De l'espoir au désespoir

De l'espoir au désespoir

septembre 1, 2005

1 septembre 2005

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée se montre-t-il déraisonnable et injuste en refusant de financer le remboursement du Cystagon pour le traitement de la maladie de Batten ?

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée se montre-t-il déraisonnable et injuste en refusant de financer le remboursement du Cystagon pour le traitement de la maladie de Batten ?

« De l'espoir au désespoir »

André Marin
Ombudsman de l'Ontario

août 2005

 

Contributeur(trice)s

Directeur, Équipe d'intervention spéciale de l'Ombudsman (EISO)

  • Gareth Jones

Avocates principales

  • Laura Pettigrew
  • Wendy Ray/li>

Enquêteuse

  • Anne Hart

Table des matières



 

Sommaire

1   Christopher Comeau-D’Orsay est gravement malade.  Quand il a été diagnostiqué d’une forme de la maladie de Batten (ou atrophie myotonique), un trouble dégénératif cruel qui lui détruisait le cerveau, les médecins ont dit à sa famille qu’il allait mourir.  Ils ont refusé d’accepter le verdict – pas sans livrer bataille.  Ils l’ont vite emmené à New York pour participer à l’essai clinique d’un nouveau traitement de cette maladie rare.  En quelques semaines, leur désespoir a fait place à l’espoir.  Le médicament donné à Christopher, du nom de Cystagon, ne faisait pas que stabiliser son état; il l’améliorait.  Pour seulement 15 000 $ par année, soit moins que le coût des traitements futiles financés publiquement qu’il recevait en Ontario, sa santé allait mieux.  Le seul problème, et c’était un problème majeur, c’est que sa famille n’avait pas les moyens de payer ce médicament.  C’était tout simplement trop coûteux pour eux.  Mais sa famille a pensé que ça n’avait pas d’importance.  Elle s’est dit qu’ils avaient de la chance.  Ils vivaient en Ontario, une province qui se targue de la qualité des services de santé qu’elle offre à ses résidents.  La province allait sûrement payer ce médicament.  La province économiserait ainsi de l’argent, et chose plus importante encore, elle sauverait la vie du jeune garçon.

2   Mais quand les Comeau-D’Orsay ont fait une demande d’aide, l’espoir a complètement cédé la place au désespoir.  On leur a répondu non.  Alors que j’écris ce Rapport, les Comeau-D’Orsay hypothèquent leur avenir, pour tenter d’assurer un avenir à leur fils.  Et même ces efforts risquent de ne pas suffire.  Sans financement, la famille ne pourra pas tenir.  Comme je l’ai dit, elle est passée de l’espoir au désespoir. On ne peut pas laisser durer cette situation.  Heureusement, il est possible d’y mettre fin.  On a dit « non » à Christopher Comeau-D’Orsay sans bonnes raisons, et pour beaucoup de mauvaises raisons.  Il est encore temps de redresser la situation.

3   Chose étonnante, la détresse de Christopher n’a pas incité les administrateurs médicaux de la province à faire des efforts concertés en ce sens.  Face à son péril, leur réponse a été confuse, léthargique, exaspérante – le genre de réponse qu’aucun résident de cette province ne devrait recevoir, même pas pour des problèmes mineurs.  Mais l’affaire est d’autant plus grave que le problème n’est pas mineur.

4   Un certain nombre d’événements se sont produits, qui n’auraient jamais dû arriver.  D’abord, la famille de Christopher a été informée, à tort, que son problème relevait de la compétence du gouvernement fédéral alors que le financement des médicaments relève du gouvernement provincial, et la question a été renvoyée sans explication à un programme fédéral qui n’a rien à voir avec le financement.  Deuxièmement, la « loi » a été invoquée pour justifier ce refus. La famille a été avisée que la loi et les règlements interdisent le financement qu’elle cherche à obtenir, alors qu’il n’en est rien.  Troisièmement, les administrateurs médicaux qui ont rejeté la demande ont cité des politiques gouvernementales incohérentes : certains ont affirmé que le financement ne peut être autorisé que pour les médicaments approuvés pour la vente au Canada, tandis que d’autres ont affirmé que le financement peut être autorisé même pour des médicaments dont la vente n’a pas été approuvée, à condition toutefois que le gouvernement fédéral donne son accord dans le cadre d’un Programme d’accès spécial.  Les administrateurs médicaux ne parviennent pas à s’entendre sur les politiques fondamentales qui sous-tendent la décision à prendre.  Quatrièmement, on a fait croire à la famille de Christopher que les problèmes venaient du médicament – que ce médicament ne pouvait pas être subventionné en Ontario – alors que la province paie ce même médicament pour d’autres malades.  Cinquièmement, Christopher n’a pas été informé qu’il existait un programme provincial conçu très précisément pour aider les familles à faire face financièrement à un trouble médical comme le sien, à savoir le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH).  Il a fallu six mois au Ministère pour révéler l’existence de ce Programme à la famille de Christopher, et quand les représentants du Ministère en ont confirmé l’existence, ce n’était pas pour faciliter la quête de financement entreprise par la famille.  Les administrateurs médicaux lui ont communiqué ce renseignement pour tenter de se justifier et d’expliquer pourquoi la province accordait un financement à certains patients pour le même médicament, mais pas à Christopher.  Ces autres patients ayant reçu une approbation en vertu du Programme, la famille de Christopher s’est donc demandé : et Christopher?  Pourrait-il avoir un financement dans le cadre de ce Programme?  Apparemment pas – non pas parce que son cas n’est pas méritoire, mais parce que le Programme s’est tellement détérioré par suite de négligence administrative qu’il en est devenu moribond, inutile.  Ce Programme, conçu pour aider les victimes comme Christopher et pour fournir l’expertise spécialisée nécessaire à la gestion des services de santé dans les cas de troubles médicaux rares et destructeurs, s’est détérioré par suite de luttes intestines et par manque d’engagement au sein de l’administration.  Pendant six mois, la famille de Christopher n’a pas été informée du Programme parce qu’il avait implosé, permettant ainsi à la province d’affirmer qu’elle ne pouvait rien faire parce qu’elle avait les poings liés.  Finalement, pour redoubler d’insultes, on a conseillé à la famille de Christopher de faire appel à la pitié d’une compagnie pharmaceutique.  Au lieu de montrer de la compassion et d’assumer pleinement et correctement ses responsabilités en considérant le financement de ce médicament, la province a dit à la famille de faire appel à la compassion d’un conglomérat privé étranger, à but lucratif, qui n’avait pas la moindre responsabilité – pas même celle de répondre à la demande de la famille.  Sans aucun doute, la quête de financement entreprise par les Comeau-D’Orsay pour leur fils désespérément malade est devenue un exercice de futilité bureaucratique qui, un an plus tard et après bon nombre d’appels téléphoniques et de lettres, n’a pas encore été évalué à sa juste mesure.  Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée devrait être à la fois embarrassé et reconnaissant qu’il ne soit pas trop tard.  La famille de Christopher n’a pas encore fait faillite, et Christopher n’est pas encore mort.  Dans ce Rapport, je vais recommander que le traitement de Christopher soit financé – rétroactivement – que le désespoir de la famille soit soulagé, et que l’espoir lui soit redonné.  Mais auparavant, je dois examiner ouvertement les politiques équivoques qui sont jetées de l’avant comme des obstacles.

5   S’il est vrai que cette province a pour politique (relativement à tous ses programmes de remboursement discrétionnaire de médicaments) d’autoriser le financement uniquement pour les médicaments dont la vente a été approuvée par le gouvernement fédéral, alors cette politique devrait être remplacée.  Elle est trop étroite – arbitrairement.  Comme Christopher, beaucoup de résidents de cette province prennent légalement des médicaments sur ordonnance dont la vente n’a pas été approuvée.  Ces médicaments sont suffisamment sûrs ou efficaces, mais ils ne sont pas mis en vente uniquement parce qu’ils ne seraient pas rentables sur le marché.  Quel message avons-nous là? Disons-nous que si une compagnie pharmaceutique peut faire des bénéfices sur la vente de médicaments au Canada, nous financerons peut-être ces médicaments – mais que dans le cas contraire, nous ne le ferons pas.  Pareille politique empêche de subventionner des médicaments nécessaires, peu importe à quel point les malades sont âgés ou pauvres, et peu importe à quel point ils sont endettés à cause de ces médicaments.  Cette politique n’a aucun mérite. Rejeter la demande de Christopher – sans considération pour ses besoins, pour l’effet radical que ce médicament a eu sur lui, ou pour le fait que le remboursement permettrait à l’Ontario d’économiser de l’argent – uniquement parce que le fabricant ne veut pas commercialiser globalement ce médicament au Canada, c’est révéler le genre de paralysie bureaucratique qui fait rager les Ontariens lucides, et qui met ici en péril la santé d’un de ses citoyens les plus vulnérables.
 
6   Je fais donc trois recommandations dans ce Rapport.

Premièrement, accorder un financement à Christopher – rétroactivement.  Le médicament dont il a besoin, le Cystagon, est un médicament licite pour lui.  C’est le seul traitement possible.  Bien qu’on ne puisse pas en donner la preuve scientifique, car la rareté de sa maladie est telle qu’une analyse scientifique exhaustive n’est pas possible, plusieurs experts affirment que c’est grâce à ce médicament que Christopher est encore en vie.  Ses parents croulent sous le genre de dette écrasante que la province a entrepris d’alléger grâce à ses programmes de subvention des médicaments.  En finançant ce médicament, la province économisera de l’argent.  De plus, il n’y a aucune raison de laisser Christopher mourir par respect de restrictions budgétaires à long terme ou par souci de protéger la santé d’autrui.  La décision sera discrétionnaire, elle s’appuiera sur les faits propres à son cas particulier, et toute autre demande sera considérée selon ses propres mérites.  Si on considère la demande de Christopher, sans faire preuve du manque de réflexion ou des erreurs de la bureaucratie, on ne peut honnêtement pas la rejeter.

7   Je recommande aussi que, si la politique des produits pharmaceutiques « approuvés pour la vente » est vraiment appliquée en Ontario, elle soit remplacée par une politique qui permette de subventionner tout médicament dont la vente a été approuvée ou autorisée par le gouvernement fédéral dans le cadre de son Programme d’accès spécial.  L’approbation du financement d’un médicament dans un cas particulier dépendrait des mérites de ce cas, au lieu d’aller à l’encontre de ses mérites.

8   Enfin, je recommande que le Programme de maladies métaboliques héréditaires (PMMH) soit remis en service sans tarder, ou qu’un nouveau programme efficace lui succède.  Cet important Programme répond aux besoins des patients atteints de maladies spéciales et encore mal connues pour lesquelles il n’est pas aisé d’obtenir de preuves scientifiques faute d’intérêt pour la recherche, à cause de la rareté de ces maladies.  Des décisions contextuelles doivent être prises par des experts, à partir des meilleurs renseignements disponibles, sur la manière de traiter ces maladies et sur les traitements à subventionner.  Ces troubles médicaux ne doivent pas dépendre des programmes généralistes.  Le système a fait défaut à Christopher Comeau-D’Orsay parce que le Programme des maladies métaboliques héréditaires avait été négligé. D’autres en on souffert aussi.  Dans l’intérêt de nous tous, il faut réparer la chose au lieu de l’ignorer.

 

« De l’espoir au désespoir »

9   Imaginez que vous êtes un père ou une mère de famille.  Un beau matin, votre fils de sept ans, qui est en bonne santé, se réveille.  Il essaie de se lever, mais il ne peut plus marcher.  Vous l’emmenez vite chez un médecin, qui vous dit qu’il souffre d’une infection à la hanche.  On l’opère, mais sans résultat.  Son état empire.  Ses genoux et ses poignets enflent.  On vous dit alors qu’il a de « l’arthrite réactionnelle ».  Il souffre pendant plus d’une année, et puis, alors que les choses commencent à s’améliorer, sa vue se met à se détériorer.  Après diagnostic, il est traité pour une « réaction du système immunitaire », mais il va de plus en plus mal.  Il perd progressivement la vue.  Vous déménagez pour vous rapprocher de son école et vous faites de votre mieux pour tenir le coup alors que sa vue diminue.  Il a 15 ans, et la situation devient pire encore.  Il commence à avoir des hallucinations.  Il est psychotique.  On vous dit maintenant qu’il a une infection au cerveau.  Les médecins lui donnent des antibiotiques, qui restent sans effet.  On lui fait passer un tomodensitogramme (CAT scan), et on vous apprend alors que votre fils a le cerveau endommagé.  Pour une raison qu’on ignore, ses neurones meurent.  Les médecins lui donnent des médicaments antipsychotiques et le renvoient à la maison, mais ces médicaments restent sans effet eux aussi.  Il est constamment déphasé par rapport à la réalité.  Il ne parvient à dormir que quelques heures à la fois.  Vous mettez des verrous sur la porte pour qu’il ne parte pas vagabonder dehors et vous installez un système d’alarme pour être réveillé au cas où il sorte.  Il a de plus en plus de mal à marcher.  Les médecins en arrivent au fait.  Il souffre d’une forme rarissime de maladie peu commune – la maladie de Batten CLN1, une maladie neurodégénérative.  Vous apprenez que cette maladie lui enlèvera la capacité de marcher, de parler et finalement de manger – qu’il en arrivera à être nourri par une sonde et à subir une dégénérescence plus grande encore.  Votre fils se meurt.  On vous dit de le mettre dans un foyer de groupe, à cause de sa démence avancée, et de laisser le mal faire son œuvre.

10  Mais vous refusez de renoncer à l’espoir.  Incapable de proposer un semblant de remède, votre médecin vous dit qu’une étude clinique est en cours à New York.  Comme les dommages causés par la maladie de Batten sont liés à une accumulation graisseuse anormale dans le cerveau, les médecins responsables de cette étude ont décidé d’essayer de la traiter à l’aide d’un médicament, le Cystagon, utilisé pour combattre la cystinose, maladie causée par une accumulation cellulaire similaire qui atteint tout particulièrement les reins.  Ces médecins ont essayé de combattre la maladie de Batten avec le Cystagon dans une boîte de Pétri, et ça a marché.  Vous allez aussitôt à New York avec votre fils; on l’accepte dans cette étude et on lui donne ce médicament.  Et alors, tout change. En deux mois, les hallucinations de votre fils disparaissent.  Sa vue s’améliore. Il recommence à marcher.  Vous pouvez tenir des conversations avec lui, passer de bons moments en sa compagnie.  Les tests confirment que l’accumulation graisseuse dans son cerveau est maintenant réduite de moitié.  L’hémisphère gauche de son cerveau est resté endommagé par son mal, mais non seulement Christopher est vivant, il se débrouille bien – il réussit même à reprendre l’école.  Vous avez trouvé le médicament-miracle.  Au prix de 15 000 $ par année, vous ne pouvez pas vous le payer, mais Dieu merci, vous habitez en Ontario, une province qui a la santé de ses résidents à cœur, une province qui prend déjà en charge les soins de santé de votre fils.  Vous n’avez aucun doute : la province va vous aider à payer ce médicament.  Après tout, elle sauvera ainsi la vie de votre fils et ça lui coûtera moins cher que de payer les soins dont il avait besoin quand il allait si mal.

11  Quand vous communiquez avec le ministère de la Santé et des Soins de longue durée pour obtenir ce médicament, l’espoir tourne à la frustration, puis au désespoir.  On vous dit que, bien que le gouvernement finance d’autres médicaments coûteux, même pour des gens qui ont beaucoup plus d’argent que vous, il ne finance pas ce médicament‑là. Même si vous faites faillite et si vous vendez votre maison, il ne financera pas ce médicament.  On vous dit que la loi l’interdit, que le gouvernement provincial n’a pas le choix parce que le gouvernement fédéral n’a pas approuvé la vente de Cystagon au Canada.  Ce n’est absolument pas une question de coûts, ni de compassion.  C’est la loi.  Il n’est tout simplement pas possible de vous aider.  On vous dit de voir si la compagnie pharmaceutique accepterait de vous donner gratuitement ce médicament.  Même si on ne vous l’a jamais dit dans ces mots, le message est clair – « Même s’il devait mourir en résultat, nous ne pouvons rien faire.  Ce n’est pas entre nos mains. »

12  Comment vous sentez-vous quand le gouvernement vous rejette, alors que ce rejet peut vous coûter la vie de votre fils?  À quel point vous sentez-vous plus mal encore quand vous apprenez qu’une bonne partie de ce qu’on vous a dit est faux?  En effet, la province pourrait financer ce médicament si elle le voulait.  Elle a tout simplement choisi de ne pas le faire à cause d’une politique générale qui n’a aucun sens dans votre cas, et elle a omis de vous aider à répondre aux critères existants.

13  Toute cette histoire ressemble à un cauchemar, mais elle n’est pas imaginée.  C’est l’histoire de Christopher Comeau-D’Orsay et de sa famille.  Ou tout du moins ce sont les quelques premiers chapitres de cette histoire.  Ce Rapport se propose de donner une meilleure fin à l’histoire, comme il se doit.  Jusqu’à présent, la famille Comeau-D’Orsay a reçu des renseignements inexacts.  On les a fait courir en rond.  Ils se sont heurtés à des excuses imparfaites, à des données incomplètes, et au genre d’inertie qui a causé l’atrophie et la dormance du Programme qui pourrait sauver Christopher.  La famille Comeau-D’Orsay n’a pas eu l’aide qu’elle était en droit de recevoir des administrateurs de programmes et des décideurs de politiques, car ou bien ceux-ci n’avaient pas une compréhension adéquate des règlements qu’ils appliquaient, ou bien ils souffraient d’une léthargie qui les privait du bon sens nécessaire pour savoir ce qui est possible en cas de nécessité, ou ce qui est nécessaire en cas de possibilité.  Que Christopher obtienne son dû ou pas de la province n’a rien à voir avec la loi.  C’est une question de choix.  Ce Rapport porte sur le choix d’accorder une aide.  Il porte sur le choix d’accorder une aide non seulement à la famille Comeau-D’Orsay, mais aux autres familles qui sont aux prises avec cette maladie rare et obscène, ainsi qu’avec l’administration fautive du gouvernement qui compromet inutilement leur santé et qui peut même, dans certains cas, leur coûter la vie.

 

Aperçu

14  J’ai confié l’enquête sur l’affaire Christopher Comeau-D’Orsay à mon Équipe d’intervention spéciale de l’ombudsman (EISO).  Composée de quatre membres du personnel, dont des enquêteurs et les avocates principales, l’équipe s’est chargée du dossier.

15  Les enquêteurs de l’EISO ont fait des entrevues avec quatre représentants du ministère de la Santé et des Soins de longue durée.  Deux médecins spécialistes ont aussi donné généreusement de leur temps et ont fourni des renseignements sur la situation de Christopher à mes enquêteurs.  L’un deux leur a également donné l’opinion très franche d’un praticien sur les programmes du Ministère.

16  L’équipe a passé en revue plus de 1 000 pages de documentation et de transcription d’entrevues.  Elle a demandé divers documents au Ministère, dont des notes d’information.

17  Toutes les entrevues officielles ont été enregistrées.

18  Ce Rapport se conclut par une recommandation urgente, parmi d’autres, demandant que l’aide nécessaire soit accordée à la famille Comeau-D’Orsay.

 

La maladie et le médicament-miracle

19  La maladie de Batten est une maladie rare qui attaque le système d’élimination des déchets cellulaires du corps, permettant ainsi l’accumulation malsaine et dévastatrice d’une substance graisseuse que le corps éliminerait normalement.  Aux États-Unis, où l’incidence de cette maladie a été étudiée, elle frappe seulement de deux à quatre personnes sur 100 000.  Christopher souffre d’une forme très particulière de cette maladie, qui s’attaque à un tout petit nombre seulement.  Dans son cas, la maladie met en cause le gène appelé CLN1.  Nous avons appris que seulement trois enfants souffrent de la maladie de Batten CLN1 en Ontario, et que sur ces trois, seul Christopher peut être traité au Cystagon.  La maladie de Batten CLN1 résulte d’un déficit enzymatique qui permet une accumulation de substance graisseuse attaquant le cerveau, la rétine et le système nerveux central.  Comme le montre le cas de Christopher, cette forme de maladie se caractérise par une cécité, un déclin cognitif et une psychose.  Christopher défie actuellement les toutes dernières manifestations de cette maladie – une dégénérescence continue, puis la mort.  Le consensus général parmi ses médecins veut que Christopher y parvienne grâce au Cystagon.

20  Il n’est pas le moindrement possible de proclamer scientifiquement que le Cystagon est un remède à ce terrible mal.  Le manque de preuve scientifique sur la manière de soigner ou de guérir cette maladie résulte en grande partie du fait qu’elle est fort heureusement rare.  Les enfants atteints de la maladie de Batten CLN1 meurent souvent dans l’espace de deux à trois ans, et il est difficile de trouver des enfants suffisamment en santé pour participer à des études.  Il n’y a pas assez de sujets pour obtenir aisément la preuve scientifique de l’efficacité de ce médicament.  De plus, en raison de la rareté de cette maladie, les compagnies pharmaceutiques sont peu intéressées à investir dans la recherche et le développement.  Personne ne peut donc invoquer la science pour affirmer que le Cystagon est un remède, et il est possible que la petitesse des échantillons interdise à quiconque de jamais faire pareille proclamation en s’appuyant sur des normes scientifiques.  Toutefois, il y a un point sur lequel tous les médecins de Christopher sont d’accord, et qui semble au‑delà de toute contestation raisonnable. Pour Christopher, le médicament donne des résultats.

21  Il y a environ quatre ans que le Dr Minassian, neuropédiatre à l’Hospital for Sick Children, a rencontré Christopher pour la première fois.  À cette époque, Christopher souffrait des problèmes de vision et de la psychose floride que j’ai décrits.  Il était en chaise roulante, incapable d’aller à l’école.  Le Dr Minassian a dit aux parents de Christopher que sa maladie était mortelle.  En l’absence de tout traitement connu, le Dr Minassian a référé la famille à l’étude entreprise sur le Cystagon à New York, lui offrant ainsi un petit rayon d’espoir.  Le Dr Minassian qualifie de « remarquable » ce qui s’est produit quand Christopher a commencé à prendre du Cystagon.  Il a été émerveillé par son « amélioration radicale pour une maladie considérée évolutive et fatale ».  Le médicament n’a pas seulement arrêté la dégénérescence chez Christopher, mais il a amélioré son état de santé.  Sa psychose a complètement disparu.  Il est pleinement capable de marcher, de voir des formes.  Il a repris l’école.  Il communique, répond.  Son état est stable.  Selon le Dr Minassian, Christopher serait mort actuellement s’il n’avait pas pris de Cystagon.  Le 21 janvier 2005, le Dr Minassian a fait ce commentaire :

Il est parfaitement évident que le médicament marche.  L’étude [de New York] continue de progresser, et continuera pour quelque temps encore, car la maladie est rare, et il faut davantage de sujets pour parvenir à des conclusions globales définitives.  Cependant, il ne fait aucun doute que pour Christopher, cela a été presque un miracle.


22  Le Dr Minassian n’est pas le seul médecin à conclure que le Cystagon aide radicalement Christopher.  La Dre Krystyna Wisniewski, sa neuropédiatre à New York, a écrit le 8 juillet 2004 :

… Depuis qu’il a commencé à prendre du Cystagon en juin 2003, Christopher n’a plus d’hallucinations visuelles et auditives.  Le Lithium, le Zyprexa, le Seroquel, le Risperdal et le Tegretol étaient restés sans effet sur ces hallucinations.  De plus, sa fonction cognitive s’est stabilisée, il est plus coopératif et moins agité.

Il n’a plus de crises d’épilepsie.  Les analyses du sang au microscope électronique montrent une diminution de 50 % de l’accumulation cellulaire.

De nettes améliorations se sont produites chez Christopher depuis qu’il prend du Cystagon.  Il est impératif que Christopher continue de prendre du Cystagon.


23  Dans une lettre datée du 6 août 2004, la Dre Elise Heon, ophtalmologue en chef, Hospital for Sick Children, a écrit :

J’ai la ferme certitude que Christopher est en nette amélioration depuis qu’il prend du Cystagon.  J’estime qu’il a récupéré une partie de sa vision, et définitivement une partie de son interaction visuelle… Je pense qu’il est extrêmement important pour Christopher de continuer à prendre ce médicament pour conserver ses capacités visuelles actuelles… Quand Christopher a fait sa première rechute grave en 2002, il a presque complètement perdu sa capacité de perception de la lumière.  Maintenant, sa vue s’est améliorée au point où il peut presque voir le mouvement des mains et où il perçoit assez les formes pour pouvoir se déplacer et interagir avec son environnement.  Je considère que cette amélioration est plutôt spectaculaire et qu’il faudrait la poursuivre.


24  Le Dr Kraus, psychiatre, a écrit le 20 août 2004 :

Depuis qu’il a commencé à prendre du Cystagon en juin 2003, Christopher n’a plus d’hallucinations visuelles et auditives.  Ces hallucinations résistaient aux essais de traitement individuels et combinés de lithium, olanzapine, quetiapine, risperidone et carbamazephine, mais il y a eu de nets progrès avec un traitement continu au Cystagon.  De plus, sa fonction cognitive s’est stabilisée, il est plus coopératif et moins agité…

De nettes améliorations se sont produites chez Christopher depuis qu’il prend du Cystagon.  Il est impératif que Christopher continue de prendre du Cystagon.


25  Certes, on ne peut pas prédire si le Cystagon sera généralement accepté un jour comme traitement efficace et sûr de la maladie de Batten CLN1, mais les mots du Dr Minassian sont justes quand on considère les besoins de Christopher :

Je crois fermement qu’il faut s’appuyer sur des preuves… mais nous avons la preuve chez le patient en personne actuellement, alors nous n’avons pas besoin de preuves provenant d’une étude… Il n’y a rien de mieux que ce genre de preuve, car elle nous vient du patient lui-même, pas de groupes d’autres patients… Nous avons la preuve que ce médicament aide ce jeune, et sans ce médicament ce jeune mourra, c’est clair comme de l’eau de roche pour quiconque veut bien le voir…


26  Bien qu’il n’existe pas de « preuve scientifique », un fait est incontestable à la lumière des observations de ces professionnels de la santé – le Cystagon a fait des merveilles pour Christopher Comeau-D’Orsay. Grâce à lui, Christopher a non seulement une qualité de vie meilleure, mais il a échappé à la mort.

 

Le coût des soins médicaux

27  Un autre facteur incontestable mérite d’être présenté sans plus tarder.  Même si on écarte les considérations non quantifiables sur la qualité de la vie, il s’avère beaucoup moins coûteux de donner du Cystagon à Christopher que de lui en refuser.  La posologie de ce médicament pour Christopher équivaut à environ 15 000 $ par année.  Il était plus coûteux de traiter seulement les symptômes de Christopher.  Avant le Cystagon, à une époque, il fallait dépenser 1 200 $ par mois en médicaments antipsychotiques qui restaient sans effet, plus 600 $ par mois en compléments alimentaires.  Chose plus importante encore, Christopher était sur la voie rapide vers des soins en établissement, qui coûtent de 90 $ à 450 $ par jour.  Dans le cas de Christopher, le Cystagon n’est pas seulement un moyen d’épargner une vie, mais d’épargner de l’argent.

28  Mais la famille de Christopher n’a pas les moyens d’acheter ce médicament.  Son père, Robert D’Orsay, travaille comme mécanicien.  Sa mère, Wendy Comeau-D’Orsay, peut difficilement travailler; en dépit de l’amélioration de la santé de Christopher, elle doit continuer de se consacrer à son fils.  Le Cystagon est tout simplement trop coûteux pour eux.  Les efforts vaillants de Robert D’Orsay pour acheter le Cystagon de Christopher mènent la famille à la ruine financièrement.  La ligne de crédit de Robert D’Orsay est « à son max ».  Il a fait toutes les heures supplémentaires qu’il pouvait trouver.  Il ne reste rien de son Régime enregistré d’épargne-retraite.  La seule chose qui reste à la famille, c’est sa maison.  Et les Comeau-D’Orsay disent que l’an prochain, ça devra partir aussi.  Wendy Comeau-D’Orsay est affirmative : « On ne va pas le priver de ce médicament, on va devoir utiliser l’avoir dans la maison et louer, ou faire quelque chose… ».  Les Comeau-D’Orsay doivent hypothéquer leur avenir, pour donner un avenir à leur fils, et si aucune aide ne leur est accordée, même ça ne suffira pas.

29  Si on écarte les règles rigides, les règlements contraignants, ou le respect irréfléchi de politiques catégoriques fondé sur des considérations financières généralisées qui ne s’appliquent pas à ce cas, quelle serait la solution sensée?  La réponse est évidente – claire – incontournable.  La Province de l’Ontario devrait payer ce médicament.  La rentabilité des coûts et la décence humaine en veulent ainsi.  La question, en fin de compte, c’est de savoir si cette solution sensée sera possible, ou bien si elle sera victime de règles rigides et de règlements contraignants.  La famille Comeau-D’Orsay a été avisée que ce n’était pas possible, que la province avait les mains liées.  C’est ce qu’on lui a dit, avec une incompétence étonnante, alors que ceci est faux.

 

Erreurs, excuses et omissions : Des obstacles à l’aide

30  Quand ils se sont tournés vers leur gouvernement, les Comeau-D’Orsay se sont heurtés à un mauvais fonctionnement de l’administration gouvernementale comme les résidents de cette province ne devraient jamais en voir, même pour des problèmes mineurs.  Le plus grave, c’est que le problème des Comeau-D’Orsay n’est vraiment pas mineur.  Leur détresse est telle qu’on pourrait croire que des individus bienveillants feraient tout pour explorer l’art du possible au lieu d’écarter la question en affirmant qu’elle échappe à leur contrôle.  Quand la famille Comeau-D’Orsay s’est addressée au bureau du premier ministre, on leur a fait savoir que la situation de Christopher ne cadrait pas avec aucun programme du Ministère et qu’on ne leur accorderait aucun financement.  Si on regarde de plus près, on constate que Christopher pourrait cadrer avec les programmes, mais il faudrait pour cela que les représentants responsables lui aient donné des conseils adéquats, ou qu’ils aient veillé à garder en place les programmes créés.

31  Pour bien décrire les problèmes de cette famille, il faut tout d’abord faire un examen incontestablement aride mais heureusement rapide des règles et règlements qui s’appliquent à la fourniture de médicaments en Ontario.

 

Le complexe des services médicaux

32  Tous ceux et celles qui sont familiers avec les services médicaux au Canada savent que, dans cette Confédération, les provinces et le gouvernement fédéral ont un rôle à jouer.  En termes simplifiés, le gouvernement fédéral détermine si l’usage d’un médicament est licite, tandis que les provinces sont responsables de la fourniture et du financement.

 

Accès aux médicaments – Le rôle du gouvernement fédéral

33  Mes enquêteurs ont été informés qu’il existait trois modes pertinents d’obtention des médicaments au Canada : 1) les médicaments approuvés pour la vente par Santé Canada, 2) les médicaments approuvés par Santé Canada en vertu de son Programme d’accès spécial, et 3) les médicaments autorisés par suite d’une « exemption pour usage personnel ».  Quelques mots méritent d’être dits sur chacune de ces trois méthodes.

 

1) Accès aux médicaments approuvés

34  Un médicament peut être importé et commercialisé au Canada si sa vente a été approuvée par Santé Canada pour le traitement de maladies spécifiées.  Santé Canada impose avec raison des normes exigeantes et scientifiques de contrôle de la qualité à l’approbation de la mise en marché généralisée des médicaments.  La Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada étudie à la fois l’efficacité et la sécurité d’un médicament pour décider si elle doit approuver sa mise en marché.  Avant qu’un médicament approuvé ne puisse être vendu au Canada, Santé Canada doit lui accorder un Avis de conformité [NOC] et un Numéro d’identification du médicament [DIN].  Il faut généralement au moins un an pour obtenir un Avis de conformité, mais le processus peut prendre jusqu’à 10 ans.

 

2) Accès en vertu du Programme d’accès spécial

35  Le Programme d’accès spécial de Santé Canada permet de fournir des médicaments non approuvés à une personne spécifiée, pour un trouble médical défini.  L’accès à ce Programme est autorisé, pour des raisons de compassion ou d’urgence, aux personnes atteintes de maladies graves ou de maladies qui mettent leur vie en danger, quand les thérapies conventionnelles sont sans résultat, non disponibles ou non appropriées.  Un médecin praticien présente la demande pour l’usage du médicament.  C’est ce médecin praticien, et non Santé Canada, qui décide selon les risques et bénéfices.  Une autorisation en vertu du Programme d’accès spécial n’équivaut donc pas à une opinion ou à une déclaration indiquant que le médicament soit sûr, efficace ou de haute qualité.  C’est une décision discrétionnaire, fondée sur une nécessité circonstancielle.  Santé Canada s’efforce de répondre aux demandes d’accès spécial dans les 24 heures qui suivent réception.  Une fois qu’un médicament a été approuvé en vertu du Programme d’accès spécial, le fabricant n’est nullement contraint de le fournir et il est libre d’imposer des conditions sur sa distribution.  Rien n’oblige les fabricants à donner gratuitement des médicaments approuvés en vertu du Programme d’accès spécial, mais beaucoup l’ont fait de par le passé.

 

3) « Exemptions pour usage personnel »

36  L’article A.01.040 du Règlement sur les Aliments et Drogues du gouvernement fédéral stipule que :

Sous réserve de l’article A.01.044, il est interdit d’importer pour la vente des aliments ou des drogues dont la vente au Canada enfreindrait la Loi ou le présent règlement.


37  Cet article ne s’applique pas à une personne qui importe un médicament pour usage personnel, et non pour la vente.  Bien sûr, d’autres dispositions rendent illicite l’importation ou la possession de médicaments spécifiés, mais tant qu’un médicament ne tombe pas sous le coup de telles dispositions et tant qu’il n’est pas importé pour la vente, il peut être importé légalement.

 

L’accès de Christopher au Cystagon

38  Le Cystagon n’a jamais été approuvé pour la vente au Canada, bien qu’il ait été approuvé pour la vente aux États-Unis par la Federal Drug Administration (FDA) le 15 août 1994.  Bien que ce médicament soit utilisé au Canada pour traiter quelque 50 patients atteints de cystinose, son fabricant ne le mettra fort probablement pas en marché au pays.  Il serait trop coûteux pour le fabricant d’essayer de se conformer aux normes rigoureuses imposées par Santé Canada pour approuver la vente d’un médicament.  Commercialement parlant, ce ne serait tout simplement pas viable pour le fabricant.  Toutefois, ce médicament est fourni aux patients atteints de cystinose, en vertu du Programme d’accès spécial.  Personne n’a jamais fait de demande de Cystagon pour la maladie de Batten en vertu de ce Programme d’accès spécial. La famille Comeau-D’Orsay n’en a jamais fait pour Christopher.  En effet, Christopher a légalement accès à ce médicament en vertu du troisième mécanisme indiqué.  Médicament licite, le Cystagon est acheté pour lui dans une pharmacie de Pittsburgh puis importé comme médicament non destiné à la vente, mais pour son usage personnel.  Le problème actuel de Christopher n’est pas d’avoir accès à ce médicament.  C’est un problème de financement.

 

Le financement des médicaments – Rôle du gouvernement provincial

39  Ce sont les gouvernements provinciaux qui déterminent le niveau de financement public des médicaments sur ordonnance pour leurs résidents.  Le financement des médicaments sur ordonnance en Ontario relève du ministère de la Santé et des Soins de longue durée, en vertu de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario et de ses règlements.  Seuls sont admissibles au remboursement les médicaments prescrits par un membre de la profession médicale autorisé à exercer en Ontario.  Par suite d’une série de règles juridiques, ceci signifie qu’un médicament doit être dispensé dans cette province pour être subventionné.  De plus, le financement de tout médicament en vertu de n’importe quel programme de la province est sujet à deux exigences générales, la première ayant trait à l’admissibilité du requérant, la deuxième ayant trait à l’admissibilité du médicament.  Les deux programmes[1] ontariens pertinents aux fins de ce Rapport, et leurs dispositions, se présentent ainsi :

 

1) Le Programme de médicaments Trillium

40  Les « personnes admissibles » au Programme de médicaments Trillium[2] sont les personnes qui ont des coûts de médicaments élevés par rapport à leur revenu familial. Ce Programme ne s’adresse pas uniquement aux personnes qui sont pauvres, bien qu’une franchise soit imposée en fonction du revenu et de la grandeur de la famille.  Christopher Comeau-D’Orsay est une « personne admissible » à ce Programme.

41  Mais il ne suffit pas d’être une « personne admissible » pour obtenir un financement.  Il faut aussi que le médicament soit admissible, or tous les médicaments sur ordonnance approuvés pour la vente ou la consommation au Canada ne sont pas admissibles.  Pour être admissible, un médicament doit être énuméré comme « médicament désigné » dans un index compilé en vertu des règlements de la loi.  Cet index porte le nom de Formulaire des médicaments de l’Ontario/Index comparatif des médicaments.  Il est compilé par un comité consultatif d’experts, le Comité d’appréciation des médicaments et des thérapeutiques, qui étudie les demandes des fabricants puis fait des recommandations au ministre.  Le Cystagon n’est pas un médicament énuméré.  Les Comeau-D’Orsay ne peuvent donc pas bénéficier d’un financement à titre de « médicament désigné », même si ce médicament était acheté par eux en Ontario.

42  En plus de cette catégorie de médicaments désignés, il existe une disposition spéciale qui prévoit le financement de médicaments non désignés.  Le financement de médicaments non énumérés est assuré en vertu de l’article 8 de la Loi sur le régime de  médicaments de l’Ontario, autorisant le ministre à financer des médicaments non énumérés mais qui sont requis pour le traitement approprié d’un malade admissible.  Le Comité d’appréciation des médicaments et des thérapeutiques conseille le ministre sur l’approbation des demandes en vertu de l’article 8.  Si Christopher devait être admissible au Programme de médicaments Trillium, ce serait en vertu de l’article 8, qui est incorporé à ce Programme, conformément aux règlements.

 

2)  Programme des maladies métaboliques héréditaires

43  Il y a, dans l’arsenal du Ministère, un autre programme destiné à venir en aide aux Ontariens qui est pertinent dans cette affaire.  C’est le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) qui relève de la Division de la santé publique.  Le PMMH est pertinent dans ce cas, car la maladie de Batten est une maladie métabolique.  Christopher serait donc admissible à ce Programme.

44 Pour être financé dans le cadre du PMMH, un médicament, un complément alimentaire ou un aliment spécial doit être énuméré comme étant disponible pour le trouble médical spécifié.  L’index des thérapies approuvées a été élaboré par le Comité consultatif sur les maladies métaboliques héréditaires, qui est composé d’experts de cinq centres de traitement régionaux.  Le Cystagon est énuméré au PMMH, mais il est accordé gratuitement uniquement pour traiter la cystinose.  Pour des raisons que nous examinerons ci-après, ce comité n’a jamais considéré si le Cystagon devrait être approuvé pour traiter la maladie de Batten.

 

La quête de financement – Un exercice de futilité bureaucratique

45  C’est à travers ce réseau complexe de régimes et de programmes que Robert D’Orsay a dû naviguer dans sa quête de financement.  À l’automne 2004, son député lui a conseillé de faire une demande dans le cadre du Programme de médicaments Trillium.  Il a donc présenté une demande, mais on lui a dit qu’il faudrait plusieurs mois pour déterminer si le Programme prendrait en charge le médicament en vertu de l’article 8 de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario.  Poussé par l’urgence, M. D’Orsay a écrit au ministre de la Santé, l’honorable George Smitherman, le 27 octobre 2004, pour demander une aide financière.  Pour bien communiquer l’urgence de son cas au ministre, il a expliqué qu’il serait forcé de faire appel aux médias si une solution n’était pas trouvée dans les trois semaines.

46  La lettre de M. D’Orsay, accompagnée de documents à l’appui, a été transmise du bureau du ministre à la directrice, Direction des programmes de médicaments, ministère de la Santé et des Soins de longue durée.  Celle‑ci a répondu moins de 10 jours plus tard, le 5 novembre 2004.  La lettre, signée par elle et préparée avec l’aide d’administrateurs médicaux du ministère, comprenait les passages pertinents ci‑dessous :

47  Avant qu’un médicament non énuméré puisse être considéré pour remboursement dans le cadre du Programme de médicaments de l’Ontario, un Avis de conformité [NOC] et un Numéro d’identification du médicament [DIN] doivent lui être assignés par le Programme des produits thérapeutiques (PPT) de Santé Canada.  Le PPT est responsable d’approuver un médicament pour la vente et la commercialisation au Canada en évaluant son efficacité et sa sécurité, et en considérant de nombreuses recherches, y compris des études sur l’efficacité du produit médicamenteux sur les animaux et des études toxicologiques.  Une fois que le gouvernement fédéral a approuvé un médicament, un NOC et un DIN sont assignés au nouveau produit médicamenteux, qui peut alors être vendu et utilisé très généralement par les médecins au Canada.

48  En vertu des lois qui régissent actuellement l’administration du Programme [de médicaments de l’Ontario], seuls les médicaments approuvés par Santé Canada (c’est-à-dire les médicaments qui ont reçu un [Avis de conformité] et un [Numéro d’identification du médicament] peuvent être considérés pour remboursement dans le cadre du Programme [de médicaments de l’Ontario].  Par conséquent, des médicaments comme le Cystagon qui n’ont pas d’[Avis de conformité] ni de [Numéro d’identification du médicament] ne sont pas admissibles pour énumération dans ce Formulaire, ni admissibles au remboursement dans le cadre du Programme [de médicaments de l’Ontario].

49  Comme vous le savez, les médecins peuvent se procurer un médicament encore non approuvé par Santé Canada, et ceci cas par cas, par le biais du Programme d’accès spécial de Santé Canada… Je comprends, à la lecture de votre lettre, que Santé Canada approuve uniquement le Cystagon pour le traitement de la cystinose en vertu de son Programme d’accès spécial[3].  Malheureusement, pour les raisons données ci‑dessus, cette question relève du gouvernement fédéral et c’est pourquoi je recommande que le médecin de votre fils continue de travailler avec Santé Canada ou avec le fabricant du Cystagon afin de voir s’il serait possible d’obtenir ce médicament par compassion, dans le cas particulier de votre fils.


50  La lettre de la directrice, datée du 5 novembre 2004, n’est pas sans ambiguïtés, mais son message global est suffisamment clair.  Pour une personne du commun, c’est une façon longue et complexe de dire « non ».

51  Cette lettre du 5 novembre 2004 n’est pas le seul communiqué auquel je vais m’en prendre, et je ne souhaite aucunement en faire une critique particulière, mais je considère pratique de la prendre comme exemple afin d’organiser les commentaires plus généraux que j’ai à faire sur la manière dont le Ministère a répondu à la demande de la famille Comeau-D’Orsay.

52  Dans l’ensemble, outre la réponse finale, je trouve cette lettre déconcertante à bien des égards.  Premièrement, elle indique que le Ministère se décharge de ses responsabilités sur le gouvernement fédéral en disant à M. D’Orsay de faire une demande au Programme d’accès spécial du Canada; deuxièmement, elle déclare incorrectement que la loi exige qu’un médicament soit approuvé pour la vente afin d’être admissible au remboursement, alors que la loi n’impose rien de pareil; troisièmement, considérée avec l’ensemble de la correspondance, des notes de service et des courriels du Ministère, elle reflète la confusion qui existe au Ministère quant aux approbations fédérales requises par ses propres politiques; quatrièmement, elle déclare à tort que le Cystagon est un médicament qui ne peut pas être financé; cinquièmement, elle omet de révéler l’existence et la situation du Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH), qui devrait fournir une option de financement; et sixièmement, elle laisse aux compagnies pharmaceutiques le soin de régler la question, et ceci sans explication ni appui adéquat.  Je vais reprendre chacun de ces six points plus en détail ci‑après.  Mais auparavant, je dois examiner un autre aspect de la question, soit la non-pertinence de l’avis de délivrance en pharmacie de l’Ontario que la famille a reçu.

 

Non-pertinence de l’avis de délivrance en pharmacie de l’Ontario

53  Quelques jours après avoir reçu la lettre de la directrice, Direction des programmes de médicaments datée du 5 novembre 2004, et sans rapport avec elle, Robert D’Orsay a été informé par les administrateurs du Programme de médicaments Trillium que sa demande avait été refusée.  Il en a ensuite reçu confirmation écrite.  Les raisons présentées par les administrateurs du Programme de médicaments Trillium diffèrent de celles avancées dans la lettre de la directrice.  Ces administrateurs ont avisé Robert D’Orsay, dans un document standard, que les médicaments doivent être dispensés en Ontario pour être admissibles au Programme de médicaments Trillium.  Si je mentionne ce point, c’est parce que considéré isolément, cet avis – que j’ai appelé « avis de délivrance en pharmacie de l’Ontario » pour simplifier les choses – pourrait inciter certains à conclure que la plainte de Robert D’Orsay à mon bureau n’est pas valide, soit parce que cette demande n’était pas admissible légalement, quelles que soient les autres circonstances, soit parce qu’au lieu de se plaindre les Comeau-D’Orsay auraient dû trouver un moyen de se procurer ce médicament dans une pharmacie de l’Ontario.  À mon avis, en arriver à l’une ou l’autre de ces deux conclusions serait profondément injuste.  Premièrement, la lettre de la directrice et d’autres communications indiquaient clairement que même si le Cystagon était dispensé en Ontario, il ne serait pas couvert.  Dans ce cas, pourquoi Robert D’Orsay aurait-il inutilement cherché à obtenir ce médicament dans une pharmacie de l’Ontario alors que ce médicament lui venait déjà de New York, puisque de tels efforts ne lui serviraient pas à obtenir le financement du médicament?  Deuxièmement, comme on le verra dans la discussion ci‑dessous, personne n’a jamais clairement conseillé Robert D’Orsay sur la manière de procéder pour cela.  Certes, on l’a informé du Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral, qui aurait rendu possible une ordonnance en Ontario, mais on ne lui a jamais expliqué adéquatement à quoi pourrait servir sa demande au Programme d’accès spécial.  On ne lui a jamais expliqué que c’était un moyen d’obtenir une ordonnance en Ontario.  Dans pareilles circonstances, il serait injuste de laisser l’avis de délivrance en pharmacie de l’Ontario, reçu par Robert D’Orsay, porter préjudice à sa demande.

54  En tout cas, ce message clair ne peut éradiquer les autres problèmes que reflète la lettre de la directrice datée du 5 novembre 2004.

 

Six points troublants

1) Se décharger de ses responsabilités sur le gouvernement fédéral

55  Alors que M. D’Orsay demandait un financement, le dernier paragraphe de cette lettre du 5 novembre 2004 le renvoie au Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral.  Faute de toute autre explication, c’est une chose étonnante car ce Programme a pour but de déterminer la légalité de l’accès aux médicaments, pas leur financement.  Il n’est pas clair dans cette lettre pourquoi un homme qui cherchait à obtenir un financement, relevant du gouvernement provincial, a été référé à un programme fédéral.

56  On peut rapidement écarter une première possibilité – la directrice, Direction des programmes de médicaments aurait pu croire à tort que le problème fondamental de M. D’Orsay était un problème d’accès et non de financement[4].  La lettre de la directrice, datée du 5 novembre 2004, commence par ces mots : « Merci de votre lettre concernant le remboursement du Cystagon dans le cadre du Programme de médicaments de l’Ontario pour votre fils, Christopher Comeau-D’Orsay. »

57  Une deuxième possibilité est également peu probable – M. D’Orsay aurait été encouragé à faire appel au Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral, afin que le gouvernement provincial puisse approuver en fin de compte le financement de ce médicament, et ceci soit pour passer outre l’exigence de délivrance en Ontario, soit pour d’autres raisons.  Cette possibilité est à écarter car la lettre de la directrice indique clairement qu’à son avis, le financement est uniquement possible pour les médicaments pleinement approuvés pour la vente au Canada.  La directrice ne fait jamais allusion au fait que les médicaments approuvés par le gouvernement fédéral pour accès spécial peuvent être remboursés par la province, et elle ne mentionne absolument jamais qu’une approbation d’accès spécial serait un moyen d’obtenir un financement provincial.

58  Il y a enfin la possibilité renversante qu’au moment où cette lettre a été écrite le 5 novembre 2004, la directrice de la Direction des programmes de médicaments et son personnel étaient incertains du rôle du gouvernement fédéral, et par conséquent du propre rôle de la province, en ce qui concerne la fourniture des médicaments.  Cette possibilité émerge du commentaire curieux fait par la directrice dans sa lettre du 5 novembre 2004 : « Malheureusement, vu ce qui a été dit ci‑dessus, la question tombe sous l’autorité du gouvernement fédéral. »  La « question » discutée était une question de financement, et cette question relève du gouvernement provincial – pas du gouvernement fédéral.

59  J’hésite à conclure que le gouvernement provincial ait pu mal comprendre un point aussi fondamental que son propre rôle dans la fourniture des médicaments.  Je soupçonne qu’il y a des causes inexpliquées à ce renvoi au programme fédéral.  Ce qui est clair par contre, c’est que la réponse constitue un manquement terrible à communiquer efficacement.  En fin de compte, M. D’Orsay est resté sur la seule impression qu’il pouvait avoir.  Quand il a reçu cette lettre du Ministère, il a compris – et ce sont ses propres mots – qu’on essayait de le « renvoyer chez les Feds ».  Face à un homme aux prises avec un problème urgent et douloureux, son propre gouvernement provincial s’est débarrassé de ses responsabilités sur un autre gouvernement, alors que c’était à lui de régler ce problème.

60  Ce n’est pas la seule fois où M. D’Orsay a été renvoyé sans explication au gouvernement fédéral.  Six mois plus tard, le 29 avril 2005, la directrice, Direction des programmes de médicaments l’a référé une fois de plus au Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral.  Mais cette fois, elle a pris la précaution de lui dire : « Il faudrait noter, toutefois, que ce Programme n’assure pas de financement. »

61  Incontestablement, le réseau complexe de programmes fédéraux et provinciaux est un défi de taille, même pour les avocats et les administrateurs médicaux.  Il est regrettable que M. D’Orsay n’ait jamais reçu d’explications claires sur les raisons pour lesquelles on l’avait référé au gouvernement fédéral.  L’impression qui lui est restée, c’est qu’on le faisait tourner en rond, alors que l’avenir de son fils était en jeu.

 

2) Invoquer la « Loi » pour refuser une demande légale

62  Je suis aussi profondément troublé car la lettre du 5 novembre 2004 affirme à tort à la famille Comeau-D’Orsay que la « loi » interdit au gouvernement de l’aider – ce qui n’est pas vrai. Certes, aucune disposition légale ne prévoit le remboursement pour un médicament délivré sur ordonnance à New York, mais la « loi » prévoit un moyen par lequel les Comeau-D’Orsay pourraient obtenir une ordonnance en Ontario – à savoir, le Programme d’accès spécial.  Quoi qu’il en soit, la « loi » invoquée comme faisant obstacle à la demande de M. D’Orsay n’est pas l’exigence de délivrance en pharmacie de l’Ontario.  M. D’Orsay a été informé que « les textes de loi actuels » permettent uniquement au gouvernement ontarien de rembourser les médicaments approuvés pour la vente et la distribution par le gouvernement fédéral, ce qui est faux.

63  La directrice de la Direction des programmes de médicaments n’a pas été la seule a invoquer la « loi » pour justifier ce refus de financement. Quand M. Ron Sapsford, sous-ministre, a répondu le 5 août 2005 à mon avis d’intention de faire enquête, lui aussi a expressément invoqué la loi :

… le Cystagon n’a pas été approuvé pour commercialisation au Canada par Santé Canada (il n’a pas de NOC, ni de DIN) et par conséquent, les règlements de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario qui régissent les programmes de médicaments de l’Ontario empêchent le ministère de considérer le financement. (souligné en caractères gras par nous)


64  Apparemment, même le ministre a été informé qu’il avait les mains liées par la loi.  Un reportage de nouvelles fait le 21 juillet 2005 par CBC sur le cas de Christopher cite ainsi le ministre : « En fait, ce médicament n’a pas été approuvé par Santé Canada, et faute d’approbation par Santé Canada, nous ne sommes pas en mesure de le prendre en charge. »

65  « C’est interdit par la loi » constitue bien sûr une réponse définitive à toute requête.  Mais un examen des règlements juridiques pertinents montre qu’il était tout simplement inexact de dire aux Comeau-D’Orsay et à nous-mêmes que la loi interdit le financement à Christopher.  La décision ne vient pas d’un « nous ne pouvons pas ».  Elle vient d’un « nous ne voulons pas », déguisé sous forme d’un « nous ne pouvons pas ».

66  Premièrement, il n’existe aucune loi fédérale susceptible de jouer sur cette décision.  Les représentants de Santé Canada avec qui nous avons communiqué n’avaient connaissance d’aucune exigence pouvant empêcher une province de financer ce médicament pour Christopher.  Nous avons procédé à des recherches de notre côté, et nous n’avons rien trouvé qui interdise le financement provincial des médicaments licites comme le Cystagon[5].  En fait, j’ai été informé par un avocat-conseil qu’il serait ultra vires ou hors du champ de compétence du gouvernement fédéral de dicter à une province quand elle peut financer des médicaments licites, et quand elle ne le peut pas.

67  Alors qu’en est-il des lois provinciales et de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario cités par le sous-ministre?  Il faut bien se souvenir que cette Loi porte à la fois sur les « médicaments énumérés » et sur les « médicaments non énumérés ».  En résumé, si un médicament n’est pas énuméré comme approuvé pour la vente, il ne peut pas être financé en tant que médicament énuméré; mais c’est différent pour les médicaments non énumérés.  La province peut les financer, qu’ils soient approuvés pour la vente ou pas.  Je considérerai tout d’abord les « médicaments énumérés ».

68  Les médicaments énumérés dans le Formulaire des médicaments de l’Ontario/Index comparatif des médicaments doivent être approuvés pour la vente par Santé Canada afin d’être admissibles à un remboursement, mais ceci uniquement parce qu’un médicament ne peut pas être énuméré dans le Formulaire tant qu’il n’a pas été approuvé pour la vente.  En vertu du règlement 12(1) du Règl. de l’Ont. 201/96, la province a fait de l’approbation pour la vente par le gouvernement fédéral une prescription de loi à l’énumération d’un médicament dans le Formulaire provincial.  En termes simples, il n’est pas possible d’obtenir le remboursement d’un médicament énuméré qui n’a pas été approuvé pour la vente par Santé Canada, car aucun médicament encore non approuvé par Santé Canada n’a jamais été énuméré dans le Formulaire.  Fondamentalement, il est correct de dire, bien que de façon détournée, que la loi interdit le remboursement des médicaments énumérés tant qu’ils n’ont pas été approuvés pour la vente par Santé Canada.

69  Qu’en est-il alors des médicaments « non énumérés» comme le Cystagon?  Comme je l’ai mentionné, une disposition de l’article 8 de la Loi prévoit le remboursement des médicaments non énumérés.  L’article stipule :

8(1) Si un médecin informe le ministre que le traitement approprié d’un malade qui est une personne admissible exige l’administration d’un médicament pour lequel il n’y a pas de produits médicamenteux énumérés, le ministre peut, en avisant le médecin, étendre l’application de la présente loi à l’égard de la fourniture de ce médicament comme s’il s’agissait d’un produit médicamenteux énuméré.


70  Quand le psychiatre de Christopher a fait une demande de considération pour le Cystagon, en vertu du processus à l’article 8, il a reçu une réponse datée du 10 novembre 2004 l’avisant que les textes de loi restreignent la prise en charge par le Programme de médicaments de l’Ontario aux produits pharmaceutiques ayant un numéro DIN.

71  Le Programme de médicaments Trillium autorise le remboursement de tout médicament approuvé en vertu de l’article 8, et rien dans les Règlements qui régissent ce Programme ne restreint le remboursement aux médicaments approuvés pour la vente par le gouvernement fédéral.

72  Pourquoi en serait-il ainsi?  Pourquoi la province exigerait-t-elle que les médicaments énumérés soient approuvés pour la vente par le gouvernement fédéral, mais n’imposerait pas de prescription juridique similaire au remboursement des médicaments non énumérés?  La réponse est évidente.  Les médicaments énumérés sont approuvés généralement pour remboursement.  Il n’y a pas d’examen cas par cas – pas d’opportunité d’évaluer l’efficacité ou la sécurité du médicament pour chacune des demandes.  Par contre, dans le cas de médicaments non énumérés pour remboursement, une évaluation est faite cas par cas pour chacune des demandes de financement en vertu de l’article 8.  L’efficacité et la sécurité d’un médicament peuvent être considérées à la lumière des besoins uniques d’un malade particulier.  Étant donné qu’il n’y a pas de préapprobation pour le remboursement des médicaments non énumérés, et que les décideurs ont pleinement le contrôle cas par cas, il ne serait pas logique d’exiger que le gouvernement fédéral donne une approbation préalable de vente.

73  Mais le bien-fondé de cette approche dichotomique qui distingue les médicaments « énumérés » et les médicaments « non énumérés » n’est pas le point central de l’enquête actuelle.  Le point crucial, c’est que – de par la loi – le ministre, et par conséquent le Ministère, ont le pouvoir d’autoriser le remboursement de tout médicament licite en vertu du Programme de médicaments Trillium, ou en vertu de tout autre programme de financement discrétionnaire.

74  Vu les recommandations que je vais faire, il faut aussi noter que le ministre a le pouvoir d’autoriser le remboursement de médicaments non approuvés pour la vente, indépendamment des dispositions de la Loi sur le régime des médicaments de l’Ontario et de ses règlements.  Même en dehors de la loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire inhérent, en dernier ressort, de prendre des décisions de financement pour promouvoir la santé et le bien-être des habitants de l’Ontario.  Dans une enquête précédente entreprise par notre bureau, le ministère de la Santé a ainsi justifié des dépenses de fonds publics en dehors de l’Assurance-santé de l’Ontario.  Le Ministère finançait, par mesure d’urgence, un traitement à l’extérieur du pays pour une jeune fille de 17 ans souffrant de sensibilité aux facteurs environnementaux.  Ce financement ne se faisait pas en vertu d’une autorité législative précise, ni d’une directive de programme précise.  Dans une lettre datée du 30 octobre 1997, l’avocat-conseil du Ministère expliquait :

… Je peux confirmer que les avocats de la Direction des services juridiques du Ministère s’entendent pour considérer que, généralement parlant, le ministre n’a pas besoin d’une autorité législative spécifique pour dépenser les fonds publics.  Si les fonds ont été alloués par l’Assemblée législative, en vertu de la Loi sur les approvisionnements, le ministre est en droit de les dépenser sous réserve que son pouvoir de dépenser n’ait pas été, ou ne soit pas, restreint par la loi.


75  Dans une lettre datée du 31 mai 1999, le directeur par intérim de la Division des services de santé a déclaré :

La décision… ne résultait pas d’un exercice routinier de pouvoir discrétionnaire ministériel dans le cadre d’un programme établi pour prendre de telles décisions.


76  Bien qu’une telle autorité ne doive être utilisée que modérément, pour des raisons politiques et pratiques, et ceci uniquement dans les cas les plus exceptionnels, le ministre peut décider de financer le Cystagon pour Christopher en dehors du cadre de la Loi sur le régime des médicaments de l’Ontario.  Si le Ministère refuse de financer des médicaments acquis légalement qui ne sont pas approuvés pour la vente par le gouvernement fédéral, c’est une question de politique, pas une question de loi.  Dire aux Comeau-D’Orsay que le paiement était interdit par la loi ou les règlements, à moins que les médicaments ne soient approuvés pour la vente par le gouvernement fédéral, était donc inexact et trompeur.

77  Je n’en conclus pas que ces assertions inexactes étaient intentionnelles.  À vrai dire, je suis certain qu’elles ne l’étaient pas.  Comme je l’ai dit, la loi prête à confusion, et des erreurs sont commises.  Mais on serait en droit d’espérer que, pour une question de vie ou de mort, les instances gouvernementales supérieures prendraient le temps de bien comprendre la loi – qu’elles saisiraient la portée de leurs propres règlements avant de décider – or dans ce cas, elles ne l’ont pas fait.  C’est plus que regrettable. Le financement a été refusé péremptoirement, pour de mauvaises raisons.

 

3) Confusion en matière de politique

78  Mais alors, qu’en est-il de la « politique » de ne pas financer les médicaments non approuvés pour la vente par le gouvernement fédéral?  Après cette enquête, je ne suis même pas certain que ce soit vraiment une politique du Ministère.  Nous avons vu au moins deux opinions concurrentes.  D’un côté, il y a l’opinion voulant qu’il existe une politique de médicament « approuvé pour la vente », comme je viens de le décrire.  Ses partisans considèrent que les médicaments non approuvés pour la vente par Santé Canada ne sont pas admissibles au remboursement.  L’application de cette politique voudrait dire qu’il ne pourrait pas y avoir de remboursement pour les médicaments sur ordonnance approuvés dans le cadre du Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral.  L’opinion contraire veut qu’il existe une politique de médicament « approuvé pour la vente ou pour accès spécial », qui permettrait le remboursement d’un médicament approuvé par le gouvernement fédéral soit pour la vente soit par le biais du Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral.

79  Dès le début, les Comeau-D’Orsay ont eu affaire à des administrateurs qui s’en tenaient fermement à l’opinion « approuvé pour la vente » et comme le Cystagon n’a jamais été approuvé pour la vente, ces administrateurs ont décidé que la famille n’était pas admissible à un remboursement.  Cette raison de refus a été exprimée à plusieurs reprises, avec certaines variantes.  Le plus souvent, on a simplement dit à la famille qu’il ne pouvait pas y avoir de remboursement, à moins que le médicament n’ait été approuvé pour la vente, mais d’autres fois, on lui a dit que pour être admissible à un remboursement, un médicament devait obtenir un Numéro d’identification du médicament [DIN] ou un Avis de conformité [NOC].  À vrai dire, la diversité des formes sous lesquelles le message a été transmis importe peu dans cette affaire, si ce n’est qu’elle a ajouté à la confusion.  Le Cystagon n’a ni Numéro d’identification du médicament [DIN], ni d’Avis de conformité [NOC], et il n’a pas été approuvé pour la vente; il n’aurait donc pas été admissible à un remboursement en vertu de n’importe lequel de ces critères.  Mais il y a des cas où l’issue d’une demande de remboursement différerait selon que le Ministère applique une politique DIN, une politique NOC, ou une norme « approuvé pour la vente » – et ceci parce que Santé Canada accorde parfois un Avis de conformité [NOC] avant d’accorder un Numéro d’identification du médicament [DIN], et avant l’approbation finale pour la vente.  Santé Canada le fait pour permettre aux fabricants de commencer les préparatifs d’étiquetage et de commercialisation avant l’approbation finale pour la vente, dans le cas de médicaments qui sont passés par toutes les étapes de réexamen.  La précision avec laquelle la politique est articulée et appliquée peut donc avoir une incidence, et c’est pourquoi je le mentionne même si bien peu de choses en dépendent dans ce cas. Le point essentiel, c’est que diverses versions de la politique « approuvé pour la vente » ont été au cœur de la plupart des réponses faites aux Comeau-D’Orsay.

80  Voici ce que la directrice de la Direction des programmes de médicaments a déclaré dans sa première lettre de refus datée du 5 novembre 2004 :

Avant qu’un médicament non enregistré puisse être considéré pour remboursement dans le cadre du Programme de médicaments de l’Ontario, le Programme des produits thérapeutiques (PPT) de Santé Canada doit lui attribuer un Avis de conformité [NOC] et un Numéro d’identification du médicament [DIN].


81  Cette même explication générale a été donnée quand la demande faite pour Christopher en vertu de l’article 8 a été rejetée plus tard en novembre 2004, et de nouveau quand la directrice a écrit à M. D’Orsay une deuxième fois le 29 avril 2005 pour confirmer le refus de la demande à la famille.  Nous avons également découvert divers documents ministériels internes affirmant que la politique « approuvé pour la vente » était la position du Ministère, y compris des documents qui avaient circulé en décembre 2004 pour indiquer au personnel quoi dire au député représentant la famille Comeau-D’Orsay lorsqu’il viendrait faire pression au nom de la famille (« la demande en vertu de l’article 8 pour le Cystagon, pour ce malade, a été rejetée car c’est un médicament d’accès spécial qui n’a pas de DIN »).  Nous avons également vu la politique « approuvé pour la vente » dans des entrevues et des documents préparés en réponse à mon avis d’intention de faire enquête.  Par exemple, la directrice adjointe du Programme de médicaments de l’Ontario, Mme Brenda Kritzer, a pris cette position dans une conversation que nous avons eue avec elle le 11 juillet 2005.  Elle a affirmé que, à moins qu’un médicament ne soit approuvé pour la vente dans tout le Canada, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée ne rembourserait rien aux résidents de l’Ontario qui en font l’achat.  Et le 21 juillet 2005, suite à une entrevue que nous avons faite avec la directrice, Direction des programmes de médicaments, nous avons reçu une note du Ministère, approuvée par elle, affirmant que c’était la politique pertinente :

La politique de la DPM a toujours été que les demandes de prise en charge des médicaments, pour lesquels un NOC n’a pas été émis, ne sont pas considérées à des fins de remboursement en vertu de l’article 8.


82  S’il est vrai que la politique est d’approuver les demandes de prise en charge des médicaments uniquement si les médicaments ont été approuvés pour la vente, cette politique est méconnue de certains au Ministère.  Des notes résumant une rencontre du « BM » le 21 juillet 2005 montrent que les administrateurs médicaux présents à cette réunion croyaient que le financement était possible pour les médicaments approuvés en vertu du Programme d’accès spécial, même s’ils n’avaient pas été approuvés pour la vente.  Ils étaient de l’opinion « approuvé pour la vente ou pour accès spécial ».  Et puis il y a la réponse du sous-ministre à notre enquête.  Bien que paraissant insister pleinement sur une approbation pour la vente par le gouvernement fédéral dans d’autres passages de sa réponse, M. Sapsford a déclaré :

En l’absence d’un NOC valide, ou sans une approbation par le biais du PAS [Programme d’accès spécial] de Santé Canada, le Ministère ne peut pas considérer le financement du Cystagon pour le traitement de la maladie de Batten (souligné en caractères gras par nous).


83  M. Sapsford a refait ce commentaire à trois reprises, le reprenant tour à tour à propos de chacun des programmes de financement pertinents du Ministère.  Ceci ne peut que vouloir dire que le Ministère se considère libre de financer un médicament approuvé pour usage en vertu du Programme d’accès spécial de Santé Canada, même s’il n’a jamais été approuvé pour la vente et n’a jamais obtenu de NOC ou de DIN.

84  Et puis, il y a le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH). Des documents du Ministère montrent que celui‑ci finance des médicaments qui n’ont jamais été approuvés pour la vente par Santé Canada.  Son index des traitements financés comporte un certain nombre de médicaments qui n’ont jamais reçu cette approbation, mais qui ont été approuvés pour accès spécial.  Un document d’information préparé par la Dre Sandra Bennett pour aider le Ministère à répondre aux questions durant notre enquête indique ceci à propos du PMMH :

« Plusieurs produits sans NOC, et plusieurs autres sans DIN ou PIN, sont couverts depuis plusieurs années maintenant. »


85  En fait, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario paie ce médicament, le Cystagon, pour un certain nombre de malades atteints de cystinose, alors que personne n’a jamais même demandé à Santé Canada d’approuver ce médicament pour la vente.  S’il existe une politique voulant que seuls les médicaments approuvés pour la vente au Canada puissent être financés, cette politique est mal connue au Ministère.

86  Je reste donc dans l’incertitude. La politique « approuvé pour la vente » est-elle applicable ou pas, ou l’est-elle seulement dans le cadre de certains programmes et pas dans d’autres?  La confusion en matière de politique est toujours troublante.  Il peut en résulter un manque d’uniformité dans l’application des règlements et un déclassement inconvenant des demandes d’admissibilité.  Sur une question aussi importante que le remboursement d’un médicament essentiel, on pourrait raisonnablement espérer que le Ministère maintienne l’ordre dans ses propres politiques.  Ceci est particulièrement pertinent dans le cas de Christopher. Si la politique « approuvé pour la vente ou pour accès spécial » est en fait la politique correcte à suivre, on aurait dû informer directement la famille qu’elle devrait obtenir une autorisation du gouvernement fédéral dans le cadre du Programme d’accès spécial, puis redemander une approbation en vertu de l’article 8.  Mais on a fait comprendre à la famille qu’une approbation d’accès spécial ne ferait aucune différence; sans approbation pour la vente, dont l’obtention dépend du fabricant et non pas de la famille, le financement ne serait pas possible.

 

4) Dire que le financement du Cystagon n’est pas possible

87  Je suis troublé par le fait que, quand le remboursement a été refusé la première fois dans la lettre de la directrice datée du 5 novembre 2004, on ait fait croire à la famille Comeau-D’Orsay que le Cystagon n’était pas admissible à un financement provincial, alors que ce médicament était payé pour des malades atteints de cystinose.  La lettre disait précisément : «  Des médicaments comme le Cystagon, qui n’ont ni NOC, ni DIN, ne sont pas admissibles au Formulaire, ni au remboursement en vertu du PMO.  » Ce passage donne clairement l’impression fausse que la province ne peut pas financer ce médicament, et que le problème dépend du médicament même[6].

88  Je comprends que les médicaments sont approuvés pour traiter des maladies spécifiques, et que le fait que le Cystagon soit financé pour la cystinose ne veut pas dire forcément qu’il peut l’être pour la maladie de Batten.  Mais le message flou et trompeur communiqué à la famille, disant que le médicament ne peut pas être subventionné, a ajouté à ses souffrances émotionnelles.  Imaginez la frustration des Comeau-D’Orsay quand ils ont appris que le gouvernement de l’Ontario payait à d’autres ce médicament dont leur fils avait besoin, alors qu’on leur disait que ce médicament était non admissible.  Il y avait de quoi détruire toute confiance qu’ils auraient pu avoir envers le Ministère.

89  Découvrir la vérité n’a pas été chose facile pour les Comeau-D’Orsay.  Après avoir reçu la lettre de refus, quand Robert D’Orsay a dit aux médecins de Christopher que le Cystagon n’était pas admissible à un financement provincial, les médecins lui ont répondu que c’était faux.  Ils l’ont avisé qu’en fait, le Cystagon était fourni gratuitement dans des hôpitaux de l’Ontario à des malades atteints de cystinose.  M. D’Orsay ne savait plus où donner de la tête.  Il a rappelé le Ministère pour demander ce qui se passait, et on lui a dit que le Ministère n’avait aucune idée de la manière dont les hôpitaux se procuraient ce médicament.  Personne n’a essayé de chercher à savoir ce qu’il en était, pour l’en informer ensuite, et aucune explication ne lui a été donnée.  M. D’Orsay a donc appelé le fabricant de ce médicament.  On lui a dit que la compagnie vendait le médicament à des hôpitaux du Canada pour traiter une cinquantaine de malades atteints de cystinose.  Quand nous avons suivi cette piste, on nous a confirmé que c’était vrai, et nous avons appris que le Cystagon est payé par la Province de l’Ontario pour le traitement de la cystinose.  Quatre hôpitaux ontariens fournissent ce médicament à 26 malades au total, pour un coût total d’environ 87 200 $.  Le personnel de l’Hospital for Sick Children a confirmé que le Cystagon est acheté au prix de gros, délivré par le biais des pharmacies de l’hôpital, avec une majoration de 10 % et des frais d’ordonnance de 11,99 $, puis remboursé par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée.

90  L’entière vérité – à savoir que le Cystagon est admissible au remboursement pour une autre maladie, mais pas pour celle de Christopher – est plus qu’embarrassante pour ceux qui essaient de convaincre les Comeau-D’Orsay que le Ministère ne peut rien faire.  En avril, quand le personnel a préparé la dernière lettre de refus de la directrice, une note de service interne a été envoyée à la Dre Sandra Bennett.  Voici ce qu’elle dit :

Sandy, faites-moi savoir s’il y a plus à offrir – le seul point de friction pour moi, personnellement, c’est de suggérer d’une part que SC n’a pas accordé de NOC et d’autre part que c’est disponible pour une autre maladie – la cystinose.  Faites-moi savoir si vous pouvez suggérer des expressions pour adoucir ce message.


91  Je comprends le malaise exprimé dans cette note de service.  Vu l’efficacité manifeste de ce médicament pour le traitement de Christopher, il est difficile d’expliquer pourquoi il serait financé pour d’autres, et pas pour lui.  Cependant je dois dire que, même si je comprends le malaise exprimé, j’ai de l’aversion pour le sentiment que reflète cette note de service.  À mon avis, elle montre que la mission entreprise était incorrecte.  Au lieu de demander :  « Étant donné que le Cystagon est déjà approuvé pour la cystinose, et que ce médicament ne doit donc pas être considéré comme généralement trop dangereux, pouvons-nous faire quelque chose, et si oui quoi, afin d’aider les Comeau-D’Orsay à obtenir le financement de ce traitement prometteur pour le terrible mal de leur fils? », elle demande : « Comment pouvons-nous justifier le refus de financement pour eux, mais le financement pour d’autres? »

92  En fin de compte, les termes choisis pour « adoucir le message » disant que le gouvernement finançait ce médicament pour d’autres n’a pas eu l’effet voulu.  La lettre du 29 avril 2005 disait :

Dans le cadre du Programme des maladies métaboliques héréditaires, la Division de la santé publique du Ministère assure un financement pour un nombre restreint de médicaments, compléments alimentaires et aliments pour un nombre restreint de maladies métaboliques héréditaires.  Cette prise en charge inclut le Cystagon, pour la cystinose.  À notre connaissance, les personnes atteintes de maladie admissibles sont inscrites dans l’un des cinq centres régionaux du Programme.


93  Ce renseignement n’a pas amorti le coup parce que, voulant expliquer pourquoi le médicament était financé pour d’autres, le Ministère disait pour la première fois, après six mois, aux Comeau-D’Orsay qu’il existait encore une autre source possible de financement – le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) – laissant les Comeau-D’Orsay se demander pourquoi on ne le leur avait pas dit plus tôt.

 

5) Non-divulgation de l’existence du Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH)

94  Le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) est administré par la Division de la santé publique du ministère de la Santé et des Soins de longue durée.  Ce Programme a été mis en place il y a bien plus d’une décennie.  Comme son nom l’indique, il a pour mandat général de déterminer les stratégies et les traitements appropriés pour les maladies métaboliques héréditaires.  L’index le plus récent des traitements et des maladies financés au niveau provincial a été créé le 1er mars 2003.  Il énumère les compléments alimentaires et les aliments spéciaux, ainsi que 48 médicaments approuvés.  Le Cystagon est l’un des 17 médicaments d’accès spécial accordés gratuitement aux malades dans le cadre de ce Programme, bien que comme mentionné le Cystagon soit uniquement approuvé pour le traitement de la cystinose.  L’index a été compilé par un « comité consultatif » composé d’experts des cinq centres de traitement régionaux.

95  Il est clair que le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) est remarquablement important dans ce cas.  Premièrement, Christopher souffre d’une maladie métabolique héréditaire.  Deuxièmement, le PMMH subventionne le médicament dont Christopher a besoin.  Troisièmement, ce « Programme spécial » est fait pour remédier aux difficultés financières que l’achat de médicaments et de compléments alimentaires impose aux familles affligées par ces maladies métaboliques – difficultés financières que connaissent les Comeau-D’Orsay.  Pourtant, quand la directrice de la Direction des programmes de médicaments a répondu officiellement et négativement à l’appel désespéré de M. D’Orsay, en novembre 2004, sa lettre de réponse n’a fait aucune mention de ce Programme.  Et quand le gouvernement, auquel il avait demandé de l’aide pour naviguer dans le réseau de programmes et d’exigences complexes, lui a finalement mentionné le Programme de maladies métaboliques héréditaires (PMMH) ce n’était pas pour l’aider à faire une demande.  Cette mention a été faite dans l’intérêt du Ministère – comme tentative inefficace « d’amortir le coup » – pour défendre sa décision en tentant d’expliquer pourquoi le Cystagon était financé pour certains, mais pas pour son fils gravement malade.

96  Je sais qu’il s’agit là d’une lourde accusation, mais je suis poussé à la faire. On peut trouver la preuve que cette divulgation n’a pas été faite pour aider M. D’Orsay en lui donnant accès à une autre voie de recours dans un courriel hermétique préparé le 3 mai 2005, après l’envoi de la lettre du 29 avril 2005 :

La lettre envoyée par la DPM [Direction des programmes de médicaments] indiquait clairement que ce médicament n’est pas pris en charge par le PMO.  Nous sommes restés vagues à propos du PMMH, parce qu’ils ont éliminé le verbiage que nous avions ajouté, orientant M. D’Orsay vers le PMMH.  Alors oui, je crois que la balle est sur le terrain de Sandy, car l’information manquante est celle que nous avions essayé de lui faire mettre dans la lettre il y a quelques semaines, et nous n’avons rien à ajouter (souligné en caractères gras par nous).


97  Tout ceci est fort troublant, pourquoi la première lettre de refus ne mentionnait-elle pas le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) et pourquoi le « verbiage » à propos du Programme qui aurait aidé les Comeau-D’Orsay à faire une demande a-t-il été omis intentionnellement, et fort à propos, dans la lettre du 29 avril 2005?  La réponse évidente n’est pas flatteuse.  C’est parce que le Ministère a laissé le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) se détériorer à un tel point qu’il est devenu inutile pour la considération de nouveaux développements et de requêtes spéciales comme celle de Christopher.

98  Quand mes enquêteurs ont interviewé la Dre Sandra Bennett, conseillère principale en soins dentaires/santé infantile, Division de la santé publique, le 22 juillet 2005, celle‑ci a déclaré que le comité consultatif du Programme avait cessé ses activités en 2003.  Il avait arrêté de se rencontrer suite à la démission de son président, et avait « fondamentalement cessé de fonctionner ».  Il n’y a plus eu aucune réunion du comité, et depuis plus de deux ans, aucun processus n’est en place pour considérer l’énumération de nouveaux médicaments ou traitements à l’index approuvé.  Dans une note de service interne datée du 25 juillet 2005, elle a noté ceci : « Depuis que le président du comité a démissionné, la DSP [Division de la santé publique] est sans processus pour évaluer les nouvelles requêtes concernant les maladies, les compléments alimentaires et les aliments ».  Le Programme est devenu à ce point si moribond que la directrice, Direction des programmes de médicaments nous a dit, par erreur, qu’il avait officiellement pris fin l’an dernier.
 
99  Que ce Programme ait cessé de fonctionner convenablement est outrageant. Le 28 juin 2005, les représentants du Ministère ont répondu à une demande de renseignements sur le financement du Cystagon dans le cadre du « PMMH » provenant du secrétaire de presse du ministre de la Santé et des Soins de longue durée.  La note de service envoyée en réponse disait ceci :

La Division de la santé publique a reçu un certain nombre de requêtes spéciales lui demandant d’ajouter des compléments d’aliments et des aliments à l’index des médicaments pris en charge (en plus de ceux déjà pris en charge par la Direction des programmes de médicaments), de même que des maladies/troubles qui devraient être pris en charge.  Ces requêtes sont venues du personnel des cinq centres de traitement régionaux, de professionnels de la santé non spécialisés, de familles et de défenseurs.  L’une de ces requêtes demande l’ajout de la maladie de Batten et la prise en charge du Cystagon.  Ces requêtes sont en plus de celles directement acheminées à la Direction des programmes de médicaments du Ministère.

Plutôt que d’examiner ces requêtes de manière ad hoc, en l’absence d’un comité consultatif, la Division a décidé d’attendre jusqu’à ce qu’un processus soit mis en place pour déterminer comment prendre les décisions de prise en charge (souligné en caractères gras par nous).


100 Franchement, je trouve que c’est à vous couper le souffle.  On a laissé un programme important devenir caduc tout simplement par suite de la démission de son président, et en résultat, depuis plus de deux ans, aucun progrès n’a été fait dans le financement de nouveaux traitements pour les maladies métaboliques.  On met sur les étagères les requêtes spéciales de financement présentées par les médecins et on laisse tomber les résidents de cette province comme Christopher.  Ils se retrouvent sans pouvoir présenter leur demande d’aide à quiconque.

101 Considérons ce qu’il est advenu de la requête de Christopher à cause de la situation de ce programme.  Suite à la couverture de presse qu’a suscitée la détresse de Christopher, le gouvernement a entrepris de reconsidérer le traitement de la maladie de Batten en tant que maladie métabolique héréditaire, et de voir si le traitement au Cystagon devrait être appuyé.  Son étude a simplement servi à remettre les choses à plus tard.  Le 24 juin 2005, un message électronique du secrétaire de presse du ministre disait :

… En discutant avec la Dre Bennett, j’ai eu le sentiment que si nous devions financer le traitement de la maladie de Batten en tant que [maladie métabolique héréditaire]… nous devrions attendre la fin du processus mené par [la Division des politiques et de la planification intégrées] qui considère quelles maladies devraient être ajoutées à celles que nous dépistons déjà actuellement.  Ce que je voudrais voir confirmé, c’est si la maladie de Batten serait parmi celles que le comité consultatif songerait même à considérer.


102 Un courriel ministériel interne daté du 20 juillet 2005, provenant du Dr Karim Kurji, médecin hygiéniste en chef adjoint, qui a été envoyé à plusieurs personnes, avec copie à la Dre Bennett et d’autres, disait :

Suite à la dissolution du comité consultatif, il n’existe pas actuellement de processus scientifique pour évaluer les nouvelles requêtes.  Toutefois, la PPI [Division des politiques et planification intégrées] a appelé le Dr Chakrobarty au CHEO, et celui‑ci a indiqué que la maladie de Batten est mortelle, et non pas soignable.  Ils en sont donc restés sur l’impression que le traitement au Cystagon pour la maladie de Batten était expérimental.


103 En l’absence d’un comité qui fonctionne, l’examen médical de la Division de la santé publique concernant la prise en charge du Cystagon pour la maladie de Batten s’est limité à un appel téléphonique.  Et jusqu’à quel point cette demande de renseignements a-t-elle porté sur le cas précis de Christopher, et combien de renseignements sur sa situation ont été donnés, en présumant que des renseignements aient été donnés?  L’absence d’un comité qui fonctionnne signifie que les nouveaux traitements ne sont pas financés, que des maladies particulières sont arbitrairement laissées sans appui, et que les requêtes spécifiques sont mises sur les étagères ou font simplement l’objet de demandes de renseignements inadéquates.

104 Quels auraient été les résultats si la requête de prise en charge du Cystagon pour Christopher avait été référée à un comité consultatif qui fonctionne?  Au cours de notre enquête, nous avons détecté certains grommellements au Ministère laissant présumer que cela n’aurait pas influencé le dénouement – le financement aurait été refusé.  Le 21 juillet 2004, une note ministérielle, mise à jour quatre jours plus tard, est censée décrire le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH). Elle déclare :

Les enfants identifiés comme atteints par une maladie métabolique héréditaire soignable sont suivis par des médecins dans l’un des cinq centres de traitement régionaux spécialement désignés…


105 Le 11 juillet 2005, durant nos demandes de renseignements préliminaires, la Dre Bennett nous a suggéré que la maladie de Batten n’était pas prise en charge par le Programme « parce que c’est une maladie mortelle, fatale, et que le Cystagon n’a pas fait ses preuves d’efficacité sur cette maladie ».

106 J’espère que la suggestion faite dans ces communications et indiquant que le traitement des maladies mortelles est sommairement refusé dans le cadre du Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) est inexacte.  Pareille politique empêcherait des traitements susceptibles d’alléger ou de retarder des souffrances.  Et à quel point d’avancement d’un traitement une maladie passe-t-elle de « mortelle » à « soignable »?  Quel sera le sort à long terme de Christopher s’il continue de prendre ce médicament?  Heureusement, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu de politique visant à restreindre le financement aux maladies soignables.  Quand nous l’avons interviewée officiellement le 22 juillet 2005, la Dre Bennett a confirmé qu’elle ne savait pas si le comité consultatif avait jamais reçu des critères du Ministère quant aux décisions à prendre sur les recommandations de financement, et elle a indiqué qu’elle « ne leur avait certainement jamais donné le moindre critère », même si elle était alors la personne-ressource du Ministère auprès du comité.  Quand nous lui avons demandé si le pronostic d’une maladie était un facteur considéré par le comité consultatif, la Dre Bennett nous a répondu que la preuve et les recommandations étaient laissées aux experts.

107 Il est sage de laisser les recommandations aux experts, surtout dans le cas de maladies métaboliques.  Les administrateurs qui gèrent les programmes généraux de financement ont l’habitude de traiter des requêtes pour des traitements connus, relatifs à des maladies moins rares, pour lesquelles il existe d’habitude des preuves scientifiques.  Comme le Dr Clarke, professeur de pédiatrie à l’Université de Toronto et directeur du Programme des maladies métaboliques génétiques l’a expliqué à mes enquêteurs, la science n’est guère portée à donner des réponses fermes face à bien des questions sur les maladies métaboliques.  La raison en est la suivante : il est rare que les recherches sur les maladies métaboliques mènent aux essais comparatifs randomisés dont la science à l’habitude.  Vu la nature des maladies métaboliques, de tels essais ne sont généralement pas entrepris car les maladies s’avèrent rares et les études systématiques sont coûteuses.  Les experts engagés dans ce secteur comprennent qu’il faut donc évaluer différemment.  Quand le Dr Clarke faisait partie du comité consultatif du Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH), ce comité considérait si une thérapie était rationnelle et s’il existait de bonnes données pré‑cliniques indiquant que la thérapie pourrait donner des résultats.  Comme ces maladies sont dévastatrices, il faut surtout considérer l’efficacité plutôt que la sécurité d’un médicament, alors que les deux sont exigées pour la commercialisation des produits pharmaceutiques généraux.  Nous ne connaîtrons jamais la réponse de manière certaine, mais le Dr Clarke s’est dit plutôt confiant que le comité aurait approuvé le financement du Cystagon pour Christopher et qu’une recommandation aurait été présentée au Ministère pour que ce médicament soit énuméré dans l’index des médicaments pris en charge.

108 Sans aucun doute, en laissant le comité consultatif devenir caduc, on a gelé le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) nuisant ainsi non seulement à Christopher mais aux autres personnes qui souffrent de ces horribles troubles.  Ceci n’aurait jamais dû arriver, et le gouvernement aurait dû se montrer direct avec la famille de Christopher à propos de la situation du Programme.

109 Je ne voudrais pas donner l’impression que ce Programme fonctionnait bien avant de devenir caduc.  Il ressort de mon enquête que, en dépit du travail crucial effectué par lui, le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) fonctionnait mal depuis quelque temps, avant même de se désintégrer.  C’est la démission du Dr Clarke, présenté ci-dessus, et président du comité consultatif, qui a finalement entraîné l’effondrement de ce comité.  La note de service interne de la Dre Bennett datée du 25 juillet 2005 dit que le Dr Clark a démissionné « pour pouvoir faire pression sur le gouvernement afin d’obtenir des changements relatifs au dépistage des maladies chez les nouveau‑nés et aux questions connexes ».  Mais celui‑ci nous a dit qu’il avait démissionné parce qu’il était frustré que le PMMH n’ait pas de « port d’attache en matière de politiques ».  Ce Programme était administré par la Division de la santé publique qui, selon le Dr Clarke, ne montrait guère d’intérêt pour son travail.  Sa version des faits est appuyée par une note de service sur une réunion à laquelle la Dre Bennett assistait, et dans laquelle la raison de son départ est indiquée.  Ses déclarations sont également appuyées par la note de service de la Dre Bennett, datée du 25 juillet 2005, confirmant qu’en l’an 2000 la Division de la santé publique avait déterminé que le Programme ne cadrait pas avec le mandat de la Division, ce qui incitait la Division à vouloir « trouver un port d’attache plus approprié pour cette composante de programme ».

110 De toute évidence, le Dr Clarke est frustré par son expérience au comité consultatif.  Il a décrit comment le Ministère avait cessé d’appuyer les recommandations du comité, par souci d’économiser des fonds avant tout.  Il est vrai que les coûts avaient grimpé en flèche durant une décennie, passant de 500 000 $ par an à 3 000 000 $ par an, à cause du prix élevé des médicaments, de l’espérance de vie plus longue des malades, et de l’identification de nouvelles maladies et de nouveaux traitements.  Ceci appelait à la prudence, mais on nous a dit que l’effet a été complètement glacial. Bientôt, les recommandations du comité ont été ignorées.  Non pas parce qu’il prenait des décisions irresponsables sur le plan financier, mais parce que les réponses à ses décisions étaient irréfléchies et obstructionnistes.  Dans un cas, le comité s’est même heurté à des difficultés alors qu’il tentait d’obtenir l’ajout du nom d’un médicament à l’index approuvé, bien que le médicament ait déjà été approuvé et qu’il s’agissait simplement d’un changement de nom.  Le Dr Clark a démissionné parce qu’il en avait assez de la bureaucratie gouvernementale qui souhaitait déléguer ses responsabilités au comité et le laisser prendre les décisions de gestion des programmes, mais en ignorant les conseils experts de ce comité.  Le Dr Clarke nous a avisés que d’autres membres du comité étaient restés en place pendant un certain temps, puis qu’ils étaient partis eux aussi quand il était apparu que le Ministère ne donnerait pas suite à deux recommandations majeures du comité concernant la pharmacothérapie et le dépistage des maladies chez les nouveau‑nés.  Bien que le comité consultatif ait été dissout en 2004, il avait été rendu caduc bien auparavant.

111 Alors quel pronostic peut-on faire quant à ce programme essentiel mais en difficulté?  La note de service interne du 28 juin 2005, citée ci‑dessus, indique que les mesures à prendre sur les demandes en instance sont confiées à un processus d’examen mené par la Direction des politiques stratégiques du Ministère, Programme de dépistage des maladies chez les nouveau‑nés, dans l’espoir de réparer les choses.  On nous a dit que ce processus d’examen est censé mettre en place un nouveau moyen d’évaluer quels compléments alimentaires et quels médicaments il faut financer.  Mme Carol Apparthurai, directrice, Direction de la protection des renseignements personnels sur la santé et des sciences de la santé nous a informés que ce processus devrait être en place en décembre de cette année.

112 Il ne m’appartient pas de dire à la province comment elle devrait s’organiser.  Il est possible que le système proposé ressemble fort peu au Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH).  Ce qui importe, c’est que cette lacune inacceptable soit comblée d’urgence par un processus qui permette aux décideurs d’obtenir l’avis d’experts dont ils ont tant besoin.  On ne peut pas invoquer une panne des systèmes gouvernementaux pour justifier l’inertie face à des questions de vie ou de mort.

113 Christopher et sa famille ont souffert de trois manquements : manquement du Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH), manquement du gouvernement à être direct sur ce point face à la détresse de Christopher, et manquement à trouver des solutions de rechange appropriées pour agir avec un sentiment d’urgence et de responsabilité dans son cas.

 

6) Se décharger de ses responsabilités sur une compagnie pharmaceutique

114 La dernière chose déconcertante dans la manière dont les Comeau-D’Orsay ont été traités alors qu’ils cherchaient à obtenir un soutien financier pour leur fils malade, ce sont les suggestions répétées qui leur ont été faites de s’en remettre à la merci d’un fabricant de produits pharmaceutiques.  Ce conseil est donné au dernier paragraphe de la lettre de réponse datée du 5 novembre 2004, et M. D’Orsay l’a entendu venant d’autres, à d’autres reprises.  Il l’a entendu au téléphone quand il a appelé le Ministère après avoir fait davantage de recherches, suite au premier refus officiel de prise en charge.  On lui a dit alors : « Téléphonez au fabricant de produits pharmaceutiques et il vous donnera peut-être ce médicament gratuitement.  » Quand nous avons commencé à faire enquête sur la plainte des Comeau-D’Orsay, M. Ron Sapsford, sous-ministre, nous a donné le même conseil :

Les médecins des patients atteints de la maladie de Batten voudront peut-être continuer à travailler en collaboration avec Santé Canada et/ou avec le fabricant de Cystagon pour voir s’il serait possible d’obtenir ce médicament à titre de compassion.


115 Si on a conseillé aux Comeau-D’Orsay de demander ainsi ce médicament au fabricant, c’est sans aucun doute parce que de par le passé les compagnies pharmaceutiques ont souvent donné des médicaments gratuitement pour les cas d’accès spécial.  Toutefois, à ma connaissance, ceci se produit moins souvent actuellement.  La directrice, Direction des programmes de médicaments a fait savoir à mes enquêteurs que :

« … de par le passé, typiquement, bon nombre de ces produits étaient donnés pour des raisons de compassion par les fabricants, qui commencent maintenant à en demander le paiement. »


116 Ce qu’il y a d’offensant dans ce conseil aux Comeau-D’Orsay, ce n’est pas tant qu’une telle entreprise était probablement vouée à l’échec.  C’est plutôt que la province demandait à la famille d’entamer un exercice de dernier recours, sans avoir considéré adéquatement ce qu’elle-même pourrait faire.  Le gouvernement, qui est responsable de veiller aux soins de santé de ses résidents, envoyait l’une de ses familles plaider chez un fabricant qui n’a aucune responsabilité légale ou morale de lui venir en aide.  Pour un père dont le fils est en danger, il doit être enrageant de se faire dire qu’il doit s’en remettre à la compassion d’une compagnie pharmaceutique commerciale étrangère, au lieu de pouvoir compter sur la compassion de son propre gouvernement.  Une fois de plus, ça ressemblait à une tentative de se décharger de ses obligations.

 

Sommaire : Un exercice de futilité bureaucratique

117 De toute évidence, outre la question importante de savoir si le Cystagon devrait être financé pour Christopher, les Comeau-D’Orsay n’ont pas été traités justement et leur requête n’a pas reçu une considération adéquate.  Leur tentative d’obtenir un financement a été renvoyée sans explication à un programme fédéral.  On a fait ceci après avoir refusé leur requête désespérée d’aide financière pour préserver la santé de leur fils, en disant à tort qu’un financement n’était pas légalement possible.  La famille Comeau-D’Orsay a rencontré des administrateurs médicaux qui lui ont donné diverses versions des politiques gouvernementales internes sur lesquelles ils s’appuyaient, laissant la famille dans l’incertitude quant à ce qu’elle pourrait et devrait faire.  De plus, les Comeau-D’Orsay ont été menés à croire que ce médicament requis par leur fils ne pouvait pas être financé par la province, alors que la province le finançait déjà pour traiter une autre maladie.  Les Comeau-D’Orsay n’ont pas été informés de l’existence du Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH), qui aurait dû être précisément le cadre approprié pour la considération de leur demande, car ce Programme était devenu pratiquement inutilisable par suite de l’inertie de l’administration.  Enfin, les Comeau-D’Orsay ont été avisés qu’ils devraient s’en remettre à la merci du fabricant de ce produit pharmaceutique.  C’est un triste record.

 

Une mauvaise politique – Comment « approuvé pour la vente » est une entrave irrationnelle au pouvoir discrétionnaire du Ministère

118 J’ai déjà décrit comment des explications incohérentes des politiques avaient été données à la famille Comeau-D’Orsay.  Je ne peux pas m’en tenir là dans mes commentaires et je dois examiner les politiques en question.  Tout simplement, la politique « approuvé pour la vente » est trop étroite.  Elle est étroite au point d’en être arbitraire.  Elle empêche la province, pour des raisons en grande partie non pertinentes, de même considérer le remboursement de toute une gamme de médicaments sur ordonnance aux résidents de l’Ontario – peu importe leur efficacité, leur sécurité, l’urgence de la demande ou le coût.  La politique « approuvé pour la vente ou pour accès spécial » est de loin préférable.

119 Avant d’aller plus loin, j’aimerais dire clairement que je comprends combien il est important que les politiques maintiennent l’équilibre entre l’offre des services médicaux et le souci des restrictions budgétaires.  Comme le dit un aperçu ministériel qui nous a été communiqué, et qui est daté du 14 juillet 2005 :

Le lancement de nouveaux médicaments et l’utilisation accrue des médicaments existants sont les moteurs des coûts des programmes.

Le gouvernement est déterminé à appuyer les programmes de médicaments qui cherchent à préserver l’équilibre entre les obligations budgétaires et les besoins des plus vulnérables.


120 Je suis certain que tous les résidents de la province comprennent que n’importe quel engagement en matière de services médicaux doit s’accompagner d’une responsabilité financière.  Mais je m’empresse d’ajouter qu’ils n’appuieraient sans doute pas l’exclusion arbitraire de demandes méritoires par souci de faire des économies.  Ils voudraient que les décisions financières soient liées à d’autres critères qui permettent d’identifier logiquement les priorités.

121 Je comprends aussi que ce cas illustre un autre problème qui peut et qui devrait influencer les décisions de financement.  Les familles désespérées ont souvent recours à des traitements non éprouvés et vont même jusqu’à sortir du pays, comme l’ont fait les Comeau-D’Orsay.  Fréquemment, les familles se tournent vers des lieux moins réglementés que les États-Unis pour obtenir des formes de thérapie expérimentales très empiriques ou non conventionnelles.  Leur désespoir peut les mener à croire de manière irrationnelle à la promesse d’un traitement, puis à insister pour obtenir l’appui du gouvernement et à s’indigner de bon droit quand elles ne l’obtiennent pas.  Des politiques responsables doivent protéger les fonds précieux consacrés aux soins de santé et empêcher qu’ils ne soient gaspillés par sympathie, quand le contexte médical ne justifie pas les dépenses.  Je le comprends. Aucune dépense médicale ne devrait être financée inutilement, par bienveillance ou par compassion infondée.

122 Le point fondamental pour comprendre la raison pour laquelle la politique « approuvé pour la vente » est inappropriée relativement à l’article 8, c’est la nature discrétionnaire des applications de cet article 8.  L’article 8 de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario fournit une aide cas par cas.  Comme l’explique un document d’information du Ministère :

Le mécanisme de l’article 8 a pour but d’assurer que, cas par cas, les personnes admissibles au PMO aient accès à des médicaments non énumérés quand des médicaments énumérés ont été essayés mais sont inefficaces ou ne sont pas tolérés, quand le malade ne répond pas aux critères cliniques pour le médicament énuméré, ou quand il n’y a pas d’option de rechange au Formulaire.


123 Quand nous avons interviewé la directrice, Direction des programmes de médicaments, elle a expliqué cette disposition de cette manière :

L’examen clinique individuel que nous faisons, ce que nous appelons l’article 8, a été notre valve de sécurité; c’est quand un produit pharmaceutique a été examiné par le comité, non enregistré, mais nous reconnaissons qu’il y a peut-être des circonstances individuelles où une personne a absolument besoin de ce médicament…


124 C’est clair, une disposition permet d’accorder un financement dans des situations spécifiques où le besoin a été démontré et où l’esprit de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario est respecté, c’est-à-dire quand des personnes écrasées par le fardeau de leur besoin pour un médicament licite sont soit âgées, soit pauvres, soit placées en établissement, soit incapables de faire face à des coûts lourds ou anormaux de médicaments.  Imposer des conditions préalables rigides à la considération de telles demandes va à l’encontre du but même de la disposition.  En effet, si la condition préalable rigide n’est pas remplie, aucun financement n’est possible, peu importe à quel point le médicament est nécessaire, et peu importe à quel point le fardeau financier est lourd pour le malade.  Par contre, en l’absence de condition préalable rigide, il est possible de considérer tous les cas selon leur mérite, tout en continuant d’accorder aux décideurs le pouvoir de refuser le financement quand il n’est pas approprié.

125 Pour reprendre ce point plus concrètement, portons notre attention sur la politique « approuvé pour la vente » et prenons ce cas comme exemple.  Lors de son entrevue, la directrice, Direction des programmes de médicaments a reconnu qu’en rejetant la demande de Christopher en vertu de cette politique, le Ministère n’avait pas considéré les preuves médicales à l’appui indiquant que Christopher avait besoin de continuer de prendre du Cystagon, pas plus qu’il n’avait considéré la preuve irréfutable que ce médicament donnait des résultats remarquables dans son cas.  Elle a admis que le Ministère avait non seulement omis de considérer ce facteur humain énorme, mais qu’il n’avait même pas considéré le rapport coût-efficacité – à savoir que, sans Cystagon, l’état de santé de Christopher se détériorerait au point où il aurait besoin de services en établissement, ce qui occasionnerait des dépenses bien plus lourdes de fonds publics.  Par suite de cette mauvaise politique, quand les besoins personnels de Christopher ont été évalués par un régime fait pour prendre des décisions discrétionnaires cas par cas, sa prise en charge a été refusée parce que son cas ne correspondait pas au cadre prédéterminé de l’index « approuvé pour la vente » du gouvernement fédéral.  Pire encore, ce cadre prédéterminé était conçu pour considérer une question toute différente – pas le bien-être de Christopher ni ses besoins en médicaments, mais la commercialisation des médicaments en général.  Le sort de Christopher a été remis entre les mains d’un autre décideur gouvernemental, chargé de prendre des décisions sur des questions autres que celles auxquelles Christopher était confronté.  Qu’est-ce qui peut bien pousser quelqu’un à entraver un programme conçu pour faciliter les évaluations spécifiques, cas par cas, en imposant une exigence préalable d’approbation généralisée de vente du médicament? Comme je l’ai dit, ceci va grandement à l’encontre de l’article 8.

126 Le document d’information du 14 juillet 2005 auquel j’ai fait référence plus tôt, qui rappelle avec sagesse à ses lecteurs la nécessité de considérer les coûts des programmes tout en ayant le sens des obligations financières, déclare également ceci :

Le Ministère continue d’examiner les moyens d’améliorer l’utilisation en s’assurant que la prise en charge des médicaments sur ordonnance va de pair avec les données cliniques les plus récentes et les preuves de rentabilité des coûts.


127 À ce que je vois, la politique « approuvé pour la vente » ne sert pas cet objectif. Cette politique empêche la considération des preuves « cliniques les plus récentes » dans les cas où les fabricants qui détiennent de telles preuves choisissent pour des raisons commerciales de ne pas solliciter une commercialisation généralisée.  En vertu de la politique « approuvé pour la vente » le ministre ne devrait pas pouvoir financer le Cystagon, même pas pour les malades atteints de cystinose, alors qu’il s’agit d’un médicament licite et que c’est le traitement habituel pour cette maladie.  Cette politique est discriminatoire envers les personnes atteintes de maladies rares.  En vertu de cette politique, le sort des résidents de l’Ontario dépendrait du facteur suivant : la maladie dont ils souffrent est-elle suffisamment courante pour que le marché soit rentable pour les fabricants du produit pharmaceutique?  Tout cela est fort dérangeant.

128 Quant aux objectifs de « coûts-profits », j’ai déjà examiné ce point; ce sera moins cher de traiter Christopher au Cystagon que de lui payer des médicaments qui traitent uniquement ses symptômes, et de le laisser dépérir au point où il devra être placé en établissement.

129 En termes simples, la politique « approuvé pour la vente » est irréfléchie. Elle jette le bébé avec l’eau du bain.  Par contre, la politique « approuvé pour la vente et pour accès spécial » permet à quiconque ayant besoin de médicaments dans cette province de présenter son cas selon ses mérites, tout d’abord à un organisme fédéral, puis en cas de succès à un organisme provincial expert capable de prendre des décisions contextuelles et rationnelles.

130 Je comprends à quel point le fardeau est lourd pour les administrateurs de l’article 8 – à quel point leur charge de travail s’est accrue avec le temps, passant de quelques centaines de cas par année à plusieurs centaines par jour.  Mais restreindre arbitrairement le mandat de cet article aux médicaments viables commercialement, évalués uniquement en fonction de leur efficacité générale et de leur sécurité relative, et non pas en fonction des besoins de cas particuliers, n’est pas un bon moyen de s’acquitter d’une surcharge de travail.  La politique « approuvé pour la vente » ne peut pas être justifiée.

 

Solutions

131 J’ai des solutions à la fois individuelles et systémiques à proposer.  La première est évidente.  Financer le médicament de Christopher. Aider à sauver ce jeune homme et sa famille de la ruine émotionnelle et financière.  Les raisons pour le faire sont capitales.

  1. Le médicament est licite.

  2. Bien que son application à son cas soit nouvelle, ce médicament n’est pas expérimental et il a été approuvé pour la vente généralisée conformément aux normes de la FDA, et autorisé pour le traitement d’une autre maladie au Canada.

  3. Il est prescrit par ses médecins traitants comme étant non seulement le meilleur traitement mais le seul traitement possible pour sa maladie.

  4. Certes, il n’existe pas suffisamment de données cliniques adéquates pour donner la preuve scientifique que le Cystagon est généralement bon pour la forme de la maladie de Batten dont souffre Christopher, mais c’est parce que cette maladie est rare et parce que les applications de ce médicament ne sont pas considérées viables sur le plan commercial par le fabricant. Les seules preuves dont on dispose, bien qu’anecdotiques, montrent clairement qu’avec le Cystagon l’état de santé de Christopher s’est amélioré et que sans lui, Christopher mourra.

  5. Ses parents sont confrontés au genre de dette écrasante que le Programme de médicaments Trillium et le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) sont censés alléger.

  6. Le financement de ce médicament pourrait permettre à la province d’économiser de l’argent, qui devrait aller autrement à des traitements inefficaces et à des soins en établissement.

  7. Rien dans la politique ne dit qu’il faut laisser souffrir et mourir ce jeune pour empêcher de futurs abus des fonds publics consacrés à la santé, puisque son financement résulterait d’une décision discrétionnaire, cas par cas, justifiée par des preuves particulières.


132 Bien sûr, si on appliquait la politique « approuvé pour la vente ou pour accès spécial », il serait possible pour Christopher d’obtenir l’approbation du Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral, puis de présenter à nouveau une demande au Programme Trillium, où sa demande pourrait être reconsidérée, cette fois sans toutes les erreurs de processus dont le premier refus a été entouré.  Je rejette cette solution en tant que recommandation, dans son cas, pour quatre raisons :

  1. Le médicament lui est déjà fourni conformément aux règlements d’accès du gouvernement fédéral, et il serait redondant de lui demander de chercher à obtenir une approbation supplémentaire dans le cadre du Programme d’accès spécial.

  2. La Province de l’Ontario est actuellement mal en mesure d’évaluer correctement une demande relative à une maladie métabolique rare, étant donné que le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) est devenu caduc.

  3. La famille Comeau-D’Orsay vit cette situation depuis suffisamment longtemps.  Ils se sont heurtés à des administrateurs médicaux qui ne connaissaient pas les règles, ni même leurs propres politiques, et qui ont donné l’impression réelle que leur tâche était de trouver des moyens de justifier leur refus de prise en charge au lieu de trouver des moyens d’aider une famille dans le besoin.

  4. Un remboursement rétroactif remontant à la date où les Comeau-D’Orsay ont fait leur première demande de financement s’impose, ce qui ne peut pas se faire en envoyant la famille au Programme d’accès spécial puis au Programme de médicaments Trillium.


133 Je recommande que le ministre ait recours à son pouvoir spécial ou inhérent pour autoriser cette dépense dans les intérêts de la santé et du bien-être de Christopher.  Si un jour Christopher ne peut plus obtenir de Cystagon aux États-Unis dans le cadre de ce projet clinique, il devra alors obtenir l’approbation du Programme d’accès spécial pour que la province continue de financer ce médicament pour lui.

134 La seconde solution est de clarifier et de publier immédiatement une politique au sein du Ministère autorisant la considération, en vertu de l’article 8 de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario, des demandes de prise en charge des médicaments obtenus dans le cadre du Programme d’accès spécial du gouvernement fédéral, en plus des médicaments approuvés pour la vente au Canada.

135 La troisième solution est d’agir de toute urgence pour redonner vie au Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH), ou de mettre sur pied un programme qui lui succède. Cumulativement, beaucoup de gens dans cette province souffrent de maladies métaboliques, dont certaines sont facilement soignables.  Il est insultant de la part du Ministère d’avoir laissé ce programme devenir caduc non pas par suite de décisions rationnelles, médicales ou par manque de ressources, mais par suite d’une incertitude structurelle quant à l’appartenance du Programme et à cause de mauvaises relations entre un comité consultatif et des fonctionnaires paralysés par leur obsession financière.

136 Par conséquent, j’en suis arrivé aux opinions et aux recommandations suivantes :

 

Opinions

Opinion 1

Le refus du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de financer le Cystagon pour Christopher Comeau-D’Orsay est déraisonnable.

Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, alinéa 21(1)b)
 
Opinion 2

La pratique en vigueur au ministère de la Santé et des Soins de longue durée qui est de restreindre la considération des médicaments en vertu de l’article 8 de la Loi sur le régime des médicaments de l’Ontario aux médicaments approuvés pour la vente par le gouvernement fédéral est injuste.

Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, alinéa 21(1)b)
 
Opinion 3

L’omission du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de répondre activement aux problèmes concernant le Programme des maladies métaboliques héréditaires (PMMH) au cours des dernières années est à la fois oppressive et erronée.

Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, alinéas 21(1)b)d)


 

Recommandations

Recommandation 1

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée devrait financer le Cystagon pour Christopher Comeau-D’Orsay, et rembourser rétroactivement les dépenses faites par la famille à compter de la date de sa première demande de subvention.

Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, alinéa 21(3)g)
 
Recommandation 2

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée devrait soit clarifier ses politiques, soit en changer, pour s’assurer que les requêtes de financement des médicaments puissent être considérées en vertu de l’article 8 de la Loi sur le régime des médicaments de l’Ontario aussi bien pour les médicaments autorisés dans le cadre du Programme d’accès spécial que pour les médicaments approuvés pour la vente au Canada.

Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, alinéa 21(3)d)
 
Recommandation 3

Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que le Programme des maladies métaboliques héréditaires, ou un programme qui lui succédera, soit actif et fonctionne avec efficacité.

Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1990, alinéa 21(3)g)


 

Réponse du ministère

137 Le 19 août 2005, j’ai fait parvenir mon Rapport préliminaire au Ministère, indiquant mes conclusions, opinions et recommandations préliminaires.  Le 29 août 2005, M. Ron Sapsford, sous-ministre, est venu personnellement à mon bureau m’apporter la réponse officielle du Ministère.  Il a déclaré appuyer pleinement mon Rapport.  Dans une lettre qu’il m’a remise, il a noté :

138 Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée reconnaît que si le comité consultatif sur les maladies métaboliques héréditaires avait été actif au moment où la famille Comeau-D’Orsay a fait sa première demande, le résultat de cette demande aurait pu être différent.  Considérant ce fait, ainsi que d’autres arguments soulevés dans votre analyse et vos conseils, le Ministère accepte de financer le Cystagon pour Christopher Comeau-D’Orsay, immédiatement, et dans ce cas, il paiera rétroactivement les dépenses faites par sa famille pour ce médicament à compter de la date de sa première demande de financement, comme vous l’avez recommandé.

139 Un autre point soulevé par vous porte sur le processus d’application de l’article 8 et sur la politique actuelle du ministère.  En juin 2005, le Ministère a mis en place un Secrétariat du système de médicaments pour concevoir, explorer, recommander et instaurer des changement dans l’ensemble du système, de sorte à créer des résultats positifs pour les malades dans le cadre d’un système durable et responsable envers les contribuables de l’Ontario.  Nous considérons actuellement des stratégies pour résoudre plusieurs des problèmes soulevés dans votre Rapport, notamment quant au processus de l’article 8 de la Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario.

140 Le Ministère établira rapidement un nouveau protocole pour répondre aux requêtes de financement en vertu de cette Loi.  Ceci comprendra entre autres des déclarations claires sur les processus et les critères à suivre pour approuver le financement.  Quand il existe d’autres programmes ou services pour aider les malades, ils seront alors clairement identifiés.

141 En ce qui concerne le comité consultatif sur les maladies métaboliques héréditaires (MMH), le Ministère fera immédiatement le nécessaire pour mettre en place un nouveau processus chargé de la responsabilité majeure de l’ancien comité sur les MMH.  Ceci permettra au Ministère de répondre à ce type de demandes à l’avenir.  Le Ministère prend cette mesure dans l’intention de se conformer à vos recommandations.

142 Je regrette sincèrement les difficultés que la famille Comeau-D’Orsay a rencontrées quand elle a essayé d’obtenir un financement pour Christopher.

143 Bien que ceci ne ressorte pas du Rapport, je peux vous assurer que le Ministère et son personnel essaient fort d’être conscients des besoins des Ontariens.  Ce Ministère vise la qualité dans ses services et réagit vite en cas d’erreur.  Votre Rapport nous a aidés à clarifier un certain nombre d’incohérences dans nos programmes et politiques, que le Ministère entreprendra de corriger.


144 Je félicite le sous-ministre d’avoir pris des mesures positives afin de régler les problèmes soulignés dans mon Rapport. L’acceptation de mes recommandations par le Ministère témoigne d’un engagement fort à agir de manière juste et responsable au sein du gouvernement et envers le public de l’Ontario.

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André Marin
Ombudsman de l’Ontario



[1] Un groupe de « personnes admissibles » non pertinent pour ce Rapport, est celui des « personnes du troisième âge, personnes bénéficiant de l’aide sociale et personnes bénéficiant de soins professionnels à domicile, et résidents d’établissements de soins de longue durée et de soins spéciaux ». Ces personnes sont admissibles au « Programme de médicaments de l’Ontario ».
[2] Je ne suis pas certain si le « Programme de médicaments Trillium » fait partie du « Programme de médicaments de l’Ontario » ou s’il est autonome – les documents ministériels que nous avons découverts durant notre enquête varient sur ce point. La distinction correcte à faire n’a pas d’importance, mais il faut toutefois souligner que dans la correspondance envoyée aux Comeau-D’Orsay, le « Programme de médicaments de l’Ontario » inclut le « Programme de médicaments Trillium ».
[3] Ce commentaire, qui sous-entend de manière inexacte que Santé Canada a refusé d’approuver le Cystagon pour le traitement de la maladie de Batten, résulte d’une mauvaise interprétation des lettres de M. D’Orsay. Celui‑ci n’a jamais dit que Santé Canada avait refusé une demande au Programme d’accès spécial pour la maladie de Batten. Il a simplement déclaré : « [Nous] ne pouvons pas obtenir de Cystagon au Canada, parce que c’est un médicament d’accès spécial prescrit ici uniquement pour le traitement de la cystinose. » La réponse à sa lettre reflétait une mauvaise compréhension des faits, qui aurait pu être évitée avec un peu de recherche.
[4] Cette possibilité a fait surface car M. D’Orsay demande en fait dans sa lettre une aide pour obtenir accès à ce médicament au Canada, demande qu’il a faite car il devait acheter ce médicament aux Etats-Unis.
[5] En fait, comme nous le montrons ci-dessous, la province finançait le Cystagon, mais uniquement pour le malades atteints de cystinose.
[6] Pour être juste, je dois considérer la possibilité suivante : la lettre est peut-être techniquement exacte, car le Cystagon est donné aux malades atteints de cystinose, dans le cadre du PMMH, et la lettre dit qu’il n’est pas admissible en vertu du « Formulaire… ou du PMO. » Malheureusement, à la lumière du manque de cohérence dans les documents ministériels, je ne suis pas certain si le PMMH fait partie du « PMO », ou s’il en est distinct. Si le PMMH ne fait pas partie du « PMO », le message présenté dans la lettre est techniquement correct. En fin de compte,  je crois que cela a peu d’importance. Quand elle a signé la lettre, ou bien la directrice de la Direction des programmes de médicaments ne savait pas que le Cystagon était financé dans le cadre du PMMH, ou bien elle était satisfaite que la lettre soit rédigée de manière stratégique pour donner l’impression que le médicament ne pouvait pas être payé par le Ministère. Je n’ai aucune preuve pour suggérer que la directrice ait voulu induire en erreur la famille Comeau-D’Orsay de cette manière. Je crois au contraire qu’elle se montrait honnête quand elle nous a dit, par erreur, que si le Cystagon est payé par le Ministère, ça doit être à partir des budgets des hôpitaux. J’en conclus donc qu’elle ne connaissait pas un fait et qu’elle en a présenté la version contraire, faute de recherches adéquates faites par son personnel. D’une façon ou d’une autre, cette affirmation n’aurait jamais dû être faite.