Discours d l'Ombudsman de l'Ontario, André Marin, Ontario Association of Police Services Boards, Conférence du printemps, 24 mai 2014
1 Bonjour et merci de m’avoir invité à prendre la parole ici aujourd’hui. La dernière fois que j’ai eu le plaisir de m'adresser à votre groupe, c’était il y a deux ans. J’aimerais tout d’abord me présenter et vous dire ce que fait mon Bureau, puis passer en revue certaines de nos récentes activités qui se rapportent à votre secteur d'activités – la surveillance sur la police.
2 J’ai commencé ma carrière comme procureur de la Couronne, chargé de poursuites criminelles à Ottawa. Puis j'ai été nommé directeur de l’Unité des enquêtes spéciales, poste que j’ai occupé de 1996 à 1998. Ensuite, je suis devenu le premier Ombudsman de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, fonctions que j’ai conservées de 1998 à 2005. Enfin, en 2005, je suis devenu le sixième Ombudsman de l’Ontario, et mon mandat a été reconduit en 2010.
3 Vous le voyez donc : je suis dans le secteur de la surveillance depuis 18 ans. Ce type d'activités ne m’attire pas forcément les sympathies. Vous aussi, qui êtes membres de commissions de services policiers, vous devez prendre des décisions difficiles qui ne sont pas toujours populaires. À vrai dire, surveiller de puissantes organisations n’est pas le meilleur moyen de se faire des amis.
4 Laissez-moi vous expliquer un peu ce que fait l’Ombudsman de l’Ontario. Nous surveillons plus de 500 différents organismes gouvernementaux – ministères, sociétés, agences, conseils, commissions et tribunaux. Bientôt, nous publierons notre rapport annuel, et vous y verrez que nous avons traité 27 000 plaintes l’an dernier. Ce total est en hausse constante au cours des dernières années – pas forcément parce qu’il y a plus de problèmes, mais plutôt parce que les gens connaissent maintenant mieux l'existence de notre Bureau et savent la valeur de nos services, grâce à notre visibilité dans les médias sociaux. (Une vidéo de ce discours est sur YouTube.)
5 En revanche, notre Bureau n’a pas droit de regard sur le gouvernement fédéral, ni sur les cours ou les entreprises privées. De plus, notre champ de compétence ne s’étend pas au secteur parapublic, connu sous le nom de secteur « MUSH » : municipalités, universités, conseils scolaires, hôpitaux, foyers de soins de longue durée, sociétés d’aide à l’enfance et services de police. La seule exception, comme le savent ceux parmi vous qui sont membres d’un conseil municipal, c’est que nous avons le pouvoir d’enquêter sur les réunions municipales à huis clos dans environ la moitié des municipalités de l’Ontario.
6 Cette année a été une année record pour notre Bureau. Nous avons plus de vastes enquêtes systémiques en cours que jamais auparavant. Et pour la toute première fois, le gouvernement a présenté un projet de loi en vue d'élargir le mandat de notre Bureau au secteur MUSH. Chacun des ombudsmen qui se sont succédé en Ontario depuis la création de notre Bureau en 1975 a revendiqué cette mesure, tout comme l'ont fait des douzaines de pétitions et de projets de loi d’initiative parlementaire.
7 Dans le cadre du Projet de loi 179, Loi de 2014 sur la responsabilisation et la transparence du secteur public et des députés, le gouvernement avait proposé d’accorder à mon Bureau un droit de surveillance sur les municipalités, les universités et les conseils scolaires. Ce Projet de loi prévoyait aussi de créer un bureau distinct de l’Ombudsman des patients, chargé de surveiller les hôpitaux et les foyers de soins de longue durée – bureau sur lequel nous aurions un droit de regard – et d’accorder des pouvoirs accrus à l’Intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes, pour qu’il puisse enquêter sur les sociétés d’aide à l’enfance.
8 Malheureusement, le Projet de loi 179 est mort au Feuilleton lors de la dissolution de l’Assemblée législative le 2 mai, en vue des élections du 12 juin. Nous suivrons de près l’évolution de cette question après les élections, pour conserver l’élan gagné dans le but d'instaurer une surveillance si indispensable sur les organismes du MUSH.
Enquêtes rattachées aux services de police
9 Mon Bureau a fait paraître trois rapports de grandes enquêtes systémiques sur les services policiers :
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Une surveillance imperceptible (2008) a examiné l’Unité des enquêtes spéciales ainsi que les perceptions de son inefficacité et de sa partialité en faveur des policiers.
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Pris au piège de la loi (2010) a porté sur le recours par la province à une loi peu connue sur les mesures de guerre, en vue d’élargir les pouvoirs policiers lors du sommet du G20 en juin 2010 à Toronto.
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Le sabordage de la surveillance (2011) s’est penché sur le manque de soutien apporté par le ministère du Procureur général à l’UES dans son rôle de surveillance des services de police.
10 Nous effectuons actuellement une quatrième enquête systémique, centrée sur les directives données par la province à la police relativement au désamorçage des situations conflictuelles. Cette enquête a été déclenchée par une fusillade au cours de laquelle le jeune Sammy Yatim, âgé de 18 ans, a été tué par un policier l’an dernier à Toronto.
11 J’aimerais vous parler brièvement de chacune de ces quatre enquêtes puis voir comment – dans votre rôle de membres de commissions de services policiers – vous pouvez appuyer mon Bureau dans ce rôle de surveillance, et comment nous pouvons vous appuyer dans le vôtre.
Unité des enquêtes spéciales
12 Notre première enquête sur l’UES a conclu que c’était un « tigre édenté », soupçonné de partialité envers les policiers. Nous avons étudié le caractère secret de l’UES, l'absence d'information communiquée aux familles et au public sur les résultats de ses enquêtes, la lenteur de ses investigations, l’inefficacité générale de ses opérations. Et nous avons constaté que, après bien des années, l’UES n'avait toujours pas gagné en crédibilité auprès du public et des services de police.
13 Le problème le plus grave de l’UES, depuis sa création il y a 24 ans, est le suivant : l’obligation qu'à la police de coopérer pleinement aux enquêtes de l'UES n’est pas définie par la loi, et sa définition varie d’un service de police à un autre. Il en est de même pour la définition de « blessures graves ». J’ai préconisé l’adoption de nouvelles mesures de loi strictes pour clarifier ces deux points et pour mettre en place des sanctions en cas de non-coopération par la police. J'ai aussi recommandé à l’UES de montrer plus de rigueur et de transparence.
14 En réponse à notre enquête, l’UES a mis en place un nouveau directeur, Ian Scott. Celui-ci a engagé plus d’enquêteurs autres que d’anciens policiers, et il a commencé à écrire aux services de police et aux commissions de services policiers pour leur signaler les cas de non-coopération des policiers. Il a aussi publié plus de communiqués de presse, porté plus d’accusations – ce qui a intensifié la résistance parmi les services de police. Il est resté en poste cinq ans – et il a été le premier directeur à achever son mandat au complet depuis la création de l’UES en 1990. Ian Scott était efficace et rigoureux – et controversé – dans son travail.
15 En fait, si nous avons ouvert notre deuxième enquête sur l’UES, c'est parce que nous avons constaté que, alors que son directeur Ian Scott apportait des améliorations internes, le ministère du Procureur général et l'ensemble du gouvernement faisaient très peu de progrès dans la mise en œuvre de nos recommandations pour une réglementation plus stricte.
16 Plusieurs problèmes persistaient : certains services de police omettaient d’aviser l’UES en cas de blessures graves et les conflits continuaient à propos des policiers qui faisaient « approuver » leurs notes par des avocats avant de les remettre aux enquêteurs de l’UES. L’UES ne peut pas travailler en vase clos : il lui faut l’appui du ministère du Procureur général pour réussir.
17 Nous avons appris que le Ministère avait délibérément choisi de ne pas donner suite à nos recommandations en raison d’une « opposition véhémente de la police ». Ces mots sont tirés d’un courriel interne du Ministère, que nous avons découvert. Fondamentalement, le ministère du Procureur général avait censuré le directeur de l’UES – allant même jusqu’à lui interdire de faire paraître son rapport annuel, jugé trop provocateur. L’UES est censée être un organisme de surveillance – comment peut-elle être contrainte de ne pas publier un rapport?
18 Un autre problème grave était celui de l’approbation des notes des policiers par des avocats – travaillant au service de policiers impliqués dans des incidents soumis à une enquête de l'UES – avant leur remise à l’UES. Souvent, un même avocat représentait les policiers « sujets » (responsables d’une blessure grave ou d’un décès) et les policiers « témoins » (autres policiers présents sur la scène de l'incident). À mon avis, ni l’une ni l’autre de ces pratiques ne pouvait être autorisée. Dans mon rapport Le sabordage de la surveillance, j’ai préconisé que les autorités y mettent fin.
19 Malheureusement, le gouvernement s’est lavé les mains de cette question et l’a transmise au Barreau du Haut-Canada. Ô surprise, le Barreau a envoyé une lettre aux avocats, leur demandant de cesser de telles pratiques. Mais les avocats ont exercé des pressions sur le Barreau pour qu'il se rétracte – ce qu’il a fait. Le Barreau avait pris position, le temps d’un clin d’œil.
20 Mais des citoyens ordinaires – les familles de deux hommes tombés sous le tir de policiers – ont persévéré et ont mené l’affaire jusqu’en Cour suprême du Canada, à leurs propres frais. Les familles ont gagné une première fois à la Cour d’appel de l’Ontario, mais la police a interjeté appel, voulant que les avocats continuent d’approuver les notes des policiers. L’UES a interjeté appel à son tour, en accord avec notre rapport.
21 En fin de compte, les familles ont gagné. La Cour suprême du Canada s’est rangée de leur côté – et de celui de notre rapport. C’est elle qui a fait le sale travail que le ministère du Procureur général de l’Ontario se refusait d'effectuer. La Cour est même allée jusqu’à citer Une surveillance imperceptible et elle a déclaré une fois pour toutes que les avocats ne pouvaient pas approuver les notes des policiers lors des enquêtes de l’UES.
22 C’est ce que nous avions recommandé en 2011. Si le gouvernement avait suivi notre recommandation, il aurait peut-être épargné des centaines de milliers de dollars de frais juridiques à des familles, des services de police et des associations de policiers.
Sommet du G20 – Toronto, juin 2010
23 Il y a presque quatre ans, en juin 2010, le gouvernement fédéral a accueilli le sommet du G20 ici à Toronto. Dans le cadre des intenses mesures de sécurité qui ont entouré l'événement, le gouvernement de l’Ontario a accédé à la requête de la Police de Toronto (responsable de maintenir l’ordre en dehors de la zone où se rencontraient les dirigeants des grandes puissantes mondiales) et a remis en vigueur un texte de loi peu connu, qui date de la Seconde Guerre mondiale : la Loi sur la protection des ouvrages publics (LPOP).
24 Sans en informer le public, le gouvernement de l’Ontario a adopté un nouveau règlement en vertu de la LPOP, permettant à la police de faire des arrestations et des détentions arbitraires sans causes ni motifs raisonnables. La LPOP a été adoptée en 1939 – mais entre-temps la Charte canadienne des droits et libertés a été instaurée, et celle-ci n’autorise ni détention, ni arrestation arbitraire. Nous avons enquêté pour déterminer si cette loi était illégale, à la lumière des arrestations massives qui s’étaient produites lors du G20 – et qui représentaient la plus vaste violation des droits civils dans l’histoire canadienne contemporaine.
25 Dans mon rapport Pris au piège de la loi, j’ai recommandé d'éradiquer la LPOP et de la remplacer. Certes, elle peut être appliquée raisonnablement et légalement, par exemple pour contrôler les entrées dans des bâtiments publics sujets à risques, comme les palais de justice. Mais elle ne devrait jamais être utilisée comme elle l’a été par la police durant le G20. Le gouvernement a fait appel à l’ancien juge en chef Roy McMurtry, et celui-ci a conclu comme moi que cette loi était inconstitutionnelle.
26 À deux reprises depuis, la province a tenté de remplacer la LPOP par de nouvelles mesures de loi, mais à deux reprises, ses tentatives ne sont pas allées plus loin que le Feuilleton, en raison d’une élection imminente. La LPOP reste en vigueur.
Rapport Morden
27 Comme vous le savez, mon enquête a été la première déclenchée par le G20 et la conduite de la police durant cette fin de semaine. Mais plusieurs autres ont suivi, entre autres menées par le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) et par l’UES, qui a porté des accusations contre un policier (celui-ci a été jugé et reconnu coupable d’avoir blessé un manifestant).
28 De plus, le Toronto Police Services Board a chargé le juge John Morden d’examiner la conduite de la Police de Toronto durant ce sommet. Le juge a publié son rapport en juin 2012, soit un mois après mon allocution lors de votre conférence à Ottawa (en mai 2012). Vous vous souviendrez peut-être que je vous ai alors incité à exiger rigoureusement de vos forces de police qu'elles rendent compte de leurs activités.
29 J’aimerais prendre quelques instants pour évoquer le rapport du juge Morden, car c’est un excellent rapport, très complet, qui méritait d'être attendu. Fondamentalement, le juge Morden a dit au Toronto Police Services Board (TPSB) qu’il avait beaucoup plus de poigne qu’il ne le pensait.
30 Le respect du juge Morden pour la surveillance ne date pas d’hier. Ce juge est aussi l’auteur d’un jugement décisif rendu par la Cour d'appel en 1979, déclarant que l’Ombudsman de l’Ontario a le pouvoir d’examiner les décisions de tribunaux quasi judiciaires – jugement extrêmement important pour mon Bureau (bien que prononcé fort avant mon époque). Le gouvernement alors en place maintenait que, en vertu de la Loi sur l’ombudsman, mon Bureau n’avait pas droit de regard sur les tribunaux. Le jugement Morden a déclaré que nous faisions une mauvaise lecture de notre Loi – tout comme le faisait le gouvernement.
31 De même, en 2012, il a montré comment les commissions de services policiers faisaient une mauvaise lecture de la Loi sur les services policiers. Trop longtemps, a-t-il déclaré, le TPSB a « jugé abusif » de questionner le chef de police sur des questions opérationnelles.
32 Plusieurs passages de son rapport s'avèrent instructifs. Par exemple :
L’évolution d’une loi, c’est-à-dire les modifications qui y sont apportées au fil des années, depuis sa première promulgation, peut parfois guider utilement en vue d'une interprétation correcte et peut présenter une perspective et un contexte utiles pour saisir la signification de ses politiques, de temps à autre…
Deux modifications importantes ont été apportées en 1997. Cette loi accroissait considérablement le nombre de dispositions ayant une incidence sur la responsabilité, pour une commission, de fournir des services policiers au palier municipal et, tout particulièrement en comparaison au manque de directives dans la loi d’avant 1990, elle devrait être « interprétée au sens de correctif et… faire l’objet d’une interprétation aussi juste, vaste et libérale que l’exige la réalisation de ses objectifs.
33 Le juge a utilisé le mot « correctif » plutôt que « pénal », qui fait référence à une punition. En tant que commissions de services policiers, vous représentez le public – et vous n’infligez pas de punition. Une décision de la Cour suprême du Canada en 1984, à propos de la Loi sur l’ombudsman de cette province – fait appel à un langage similaire pour décrire les pouvoirs d’un ombudsman : ce sont des pouvoirs correcteurs, dont l'interprétation devrait être large et libérale. C’est pourquoi le juge Morden croit qu'il faut éviter les œillères dans notre travail. Nous devrions voir que nos lois nous offrent des possibilités, au lieu de nous imposer des limites.
34 Je vais vous en donner un exemple, tiré de mon travail. Quand je suis entré en fonctions en 2005, on m’a dit que, comme aucune disposition précise de la Loi sur l’ombudsman ne permettait à mon Bureau de publier des rapports, je ne pouvais en publier qu’un seul par année. J’ai lu cette loi avec beaucoup d’attention et j’ai découvert qu’en fait elle stipulait que je pouvais publier « au minimum » un rapport par an. Elle ne disait aucunement que je ne pouvais pas en publier davantage. Alors, j’ai commencé à faire paraître des rapports sur mes enquêtes systémiques. J’ai considéré que la loi nous donnait des possibilités, au lieu de nous imposer des limites.
35 Parfois, il est aisé d’adopter une approche excessivement juridique quant à nos mandats et de ne plus voir qu’ils nous offrent des possibilités dans l’intérêt du public. Souvent, dans ce secteur de la surveillance, on prend l’habitude de faire les choses d’une certaine façon, parce qu'elles ont toujours été faites ainsi. Le juge Morden a remis en question le statu quo.
36 Au sujet du rôle d’une commission de services policiers, par opposition au rôle du chef de police, voici ce qu’il a déclaré :
On dit parfois, en termes simples et généraux, que les politiques relèvent de la Commission tandis que les opérations relèvent du chef de police, et que les deux doivent toujours être gardés séparés. Non seulement cette affirmation est impossible à appliquer dans ses propres termes, mais elle ne reflète pas ce que stipule [la Loi sur les services policiers].
Il semble clair que la Commission et le chef menaient leurs interactions selon la notion invalide que les questions de politiques et d’opérations doivent rester distinctes, les politiques relevant de la Commission et les opérations relevant uniquement du chef…
La Commission a restreint son mandat consultatif et a considéré qu’il était malséant de poser des questions, de faire des commentaires ou de faire des recommandations à propos des questions opérationnelles. L’approche de la Commission à cet égard est erronée.
37 Le bien-fondé de demander ce type d’examen à un juge à la retraite comme le juge Morden tient au fait qu’il jouit d’une réputation irréprochable et qu’il peut dire la vérité aux autorités. À mon avis, le juge Morden a fait preuve de hardiesse, mais il a été correct en prenant cette approche. Il n’a pas hésité à dire la vérité, compte tenu de son expérience en tant qu’ancien juge de la Cour d’appel. Et je crois qu’il a fait des observations très perspicaces sur ce débat à propos de la différence entre opérations et politiques.
38 Son rapport a beaucoup retenu l’attention et il a déclenché d’importants débats sur la distinction entre les politiques et les opérations. Ce rapport a aussi incité le président du Toronto Police Services Board, Alok Mukherjee, à présenter des excuses personnelles – chose courageuse de sa part, à mon avis. Je l’ai appelé par la suite et je l’en ai remercié. Il avait fait ce qu'il fallait.
39 J’ai aussi été ravi de voir que votre organisation avait appuyé le rapport du juge Morden et signalé à la province que vous trouveriez des moyens d’appliquer ses recommandations partout dans la province.
Leçons apprises
40 Quand nous considérons tous ces cas, ainsi que le rapport du juge Morden et vos rôles très importants, quelles leçons pouvons-nous tirer?
41 Je pense que nous savons tous que le Toronto Police Services Board aurait dû se montrer plus dynamique, inquisiteur et proactif, plutôt que réactif, durant le sommet du G20 – et il l’a complètement reconnu.
42 Mais dans notre rôle de surveillance civile – qu’il s’agisse de mon travail, du vôtre, de celui de l’UES ou du BDIEP – nous devons tous prouver notre mérite. Nous devons gagner et garder la confiance du public. Peu importe si nous faisons un excellent travail – si personne ne le sait, nous pourrions aussi bien ne pas exister.
43 J’en sais quelque chose. Quand je suis devenu Ombudsman de l’Ontario, j’ai trouvé une lettre qui me disait fondamentalement ceci : « Félicitations, bienvenue à ce poste; nous allons abolir votre Bureau. » C’était une note de service du Conseil des sous-ministres, m’informant que l’Ombudsman de l’Ontario était inscrit à la liste des « programmes » à « éliminer ».
44 J’ai compris alors que nous devions nous réinventer et insuffler une vie nouvelle à notre mandat. Nous avons commencé à mener de vastes enquêtes systémiques et à publier des rapports avec des recommandations fermes – dont la plupart ont été mises en œuvre par le gouvernement. Ces recommandations ont aidé des milliers, voire des millions, d’Ontariens et expliquent en partie pourquoi le total de nos plaintes atteint maintenant les 27 000. Nous avons prouvé la valeur de nos services et les gens ont confiance en notre travail.
45 Une autre mesure de la valeur de notre travail est maintenant donnée par la formation aux enquêtes systémiques que nous offrons à d’autres ombudsmen un peu partout en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Notre cours s’intitule « Sharpening Your Teeth: Advanced Investigative Training for Administrative Watchdogs/Aiguisez-vous les dents : Formation avancée aux enquêtes pour les chiens de garde de l’administration ». Elle contribue à garantir que celles et ceux qui ont des pouvoirs de surveillance savent comment bien montrer leurs dents. L’une des personnes qui a récemment suivi notre formation est Thuli Madonsela, Protectrice publique de l’Afrique du Sud, récemment sélectionnée au Palmarès des 100 personnes les plus influentes au monde par le magazine Time.
46 D’après mon expérience de « chien de garde », en poste depuis bien des années, le public souhaite plus que jamais que les institutions publiques soient tenues de rendre des comptes. Un mouvement prend forme, pour imposer une surveillance adéquate aux organismes publics – et pour veiller à ce que les organismes de surveillance fassent un travail efficace.
47 Récemment, le Toronto Star a publié une série intitulée « Broken Trust », disant que le Barreau du Haut-Canada ne faisait pas le nécessaire pour s'en prendre aux avocats qui franchissaient la ligne. De plus, le BDIEP a récemment été critiqué en cour pour ne pas avoir enquêté sur des plaintes, alors que son mandat lui en laissait le pouvoir discrétionnaire. Dans cette affaire, un juge de cour divisionnaire a déclaré : « Je trouve fort ironique la position ainsi prise par un organisme qui a été créé dans le but de renforcer l’équité et la transparence dans le traitement des plaintes des civils contre des policiers. » La Cour d’appel de l’Ontario a été d’accord, déclarant que le BDIEP « doit » examiner toute plainte – autre cas de rappel qu'un organisme de surveillance des activités policières doit faire la lecture de sa propre loi.
Enquête sur le désamorçage des conflits
48 La quatrième enquête sur la police dont je veux vous parler est celle que nous menons actuellement. Nous nous penchons sur les directives données par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels aux services de police à propos du désamorçage des conflits. Actuellement, de nouvelles recrues de la police commencent leur formation au Collège de police de l’Ontario, mais chaque service de police suit sa propre approche en matière de désamorçage des situations conflictuelles.
49 Le gouvernement provincial est en droit de donner des directives aux services de police – ainsi, il y a plusieurs années, il a adopté une politique provinciale sur les poursuites automobiles que font les services de police. Un policier doit obtenir le consentement de son superviseur avant d’entreprendre une poursuite. Depuis que cette politique est en place, le nombre de poursuites de la police qui ont causé des blessures ou des décès a grandement diminué. Nous cherchons à déterminer si une politique similaire devrait être instaurée pour la formation au désamorçage des situations conflictuelles. Déjà, plusieurs provinces ont adopté pareille politique.
50 Dans le cadre de notre enquête, nous avons écrit à chaque chef de police et à chaque commission de services policiers, leur proposant de nous communiquer leurs commentaires. Ici à Toronto, Le TPSB s’est montré très généreux et coopératif, mais le Service de police de Toronto a déclaré qu’il ne collaborerait pas avec nous, car nous n’avions pas droit de regard sur lui. C’est vrai – mais les résultats de notre enquête pourraient signifier des changements quant à la manière dont il fait son travail.
51 Au début de notre enquête, l’OPP s’est montrée très récalcitrante, mais depuis elle est devenue fort coopérative et nous sommes ravis d'avoir sa participation.
52 De plus, j’ai demandé à l’ancien chef adjoint du Service de police de Toronto, Mike Boyd, précédemment chef du Service de police d’Edmonton et chef intérimaire de la Police de Toronto, ainsi qu’à Vern White, précédemment commissaire adjoint de la GRC, chef de la Police régionale de Durham, chef de la Police d’Ottawa et maintenant sénateur, de jouer le rôle de conseillers spéciaux dans cette enquête. Ils m’ont apporté de précieux commentaires et m’ont aidé à faire un travail de réflexion.
Conclusion
53 J’aimerais terminer cette présentation en vous invitant à penser à votre rôle aux termes de la loi, et à voir comment vous pouvez insuffler une vigueur nouvelle à votre mandat. En ce qui concerne l’UES, j’aimerais vous inciter à lui apporter votre appui pour que la police coopère pleinement à son travail.
54 Dans le sillage du G20, vous savez que s’il y a un défilé, une manifestation ou une conférence dans votre ville, vous pouvez – selon le juge Morden – interroger votre service de police sur ses plans. Alors que la LPOP est toujours en vigueur, la leçon du juge Morden est que vous êtes en première ligne, et que c’est à vous de veiller à ce que la police n’outrepasse pas ses pouvoirs.
55 Enfin, j’aimerais non seulement vous inviter à participer à ce cas de désamorçage des conflits, mais j’aimerais aussi pouvoir croire que, une fois toute cette affaire terminée, vous serez prêt à suivre les directives de la province, si telles sont nos recommandations. Mon sort sera entre vos mains et il vous appartiendra de veiller à ce que vos services de police prennent les directives du Ministère au sérieux. Le public comptera sur vous.
56 Tout cela est de votre ressort, et je vous encourage à y veiller. Je vous encourage à vous mobiliser, à participer, et à vous souvenir que mon Bureau est là pour vous aider, si vous avez besoin de notre appui.