Enquête visant à déterminer si le Conseil du Canton de Baldwin a tenu une réunion à huis clos illégale le 8 septembre 2014
« Scrutin secret »
André Marin
Ombudsman de l’Ontario
novembre 2014
Plainte
1 Le 11 septembre 2014, mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une séance à huis clos tenue par le Conseil du Canton de Baldwin lors de sa réunion le 8 septembre 2014.
2 Selon cette plainte, le Conseil s’était retiré à huis clos pour discuter des candidats au poste vacant de contremaître des travaux municipaux et pour voter à ce sujet. La plainte alléguait que le vote à huis clos avait enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités.
Compétence de l’Ombudsman
3 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités (la Loi), toutes les réunions d’un conseil municipal, d’un conseil local, et d’un comité de l’un ou de l’autre doivent se tenir en public, sous réserve des exceptions prescrites.
4 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité s’est conformée à la Loi pour tenir une séance à huis clos. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur ou recourir aux services de l’Ombudsman de l’Ontario. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut dans les municipalités qui n’ont pas désigné leur propre enquêteur.
5 Mon Bureau est chargé d’enquêter sur les réunions à huis clos dans le Canton de Baldwin.
6 Lorsque nous enquêtons sur les plaintes à propos de réunions à huis clos, nous déterminons si les exigences des réunions publiques énoncées dans la Loi et le Règlement municipal de procédure ont été respectées.
Élection municipale de 2014
7 L’élection municipale a eu lieu le 27 octobre 2014, alors que notre enquête était en cours. Le préfet, Archie Bovin, a été défait lors de cette élection par l’ancien conseiller Vern Gorham. Deux des quatre autres membres du Conseil ont été réélus.
8 Dans ce rapport, toutes les mentions au préfet et au Conseil ont trait au Conseil tel qu’il était constitué avant le 27 octobre.
Processus d’enquête
9 Le 6 octobre, après avoir effectué un examen préliminaire de cette plainte, mon Bureau a avisé le Canton que nous mènerions une enquête.
10 L’Équipe d’application de la loi sur les réunions publiques (OMLET) de mon Bureau a examiné les extraits pertinents du Règlement de procédure du Canton et de la Loi, ainsi que la documentation pertinente de la séance publique et de la séance à huis clos du 8 septembre. De plus, le personnel de l’Équipe a parlé avec le préfet, le préfet intérimaire et le personnel municipal.
11 Mon Bureau a reçu une pleine coopération à cet examen.
Réunion du 8 septembre
12 La réunion du 8 septembre était une réunion ordinaire du Conseil, qui s’est ouverte à 18 h 30. L’ordre du jour indiquait qu’une séance à huis clos aurait lieu pour discuter de « relations de travail – x3 ». Tous les membres du Conseil étaient présents à la réunion.
13 Le Conseil a adopté une résolution à 20 h 09 pour se retirer à huis clos afin de « discuter de questions ayant trait aux relations de travail ». Le procès-verbal indique que, durant sa séance à huis clos, il a discuté des entrevues qui avaient eu lieu plus tôt dans le mois au sujet du poste de contremaître des travaux municipaux et a organisé un « scrutin secret » pour classer les candidats.
14 Le personnel municipal et les membres du Conseil que nous avons interviewés ont confirmé les renseignements donnés dans le procès-verbal. Comme les membres du Conseil éprouvaient des difficultés à s’entendre sur le candidat à retenir pour ce poste, le préfet a distribué des morceaux de papier à chacun d’entre eux, leur demandant de classer les candidats par ordre de préférence.
15 À la suite de ce vote, le Conseil a donné une directive au personnel, lui enjoignant d’offrir le poste à un particulier identifié, puis de le proposer au second candidat sélectionné par le Conseil si ce premier candidat n’était pas intéressé. Le Conseil a aussi donné une directive au personnel sur la rémunération du candidat et les conditions de sa période probatoire.
16 Le préfet et le préfet intérimaire se sont tous deux souvenus d'une discussion à huis clos sur le conflit d’intérêts éventuel d’un membre du Conseil à cet égard. Le procès-verbal de la séance à huis clos ne fait pas mention de cette discussion.
17 Le Conseil a également discuté de deux questions de contrat durant la séance à huis clos. Ces deux questions relevaient de l’exception des « relations de travail » en vertu de la Loi sur les municipalités.
18 On ne sait pas très bien si des renseignements ont été communiqués en séance publique sur les discussions tenues à huis clos : dans le procès-verbal de la séance publique, rien n’indique que le Conseil ait fait un rapport sur ses délibérations à huis clos, ne serait-ce que de manière générale. En revanche, deux des personnes que nous avons interviewées se sont souvenues qu’au moins certains renseignements avaient été divulgués à propos de la discussion du poste de contremaître des travaux municipaux lors de la reprise de la séance publique. Nous avons été avisés qu’en général, aucun renseignement n'est donné à la suite des séances à huis clos, car les membres du public restent rarement après la fin de ces séances.
Analyse
Discussion
19 L’objectif de la séance à huis clos était d’évaluer les qualifications des candidats au poste de contremaître des travaux municipaux. Le Conseil a examiné les candidatures, ainsi que la possibilité de faire une offre à un futur employé potentiel. L’exception des relations de travail fait référence aux relations collectives entre un employeur et ses employés. La discussion à huis clos relevait donc de l’exception des relations de travail.
20 Le Conseil a également examiné les qualifications de particuliers qui pouvaient être identifiés, et les conseillers ont exprimé individuellement leurs opinions quant au candidat le plus apte à pourvoir le poste. La définition des « renseignements personnels » donnée par la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée[1] comprend « des opinions et des points de vue d’une autre personne au sujet [d'un] particulier ». Bien que cette définition ne soit pas exécutoire pour mon Bureau, elle peut orienter utilement quant au champ d’application des « renseignements privés » dans le contexte de l’article 239 de la Loi sur les municipalités.
21 Dans ce cas, la discussion à huis clos sur les qualifications des candidats identifiés au poste de contremaître des travaux municipaux était permise en vertu de l’exception des « renseignements privés » de la Loi sur les municipalités.
Vote à scrutin secret
22 L’article 244 de la Loi stipule ceci :
244. Sauf disposition contraire des articles 233 et 238, aucun vote ne doit être tenu à l’aide de bulletins de vote, ni par quelque autre méthode de vote secret. Tout vote tenu de cette façon est nul.
Le paragraphe 239 (6) de la Loi stipule ceci :
Exception
(6) Malgré l’article 244, une réunion peut se tenir à huis clos au moment du vote si :
a) d’une part, le paragraphe (2) ou (3) autorise ou exige la tenue à huis clos de la réunion;
b) d’autre part, le vote porte sur une question de procédure ou vise à donner des directives ou des instructions aux fonctionnaires, agents, employés ou mandataires de la municipalité, du conseil local ou d’un comité de l’un ou de l’autre, ou aux personnes dont la municipalité ou le conseil local a retenu les services, à contrat ou non.
23 Le seul vote consigné dans le procès-verbal de la séance à huis clos a trait à une directive donnée au personnel, lui enjoignant d’offrir le poste de contremaître des travaux municipaux à un particulier identifié. Ce vote était permis en vertu du paragraphe 239 (6) de la Loi sur les municipalités.
24 En revanche, le Conseil a reconnu avoir aussi voté à scrutin secret durant la séance à huis clos pour sélectionner le candidat à qui offrir ce poste. Ce vote n’avait trait ni à une question de procédure, ni à une directive au personnel, et constituait donc une infraction à la Loi. En outre, le Conseil a violé l’article 244 de la Loi, qui interdit un tel vote à scrutin secret.
Questions de procédure
Résolution de se retirer à huis clos
25 La résolution de se retirer à huis clos lors de la réunion du 8 septembre donnait uniquement l’énoncé de l’exception invoquée par le Conseil pour tenir un huis clos. Comme l’a souligné la Cour d’appel dans Farber v. Kingston City[2], « la résolution de se retirer en séance à huis clos devrait comporter une description générale de la question à discuter, de sorte à maximiser les renseignements communiqués au public, sans toutefois porter atteinte à la raison d’exclure le public. »
26 Le Conseil devrait donner une brève description de la question à examiner en séance à huis clos, en plus de citer l’exception qu’il invoque pour se retirer à huis clos. De même, dans toute la mesure du possible, il devrait fournir plus de renseignements dans son ordre du jour à propos des questions qu'il étudiera à huis clos.
Compte rendu
27 Nous avons été avisés qu’en général, le Conseil ne faisait pas de compte rendu en séance publique, car les membres du public ne restaient d’habitude pas après les séances à huis clos. Il n’en demeure pas moins que le Conseil devrait faire un compte rendu de ses discussions à huis clos. Dans certains cas, le compte rendu au public peut simplement prendre la forme d’une discussion générale, en séance publique, des sujets examinés à huis clos (reprenant les renseignements donnés dans la résolution de se retirer à huis clos), avec des renseignements sur les directives au personnel, les décisions et les résolutions. Dans d’autres cas, la nature de la discussion peut prêter à la divulgation publique de renseignements considérables sur la séance à huis clos.
28 Le fait que les membres du public ne restent peut-être pas à la séance publique, après une séance à huis clos, ne dispense aucunement le Conseil de ses obligations de faire officiellement un rapport sur ses discussions. Même si aucun membre du public n’est présent pour entendre ce rapport, celui-ci peut être consigné dans le procès-verbal, pour être consulté plus tard.
Compte rendu de la séance à huis clos
29 Les preuves que nous avons obtenues durant cette enquête montrent clairement que toutes les discussions tenues à huis clos le 8 septembre n'ont pas été consignées dans le procès-verbal. Le Canton devrait veiller à conserver des comptes rendus exhaustifs de ses réunions, incluant toutes les discussions de fond, aussi bien pour ses réunions publiques que pour ses réunions à huis clos.
30 De plus, j’encourage le Canton à envisager de faire des enregistrements sonores de ses réunions à huis clos, pour conserver des rapports de réunions aussi complets que possible. Comme je l’ai précisé dans mon rapport annuel 2011-2012 sur les réunions publiques :
Des enregistrements audio ou vidéo devraient être faits systématiquement, non seulement pour les séances publiques mais aussi pour les huis clos. Ceci contribuerait incommensurablement à garantir que les dirigeants ne s’écartent pas des exigences imposées par la loi une fois qu’ils s’isolent derrière des portes closes. De plus, les enquêteurs auraient accès à des comptes rendus clairs pour leur examen.
31 Plusieurs municipalités, dont les Cantons de Tiny, Madawaska Valley et McMurrich/Monteith, la Ville de Midland, la Municipalité de Lambton Shores et la Ville d’Oshawa, ont déjà adopté cette pratique.
Opinion
32 En vertu des exceptions énoncées dans la Loi sur les municipalités, le Conseil du Canton de Baldwin était en droit de se réunir à huis clos le 8 septembre 2014 pour discuter des qualifications de candidats particuliers, qui pouvaient être identifiés, au poste de contremaître des travaux municipaux. Le vote du Conseil visant à enjoindre au personnel d’offrir ce poste à un particulier identifié était aussi permis en vertu du paragraphe 239 (6) de la Loi sur les municipalités.
33 En revanche, le Conseil a enfreint la Loi sur les municipalités quand il a voté à scrutin secret, à huis clos, afin de sélectionner le candidat retenu pour pourvoir ce poste.
34 Je fais six recommandations dans l’espoir qu’elles aideront le Conseil à comprendre ses obligations en vertu de la loi et à améliorer ses processus de réunions à huis clos.
Recommandations
Recommandation 1
Le Conseil du Canton de Baldwin ne devrait pas voter à scrutin secret, à moins que le vote ne relève des exceptions strictes énoncées aux articles 233 et 238 de la Loi de 2001 sur les municipalités[3].
Recommandation 2
Le Conseil du Canton de Baldwin ne devrait pas voter à huis clos, à moins que le vote ne porte sur une question de procédure ou ne vise à donner des directives au personnel, comme l’autorise le paragraphe 239 (6) de la Loi.
Recommandation 3
Le Conseil du Canton de Baldwin devrait veiller à ce que les résolutions qu'il adopte pour se retirer à huis clos comprennent autant de renseignements que possible et donnent au moins une description générale de la question à examiner à huis clos.
Recommandation 4
Le Conseil du Canton de Baldwin devrait prendre pour habitude de rendre compte publiquement des discussions qu'il a tenues lors de ses séances à huis clos.
Recommandation 5
Le Canton de Baldwin devrait conserver des procès-verbaux plus complets et exacts de ses réunions, et devrait envisager de faire des enregistrements sonores de ses séances à huis clos.
Recommandation 6
Tous les membres du Conseil du Canton de Baldwin devraient s’acquitter avec vigilance de leurs obligations personnelles et collectives, pour garantir que le Conseil se conforme à ses responsabilités en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités.
Rapport
35 Le personnel d’OMLET a parlé avec le greffier, ainsi que le préfet Bovin et le préfet-élu Gorham, le 27 novembre pour donner un aperçu de ces conclusions et offrir au Canton la possibilité de les commenter. Nous avons tenu compte de tous les commentaires que nous avons reçus pour préparer ce rapport.
36 Mon rapport devrait être communiqué au Conseil du Canton de Baldwin et rendu public dès que possible, au plus tard lors de la prochaine réunion du Conseil.
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André Marin
Ombudsman de l’Ontario
[1] L.R.O. 1990, chapitre M.56
[2] [2007] O.J. nº 919, page 151
[3] Ces paragraphes indiquent que la nomination du président du Conseil d’une municipalité de palier supérieur, ou la désignation d’une personne qui préside les réunions, autre que le président du Conseil, peut être décidée à scrutin secret.