Enquête sur la réunion à huis clos du Conseil du Canton de Black River-Matheson le 2 septembre 2014
« Tout dépend du lieu »
André Marin
Ombudsman de l’Ontario
Novembre 2014
Plainte
1 Le 4 septembre 2014, mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une réunion à huis clos du Comité plénier du Conseil du Canton de Black River-Matheson. Cette réunion avait eu lieu le 2 septembre 2014.
2 Selon le plaignant, le lieu de la réunion avait été changé et une partie de la réunion s’était déroulée à huis clos, sans qu’un avis soit dûment donné au public au sujet de l’un et de l’autre de ces points.
Compétence de l’Ombudsman
3 En vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités (la Loi), toutes les réunions d’un conseil municipal, d’un conseil local, et d’un comité de l’un ou de l’autre doivent se tenir en public, sous réserve des exceptions prescrites.
4 Depuis le 1er janvier 2008, les modifications apportées à la Loi accordent aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité s’est dûment retirée à huis clos. Les municipalités peuvent désigner leur propre enquêteur ou recourir aux services de l’Ombudsman de l’Ontario. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut dans les municipalités qui n’ont pas désigné leur propre enquêteur.
5 Mon Bureau est chargé d’enquêter sur les réunions à huis clos dans le Canton de Black River-Matheson.
6 Lorsqu'il enquête sur les plaintes à propos de réunions à huis clos, notre Bureau détermine si les exigences des réunions publiques énoncées dans la Loi et le Règlement municipal de procédure pertinent ont été respectées.
Processus d’enquête
7 Le 4 septembre 2014, les membres de l’Équipe d’application de la loi sur les réunions publiques (OMLET) de mon Bureau ont avisé le Canton que nous mènerions une enquête sur cette plainte.
8 Nous avons examiné la documentation de la réunion du Conseil le 2 septembre, dont l’ordre du jour et le procès-verbal, la correspondance discutée durant la séance à huis clos, les courriels organisant la séance à huis clos, le Règlement de procédure du Canton et les extraits pertinents de la Loi. De plus, nous avons parlé avec le personnel du Canton et nous avons interviewé certains membres du Conseil qui étaient présents à la réunion.
9 Les membres du Conseil et du personnel ont pleinement coopéré à notre enquête.
10 Des élections municipales ont eu lieu le 27 octobre 2014. Un nouveau maire a été élu, ainsi que cinq nouveaux conseillers. Notre enquête s’est achevée avant l’entrée en fonction du nouveau Conseil.
Règlement de procédure
11 Le Règlement de procédure du Canton (06-2011) stipule que les réunions ordinaires du Conseil et du Comité plénier se tiendront les premier et troisième lundis de chaque mois à 18 h 30.
12 Le Règlement stipule aussi que les réunions auront lieu dans la salle du Conseil, au bureau du Canton (situé à Matheson), ou dans un lieu désigné et utilisé par le Conseil de temps à autre.
13 Le Règlement n’exige pas explicitement qu’un avis soit communiqué au public pour les réunions ordinaires ou extraordinaires. En revanche, il stipule que le calendrier approuvé des réunions ordinaires du Conseil et du Comité plénier doit être affiché sur le babillard municipal, qui se trouve dans le bureau administratif du Canton.
14 La secrétaire nous a fait savoir qu’en plus d’afficher le calendrier annuel des réunions sur le babillard, le Canton a pour habitude de le mettre en ligne sur son site Web.
15 Le Règlement n’exige pas que les ordres du jour des réunions soient affichés d’avance. Nous avons été informés qu’en pratique, l’ordre du jour d’une réunion est généralement affiché sur le site Web du Canton à un moment de la journée du lundi avant la réunion.
16 Conformément au Règlement, l'ordre du jour peut être modifié lors d’une réunion par une résolution adoptée par les deux tiers des conseillers présents.
Réunion du 2 septembre 2014
Contexte
17 Le 31 mars 2014, la convention collective entre le Canton et 15 de ses employés non-cadres, représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a pris fin.
18 À la suite de l’échec des négociations, un lockout imposé par le Canton a commencé le 11 août 2014.
19 Le 6 octobre 2014, ce lockout a pris fin et les employés adhérant au SCFP ont repris le travail au Canton.
Avis et ordre du jour
20 Une réunion ordinaire du Comité plénier était prévue pour le 2 septembre 2014, à 18 h 30. La date et l’heure de cette réunion ont été affichées sur le babillard et le site Web du Canton.
21 Une trousse contenant l'ordre du jour de la réunion du 2 septembre 2014 a été envoyée au Conseil le matin du 27 août 2014. L’ordre du jour indiquait que la réunion se tiendrait à l'aréna communautaire Vern Mill Memorial, à Matheson. Ce lieu différait du lieu habituel de réunion, à savoir la salle du Conseil, en raison d’un conflit juridique en cours et du fait qu'un public plus nombreux, intéressé par ce conflit de travail, était attendu.
22 L’ordre du jour ne prévoyait pas de séance à huis clos pour cette réunion.
23 Vers 13 h, le 27 août 2014, le maire (Mike Milinkovich) a envoyé un courriel au bureau de la secrétaire, disant qu’il demandait qu’une partie de la réunion du 2 septembre 2014 se tienne à huis clos, pour discuter de relations de travail dans le cadre d’un conflit de travail en cours avec des employés municipaux.
24 Tôt le matin du 28 août 2014, la secrétaire a envoyé un courriel à tous les conseillers les informant que le maire avait demandé un ajout à l’ordre du jour, pour tenir une séance à huis clos en vertu de l’alinéa 239 (2) d), afin de discuter du conflit de travail en cours.
25 D’après les renseignements que nous avons obtenus, l’ordre du jour de la réunion, indiquant qu’elle se tiendrait dans l’aréna, n’a été affiché ni sur le babillard, ni sur le site Web du Canton.
26 Cependant, quelques membres du public ont appelé le bureau du Canton pour s’enquérir de la réunion et le personnel municipal resté au bureau les a avisés qu'elle se tiendrait dans l’aréna.
27 Nous avons été informés que l’ordre du jour n’avait pas été affiché d’avance sur le site Web du Canton en raison du conflit de travail en cours et des difficultés qu'avaient les quelques employés restés au travail à s’acquitter de toutes les tâches municipales requises.
Discussions de la réunion à huis clos
28 Le procès-verbal de la réunion à huis clos montre qu’au début de la réunion publique, à 18 h 30, deux conseillers ont proposé d’adopter un ordre du jour modifié, qui a été approuvé à l’unanimité, conformément au Règlement de procédure du Canton.
29 Puis le Conseil a adopté une résolution pour se retirer à huis clos, à 18 h 35, conformément à l’alinéa 239 (2) d) de la Loi, afin de discuter d’une question de relations de travail, en précisant que la nature générale de la réunion porterait sur des « négociations syndicales ».
30 Le procès-verbal de la réunion à huis clos donnait peu d’autres renseignements et ne consignait aucun des détails des discussions tenues alors. De plus, le Canton ne fait pas d’enregistrement électronique de ses séances publiques ou à huis clos. Cependant, d’après les entrevues que nous avons effectuées, notre Bureau a pu déterminer que les discussions à huis clos avaient porté sur le lockout en cours du SCFP.
31 Toutes les personnes que nous avons interviewées ont confirmé que le maire avait tout d’abord discuté d’une réunion tenue pour établir un protocole de grève. Il avait aussi parlé de divers échanges que des conseillers disaient avoir eus avec des employés en grève, ainsi que de la stratégie du Conseil pour régler ce conflit de travail. Enfin, le maire avait discuté d’une offre faite par un membre du public pour faciliter le règlement du conflit de travail.
32 Nous avons été aussi informés que le directeur des travaux publics avait communiqué d’autres renseignements sur la réunion concernant le protocole de grève, à laquelle il avait assisté, et avait donné son opinion sur les échanges des conseillers avec les employés en grève.
33 Les témoins nous ont déclaré que la plus grande partie de la séance à huis clos avait ensuite été consacrée au point fait par le négociateur en chef sur les progrès des négociations avec le syndicat et sur le détail des possibilités s’offrant au Conseil. Ce dernier a enjoint au négociateur d’inviter le syndicat à une rencontre.
34 La séance à huis clos de la réunion a pris fin à 19 h 24.
35 Certains membres du public qui avaient appris le changement de lieu de la réunion en téléphonant au Canton, ou par le bouche-à-oreille, étaient présents à la séance publique. Toutefois, le Conseil n’a pas fait de rapport sur les questions discutées à huis clos. La séance publique s’est achevée à 19 h 43.
36 D’après les renseignements que nous avons obtenus, la réunion suivante du Conseil (le 15 septembre) a également eu lieu dans l’aréna. Une fois de plus, aucun avis de ce changement de lieu n’a été communiqué d’avance, mais certains membres du public ont assisté à la réunion, ayant appris ce changement par le bouche-à-oreille, ou en appelant le bureau du Canton.
37 Depuis cette date, le Conseil a repris ses réunions dans la salle du Conseil et a recommencé à afficher ses ordres du jour en ligne, avant les réunions.
Analyse
Application de l’exception des relations de travail/des négociations avec les employés
38 En vertu de la Loi, le Conseil est en droit de discuter à huis clos de questions ayant trait aux relations de travail et aux négociations avec les employés (alinéa 239 (2) d)).
39 Comme je l’ai souligné dans mon rapport de novembre 2013 sur les réunions à huis clos tenues par le Canton de Leeds et des Mille-Îles, malgré l’absence de jurisprudence connue sur l’interprétation de l’exception des « relations de travail ou négociations avec les employés » énoncée dans la Loi, des décisions rendues dans des causes sur l’accès à l’information peuvent servir de guides (bien qu’elles ne soient pas exécutoires pour mon Bureau)[1].
40 Selon le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée, l’expression « relations de travail » fait référence aux relations de négociations collectives entre un organisme et ses employés (ordonnance du CIPVP PO‑2613).
41 Les discussions tenues à huis clos le 2 septembre 2014 relevaient clairement de l’exception énoncée à l’alinéa 239 (2) d), étant donné qu’elles portaient sur le conflit de travail en cours entre le Canton et ses employés syndiqués.
42 Bien que cette exception soit de nature discrétionnaire, le Conseil était en droit de discuter à huis clos du conflit de travail en cours.
Avis au public
43 Le paragraphe 238 (2) de la Loi stipule qu’un Règlement de procédure doit prévoir qu’un avis sera communiqué au public pour toutes les réunions. En revanche, la Loi ne précise pas le contenu de l’avis à communiquer au public.
44 À maintes reprises, mon Bureau a souligné que les avis devraient inclure des renseignements adéquats et pertinents, sur toutes les parties des réunions, aussi bien publiques qu’à huis clos[2].
45 Une interprétation raisonnable de ce qui constitue un « avis » adéquat inclut l’heure, la date et le lieu de la réunion.
46 Cette interprétation est guidée par des dispositions législatives similaires sur les avis, par exemple celles données par la Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, chapitre B.16, stipulant que l’avis de toute réunion des actionnaires doit inclure la date, l'heure et le lieu de la réunion (article 96) et celles de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, chapitre E.2, stipulant que les avis de certaines réunions doivent indiquer clairement la date, l'heure et le lieu de réunion (paragraphe 62 (6), paragraphe 90 (1)), ainsi que la Loi sur l’expertise des compétences légales, L.R.O. 1990, chapitre S.22, stipulant que l’avis d’une audience orale doit comprendre l’indication de l’heure, de la date et du lieu de l’audience (paragraphe 6 (3)).
47 Cette définition d’un « avis adéquat » est aussi guidée par les principes sous-jacents des lois sur les réunions publiques, c’est-à-dire par le droit qu’a le public « d’observer le déroulement des travaux du gouvernement municipal »[3]. Sans la communication d'un avis sur le lieu d'une réunion, le public se voit de fait privé de ce droit.
48 L’heure et la date de la réunion du 2 septembre 2014 ont été affichées dans le calendrier annuel des réunions, sur le site Web et le babillard du Canton, mais les membres du public n'ont pas été avisés du changement de lieu de cette réunion. En effet, l’ordre du jour – seul document annonçant ce changement – n’a été distribué qu’aux membres du Conseil.
49 Bien que cette absence d’avis au public ait résulté apparemment d'une omission due aux répercussions des pénuries de personnel et au conflit de travail en cours, la réunion à huis clos du Conseil le 2 septembre 2014 a techniquement enfreint la Loi sur les municipalités, car le public n’a pas été avisé du changement de lieu.
Règlement de procédure
50 Lors de notre examen du Règlement de procédure du Canton, nous avons constaté qu’il ne stipulait pas expressément qu’un avis doit être communiqué au public pour les réunions ordinaires ou extraordinaires. Or, en vertu du paragraphe 238 (2) de la Loi, ce Règlement doit prévoir qu’un avis sera communiqué au public pour toutes les réunions.
51 Nous avons aussi remarqué que le Règlement de procédure indique au paragraphe 18 (2) que les questions couvertes par les exceptions aux exigences légales des réunions publiques doivent être discutées à huis clos. Laisser entendre que l’examen de telles questions doit obligatoirement se faire à huis clos contredit les dispositions de la Loi.
52 En fait, le Conseil a toujours le pouvoir discrétionnaire d’examiner ces sujets en séance publique. Seules les questions relevant du paragraphe 239 (3) – ayant trait aux requêtes en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée – doivent être discutées à huis clos.
53 Par conséquent, je fais sept recommandations au Conseil pour qu’il améliore son Règlement de procédure et ses méthodes concernant les réunions à huis clos.
Opinion
54 Notre enquête a conclu que la séance à huis clos de la réunion du Comité plénier du Canton de Black River-Matheson, le 2 septembre 2014, était dûment permise en vertu des exceptions énoncées dans la Loi sur les municipalités. En revanche, la réunion du 2 septembre a enfreint les exigences des réunions publiques de la Loi, car aucun avis n’avait été communiqué au public quant au changement de lieu de la réunion.
Recommandations
55 Bien que la composition du Conseil ait changé depuis l’élection du 27 octobre 2014, mes recommandations s’appliquent aussi au Conseil nouvellement élu, et je lui fais confiance pour qu’il les suive tout au long de son nouveau mandat.
Recommandation 1
Le Canton de Black River-Matheson devrait modifier son Règlement de procédure afin qu’il stipule explicitement qu’un avis doit être communiqué au public pour les réunions ordinaires et extraordinaires.
Recommandation 2
Le Canton de Black River-Matheson devrait modifier son Règlement de procédure pour refléter la nature discrétionnaire de la majorité des exceptions aux exigences des réunions publiques.
Recommandation 3
Le Canton de Black River-Matheson devrait veiller à ce que ses avis publics de réunions ordinaires et extraordinaires incluent des renseignements pertinents sur la date, l’heure et le lieu de la réunion.
Recommandation 4
Le Canton de Black River-Matheson devrait faire un compte rendu, au moins général, en séance publique des questions discutées à huis clos, en fournissant autant de détails que le permettent ces questions.
Recommandation 5
Le Canton de Black River-Matheson devrait veiller à afficher l’ordre du jour des réunions ordinaires et extraordinaires du Conseil et du Comité plénier avant toute réunion, et à inclure à un nouvel ordre du jour tout point survenant après l'affichage de l'ordre du jour original - ce nouvel ordre du jour devant lui aussi être rendu public.
Recommandation 6
Le Canton de Black River-Matheson devrait améliorer les comptes rendus écrits de ses réunions. Conformément au paragraphe 239 (7) de la Loi, un compte rendu écrit des réunions à huis clos devrait idéalement faire référence aux points suivants :
- lieu de la réunion;
- moment où la réunion a commencé et où la séance a été levée;
- personne qui a présidé la réunion;
- personnes présentes à la réunion, avec référence spécifique au secrétaire ou au responsable désigné chargé du compte rendu de la réunion;
- indication de tout participant parti ou arrivé durant la réunion, avec mention de l’heure de départ ou d’arrivée;
- description détaillée des questions de fond et de procédure qui ont été discutées, avec référence à tout document spécifique examiné;
- toute motion, avec référence à la personne qui l’a présentée et à celles qui l’ont appuyée;
- tous les votes, et toutes les directives données.
Recommandation 7
Dans l’intérêt de la transparence et de la responsabilisation, le Canton de Black River-Matheson devrait faire des enregistrements audio et/ou vidéo de toutes ses réunions à huis clos et conserver ces enregistrements de manière confidentielle et sûre, pour qu'ils puissent être consultés plus tard.
Rapport
56 Le personnel de mon Bureau a parlé avec la secrétaire, le maire nouvellement élu, M. Garry Edwards, et le maire sortant (M. Milinkovich) le 24 novembre 2014 pour leur donner un aperçu de ces conclusions et offrir à la Municipalité la possibilité de les commenter. Nous avons tenu compte de leurs commentaires pour préparer ce rapport.
57 Mon rapport devrait être communiqué au Conseil et rendu public dès que possible, au plus tard lors de la prochaine réunion ordinaire du Conseil le 19 janvier 2015.
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André Marin
Ombudsman de l'Ontario
[1] Ombudsman Ontario, Enquête visant à déterminer si des membres du Conseil du Canton de Leeds et des Mille-Îles ont tenu indûment des réunions à huis clos le 16 novembre 2012 et le 19 février 2013, novembre 2013
[2] Voir le Guide des réunions ouvertes au public : Loi sur la transparence administrative en Ontario, publié par mon Bureau, 2e édition, p. 19, et mon rapport de décembre 2010, Enquête visant à déterminer si le Conseil municipal de Mattawa et son Comité spécial du patrimoine ont tenu indûment des réunions à huis clos
[3] London (Cité) c. RSJ Holdings Inc. [2007], 2 RCS 588, par. 32.