la municipalité et comprenait de nombreuses recommandations visant à rectifier et améliorer les pratiques financières de la municipalité. La directrice des finances/trésorière nous a dit qu'elle avait l'intention de faire référence au rapport quand elle informerait le conseil, mais qu'elle ne pensait pas qu'il serait distribué au conseil. Cependant, certains des renseignements tirés de ce document avaient été inclus à un rapport du personnel préparé pour la réunion du conseil le 17 avril 2019.
18 D’après l’enregistrement sonore, la directrice des finances (la trésorière) a parlé au conseil des renseignements détaillés contenus dans ce rapport et de ses propres observations sur le système comptable et financier de la municipalité. Elle a expliqué quelles mesures avaient été prises jusqu’alors pour donner suite aux observations faites dans le rapport, et quelles mesures supplémentaires elle aimerait prendre avec le consentement du conseil. La directrice des finances/du trésor a expliqué que si la municipalité ne prenait pas certaines mesures, ceci pourrait entraîner des problèmes lors de la prochaine vérification comptable de la municipalité.
19 Durant la discussion, le conseil a examiné divers sujets connexes, notamment la source historique des erreurs et des écarts dans le système comptable. Dans le cadre de cette discussion, certaines personnes ont été identifiées par leur nom ou leur poste.
20 À la suite de cette discussion, le conseil a approuvé la demande de la directrice des finances/du trésor visant à prendre des mesures supplémentaires pour obtenir d’autres ressources, afin de régler ces questions. Nous avons été informés que d’autres détails concernant ces propositions avaient été examinés en séance publique lors de la réunion du conseil le 17 avril 2019.
21 Après avoir conclu la question du Service du trésor, le conseil a discuté d’une question différente au sujet du Service du bâtiment, qui n’était pas incluse à la plainte adressée à notre Bureau. Le conseil a repris sa séance publique à 20 h 22. Selon le procès-verbal de la réunion, le maire a fait savoir que le conseil avait obtenu des renseignements et avait donné des directives au DG sur les questions discutées à huis clos.
Analyse
Exception des réunions publiques
« Renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée » – al. 239 (2) b)
22 Le conseil a invoqué l’exception des renseignements privés concernant une personne qui peut être identifiée, énoncée à l’alinéa 239 (2) b), pour discuter à huis clos de questions liées aux finances de la municipalité.
23 En général, les renseignements concernant une personne à titre professionnel ne relèvent pas de l’exception des renseignements privés[2]. Toutefois, dans certains cas, les renseignements concernant une personne à titre professionnel peuvent s’inscrire dans cette exception s’ils révèlent quelque chose de personnel[3] ou ont trait à l’examen minutieux de la conduite d’une personne.
24 En février 2016, mon Bureau a déterminé que la Municipalité de St.-Charles avait enfreint la Loi sur les municipalités quand elle avait discuté à huis clos de rapports de vérification, de lettres de gestion et d’autres conclusions et recommandations de vérification, durant trois réunions du conseil[4]. L’Ombudsman a souligné que les discussions sur le rendement et la conduite de membres du personnel, résultant de l’examen d’un rapport de vérification et d’une lettre de gestion, relevaient des exceptions des renseignements privés et des relations de travail, mais que ce n’était pas le cas pour les autres discussions.
25 Comme mon Bureau l’a déjà fait remarquer, dans la plupart des cas, les renseignements fournis par le personnel au conseil sur les finances d’une municipalité ne relèvent d’aucune des exceptions aux règles des réunions publiques et devraient être discutés en séance publique. La gestion des fonds publics est confiée aux gouvernements, et les renseignements sur ces fonds devraient être publics, pour garantir la responsabilisation financière au palier local[5].
26 Dans ce cas, seule une petite partie des discussions du conseil portaient sur la conduite des personnes nommées, tandis que la grande majorité des discussions avaient trait à des questions plus générales sur les finances de la municipalité et sur les mesures à prendre pour rectifier ces problèmes et éviter qu’ils ne se reproduisent. Ces discussions plus générales sur les finances de la municipalité ne relevaient pas de l’exception des renseignements privés. Par conséquent, le conseil n’était pas en droit d’invoquer l’exception des renseignements privés pour discuter de questions plus générales au sujet des finances de la municipalité.
27 Durant les entrevues, nous avons été informés que les renseignements financiers examinés lors de la réunion du 3 avril 2019 avaient été discutés à huis clos car les conseillers allaient probablement parler du rendement de certains membres du personnel. Les personnes à qui nous avons parlé nous ont dit que le conseil n’aurait pas pu séparer les discussions sur les personnes qui pouvaient être identifiées, d’une part, et les discussions sur les questions plus générales de finances, d’autre part. Dans St. Catharines v. IPCO, 2011, la Cour divisionnaire a conclu qu’il ne serait pas réaliste d’attendre des conseils municipaux qu’ils fassent des distinctions entre les sujets de discussion pour éviter que tout point pouvant être discuté en séance publique ne soit pas discuté en séance à huis clos[6]. Ceci s’applique aux discussions portant sur un seul sujet, où une telle distinction nécessiterait l’interruption de la conversation.
28 Le cas de St. Catharines peut être différencié du cas présent. Même si les observations du consultant financier et ses recommandations auraient pu mener à une discussion sur le rendement d’employés, les deux sujets étaient distincts. Le conseil aurait pu discuter du rapport du consultant en public, avant de se retirer à huis clos pour examiner toute question liée au rendement d’employés.
29 Nous avons aussi été informés que le conseil estimait qu’il devait discuter du rapport du consultant à huis clos car ce rapport comprenait un filigrane indiquant qu’il avait été « communiqué à titre confidentiel » à la municipalité. Certes, l’alinéa 239 (2) i) de la Loi sur les municipalités permet aux municipalités d’examiner à huis clos des renseignements communiqués à titre confidentiel par un tiers, mais il vise à protéger les renseignements confidentiels concernant un tiers, et non le rapport d’un tiers qui résume et analyse des renseignements sur la municipalité. Comme mon Bureau l’a conclu dans d’autres cas, le fait qu’une personne souhaite qu’une discussion ou un document reste confidentiel ne signifie aucunement que la Loi sur les municipalités l’autorise[7].
Autre exception des réunions à huis clos
30 Bien que la municipalité n’ait pas cité l’exception concernant la sécurité des biens, une personne que nous avons interviewée nous a dit qu’à son avis le conseil municipal aurait pu discuter à huis clos des finances de la municipalité en vertu de cette exception.
31 L’alinéa 239 (2) a) de la Loi sur les municipalités permet à une municipalité ou à un conseil local de discuter de la sécurité des biens d’une municipalité ou d’un conseil local en séance à huis clos. La Loi ne définit pas le terme « sécurité » aux fins de cette exception, mais l’Ombudsman a conclu que cette exception ne s’applique pas aux discussions sur les intérêts financiers d’une municipalité[8]. Par conséquent, l’exception de la sécurité des biens n’aurait pas pu s’appliquer à ces discussions du conseil.
Opinion
32 Le conseil de la municipalité de St.-Charles a enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités le 3 avril 2019 quand il s’est retiré à huis clos pour discuter de renseignements financiers concernant la municipalité. Les discussions du conseil sur les mesures à prendre pour rectifier les erreurs et les écarts de son logiciel de comptabilité ne relevaient ni de l’exception des renseignements privés, ni d’aucune autre exception aux exigences des réunions publiques.
Recommandations
33 Je fais les recommandations suivantes pour aider la municipalité à s’acquitter de ses obligations en vertu de la Loi et à renforcer la transparence de ses réunions.
Recommandation 1
Tous les membres du conseil de la Municipalité de St.-Charles devraient s’acquitter avec vigilance de leurs obligations individuelles et collectives pour garantir que le conseil se conforme à ses responsabilités en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités et de son propre règlement de procédure.
Recommandation 2
Le conseil de la Municipalité de St.-Charles devrait veiller à ne discuter d’aucun sujet en séance à huis clos à moins que le sujet ne relève clairement de l’une des exceptions légales aux exigences des réunions publiques.
Recommandation 3
À titre de pratique exemplaire, le conseil de la Municipalité de St.-Charles devrait veiller à ce que les résolutions adoptées pour se retirer à huis clos indiquent clairement quelle exception ou quelles exceptions des réunions à huis clos sont invoquées pour discuter à huis clos de chacun des sujets.
Rapport
34 La Municipalité de St.-Charles a eu l'occasion d'examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter. Les commentaires reçus ont été pris en compte dans la préparation de ce rapport final.
35 Mon rapport devrait être communiqué au conseil de la Municipalité de St.-Charles. Il devrait être mis à la disposition du public dès que possible, et au plus tard à la prochaine réunion du conseil. Conformément au paragraphe 239.2 (12) de la Loi sur les municipalités, le conseil devrait adopter une résolution indiquant comment il entend donner suite au présent rapport.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] L.O. 2001, chap. 25.
[2] CIPVP Ordonnance MO-2204 et Ombudsman de l’Ontario, Canton de Russell (août 2014), en ligne.
[3] Ombudsman de l’Ontario, Ville d’Elliot Lake (septembre 2014), en ligne.
[4] Ombudsman de l’Ontario, Enquête sur des réunions à huis clos tenues par le Conseil de la Municipalité de St.-Charles les 15 mai 2012, 19 juin 2013 et 29 mai 2014, (février 2016), en ligne.
[5] Ombudsman de l’Ontario, Enquête sur des plaintes à propos d'une réunion et d'une rencontre informelle du conseil de la Ville de Pelham le 5 septembre 2017, (avril 2018), en ligne.
[6] St. Catharines (City) v. IPCO, 2011 ONSC 2346 (CanLII) par. 42.
[7] Ombudsman de l’Ontario, Enquête sur la réunion à huis clos tenue par le comité spécial de contact avec l’OPP de la Ville de Brockville, le 7 mars 2016, (juillet 2016), en ligne.
[8] Ombudsman de l’Ontario, Enquête sur des réunions à huis clos tenues par le Conseil de la Municipalité de St.-Charles les 15 mai 2012, 19 juin 2013 et 29 mai 2014, (février 2016), en ligne.