Viser juste

Viser juste

mars 28, 2006

28 mars 2006

Enquête sur la transparence du processus d’évaluation foncière des municipalités et sur l’intégrité et l’efficacité du processus décisionnel à la Société d’évaluation foncière des municipalités.

Enquête sur la transparence du processus d’évaluation foncière des municipalités et sur l’intégrité et l’efficacité du processus décisionnel à la Société d’évaluation foncière des municipalités

« Viser juste »

André Marin
Ombudsman de l'Ontario

mars 2006

 

Contributeur(trice)s

Directeur, Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman (EISO)

  • Gareth Jones

Enquêteur(euse)s

  • Mary Jane Fenton, Enquêteuse principale
  • Kwame Addo
  • Rosie Dear
  • Barbara Hirst

Avocates principales

  • Laura Pettigrew
  • Wendy Ray

Table des matières



 

Viser juste

1   Comme l’a si bien dit Benjamin Franklin, « dans ce monde, il n’y a aucune certitude, sauf la mort et les taxes ». Et depuis 1793, soit seulement trois ans après la mort de Franklin, les taxes foncières font intégralement partie de la vie en Ontario. Mais bien que l’obligation de payer des impôts fonciers soit chose certaine pour eux, les propriétaires fonciers en Ontario ont bien peu de certitudes quant au système d’évaluation foncière sur lequel repose le calcul de leurs impôts fonciers. Ce manque de certitudes s’explique en partie par la complexité inhérente des problèmes d’imposition, mais l’incertitude et la frustration des propriétaires fonciers en Ontario découlent surtout des méthodes suivies par la Société d’évaluation foncière des municipalités (SÉFM), société à but non lucratif responsable d’effectuer les évaluations dans la province. Considérons la saga de Pierre Untel.[1]

2   Le 29 juin 2001, Untel a acheté une propriété à Toronto pour la somme de 503 000 $. Le lendemain – soit le 30 juin 2001, date d’évaluation foncière dans la province – la SÉFM a déterminé que sa propriété valait 617 000 $. Ne croyant pas un instant que le 30 juin 2001 avait été à ce point un jour d’inflation, Untel a demandé à la SÉFM de reconsidérer sa décision. Il a eu de la chance. Contrairement à ce qui s’est passé dans des situations similaires dont nous avons pris connaissance durant notre enquête, la SÉFM a réduit son évaluation à la valeur de vente réelle. Mais ses voisins, dans son condominium à sept appartements, n’ont pas eu la même chance. La SÉFM n’a pas accepté de considérer le prix d’achat payé par Untel comme marquant la valeur de leurs propriétés qui étaient pourtant similaires. Les voisins ont protesté, et trois d’entre eux sont parvenus à une entente, mais trois autres ont dû consacrer un temps et une énergie considérables pour faire appel auprès de la Commission de révision de l’évaluation foncière de l’Ontario. Untel a représenté ses voisins durant ces appels. Quand il a essayé d’obtenir tous les renseignements nécessaires sur la manière dont la SÉFM avait bien pu arriver à ses évaluations, pour pouvoir intervenir au nom de ses voisins, il s’est heurté à un obstacle. La SÉFM gardait certains renseignements. Cette société à but non lucratif, dotée du pouvoir de déterminer la part des impôts que les citoyens doivent payer, maintenait intentionnellement le processus dans l’opacité et le mystère, entouré du secret. Et pourtant, Untel a gagné. La Commission de révision de l’évaluation foncière est arrivée à cette conclusion, qui n’est en rien surprenante : « Il n’y a pas de meilleure preuve de la valeur actuelle d’une propriété que ce qu’un acheteur consentant a payé à un vendeur consentant pour la propriété en question, ou pour des propriétés comparables, au cours d’une période pertinente », mais jusqu’à présent cette déclaration est restée sans effet sur la SÉFM. Et c’est sans doute pourquoi la saga d’Untel ne s’est pas arrêtée là. L’année suivante, l’évaluation de sa propriété était de nouveau à la hausse, et de nouveau il a protesté. Une fois de plus, il a persuadé la SÉFM que cette évaluation était de 80 000 $ trop élevée. Mais personne n’a consigné les raisons de cette décision. Résultat, l’évaluation d’Untel pour 2005 était de nouveau à la hausse, et une fois de plus, il a dû recommencer.

3   Untel n’est pas la seule personne qui se heurte, année après année, au cycle de l’évaluation et d’une réduction de l’évaluation suite à un « réexamen » ou à un « appel ». Il n’est pas non plus la seule personne qui se voit nier un plein accès à l’information sur son évaluation. Des milliers d’Ontariens ont partagé son expérience et beaucoup en sont ressortis avec un sentiment de colère et de méfiance. C’est pourquoi j’ai entrepris cette enquête. Je crois qu’il y a une crise de crédibilité, et que cette méfiance est en grande partie justifiée. La crédibilité du processus d’évaluation de la SÉFM, qui souffre déjà d’écarts inexpliqués d’évaluation et de révisions annuelles, ne peut tout simplement pas être rétablie sans une explication transparente du processus et sans un changement au niveau des aspects fondamentaux de la culture d’entreprise de la SÉFM.

4   Je tiens à dire, au départ, que la SÉFM est à bien des égards une société impressionnante qui s’acquitte d’une tâche massive et titanesque, avec beaucoup moins de ressources qu’elle ne devrait en avoir. J’ai été frappé par son ambition d’être un chef de file dans le domaine de l’évaluation foncière, par son souci rigoureux de s’améliorer et par ses efforts constants d’autoévaluation. J’ai aussi été encouragé de voir l’approbation qu’elle avait reçue de l’International Association of Assessing Officers[2] et de constater son attitude d’ouverture à mon enquête – ouverture dont elle a fait preuve non seulement en manifestant une volonté d’amélioration mais aussi en prenant des mesures proactives depuis que j’ai annoncé cette enquête. Néanmoins, la SÉFM a une satisfaction excessive de la qualité de ses produits, montre un attachement malsain à sa méthode d’évaluation en masse assistée par ordinateur, et conserve une habitude du secret bien trop profonde pour gagner la confiance du public. Résultat, j’ai constaté qu’il existait une foule de problèmes, dont les suivants :

  • la SÉFM n’a pas facilité l’accès de l’information qu’elle est prête à partager avec les contribuables;

  • sans s’en rendre compte, la SÉFM a choisi de sacrifier sa propre crédibilité à son souci de confidentialité, en protégeant certains aspects de son processus d’évaluation;

  • la SÉFM ne se préoccupe pas suffisamment des problèmes qu’elle a rencontrés pour assurer l’exactitude de ses renseignements, pierre angulaire d’évaluations justes;

  • la SÉFM croit qu’elle en sait plus long que la Commission de révision de l’évaluation foncière, organisme constitué en vertu d’une loi et chargé d’entendre les appels présentés suite à ses décisions, et par conséquent elle ne respecte pas adéquatement les décisions de cette Commission;

  • la SÉFM n’apporte pas suffisamment de soin à enregistrer les renseignements susceptibles de bénéficier aux contribuables;

  • dans certains cas, et apparemment sans le voir, la SÉFM jouit d’un pouvoir déséquilibré durant le processus d’appel, ce qui devrait être corrigé.


5   Je sais que les sondages internes de la SÉFM sur la satisfaction de la clientèle tendent à montrer de bons résultats. Franchement, je remets ces résultats en question. Jamais dans ses 30 ans d’histoire, mon bureau n’a reçu autant de plaintes en si peu de temps à propos d’un organisme public. Mon bureau a été inondé de protestations de citoyens mécontents – plus de 3 700 d’entre eux. Les Ontariens sont venus, nous ont écrit, nous ont téléphoné, nous ont envoyé des courriels, et ils ne l’ont pas fait uniquement parce qu’ils avaient une tribune pour se plaindre au sujet de leurs taxes. Ils l’ont fait parce qu’ils jugent les méthodes d’évaluation de la SÉFM fondamentalement injustes. Je ne suis pas convaincu que tous les problèmes sont aussi graves que certains le pensent, mais ils sont bien réels et méritent qu’on y prête attention. Tant qu’ils ne seront pas réglés, le public ne pourra tout simplement pas faire confiance à la SÉFM et les erreurs persisteront.

 

Aperçu

6   En juin 2005, une personne travaillant au système d’évaluation nous a informés que la SÉFM ne tenait pas compte des réductions d’évaluation des propriétés décidées par la Commission de révision de l’évaluation foncière. Ce n’était pas la première fois que nous recevions une plainte à propos de la SÉFM. En fait, de janvier à octobre 2005, 75 plaintes nous sont parvenues. La majorité de ces plaintes affirmaient que la SÉFM ignorait les réductions d’évaluation obtenues auprès de la Commission de révision de l’évaluation foncière, ou suite à une demande de réexamen, lorsqu’elle procédait à ses évaluations les années suivantes. En juin 2005, j’ai donc demandé à l’Équipe d’intervention spéciale de l’ombudsman (EISO) d’entreprendre une enquête préliminaire sur le terrain pour déterminer s’il y avait ou non suffisamment de raisons pour justifier une enquête exhaustive de l’EISO. Deux enquêteurs de l’EISO et les avocates principales ont été désignés pour étudier la question. Ils ont passé en revue les plaintes, visité les bureaux de la SÉFM, interviewé le personnel de la SÉFM et obtenu de la documentation à la fois auprès de la SÉFM et des autres intervenants.

7   L’enquête préliminaire a montré qu’il y avait clairement des raisons de procéder à une enquête complète. À l’origine, la question posée était celle de l’intégrité et de l’efficacité du processus décisionnel à la SÉFM. Une question a été ajoutée à cela, car il est ressorti que les propriétaires fonciers considéraient que le système manquait de transparence et qu’ils n’étaient pas informés des critères de leur évaluation foncière. Le 17 octobre 2005, j’ai annoncé publiquement mon enquête, définissant les questions qui en feraient l’objet et invitant les intéressés à communiquer avec nous. Comme je l’ai mentionné, la réponse a été massive. Dans les quelques mois qui ont suivi, nous avons reçu 3 720 plaintes de propriétaires fonciers à propos de la SÉFM. Nous avons aussi reçu des dépositions et des offres de renseignements des groupes suivants :

  • employés actuels et anciens employés de la Commission de révision de l’évaluation foncière et de la SÉFM, et anciens employés du ministère des Finances;

  • groupes d’intérêt et organisations, dont le Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO), la Fédération de l’agriculture de l’Ontario (FAO), la Canada’s Association for the Fifty-Plus (CARP), la Waterfront Ratepayers After Fair Taxation (WRAFT), la Canadian Advocates For Tax Awareness (CAFTA), et plusieurs autres associations de contribuables, groupes pour la défense des logements à but non lucratif, groupes spéciaux de résidents, associations de locataires et associations d’amélioration des affaires;

  • conseillers et agents en évaluation foncière.


8   Nous avons aussi reçu des plaintes et des dépositions de plus de 104 représentants locaux, régionaux et provinciaux, de 83 municipalités, y compris de maires de plusieurs municipalités. Un certain nombre de municipalités ont adopté des résolutions ou présenté des pétitions pour appuyer notre enquête. Sept députés provinciaux nous ont communiqué leurs préoccupations sur la question.

9   Le Président et directeur général de la SÉFM, M. Carl Isenburg, a communiqué avec notre bureau et nous a offert l’entière collaboration de la SÉFM. Il a déclaré publiquement : « Le réexamen de l’ombudsman est le bienvenu pour nous. »

10  Quatre enquêteurs de l’EISO ont été désignés pour mener l’enquête, et d’autres enquêteurs se sont joints à eux selon les besoins durant la phase des entrevues. L’équipe a préparé un plan détaillé d’enquête.

11  L’équipe d’enquête a étudié avec soin chacune des plaintes et a choisi un certain nombre de plaignants en vue d’entrevues plus détaillées. Au total, nos enquêteurs ont fait 62 entrevues en personne avec des propriétaires fonciers partout en Ontario. Nous avons aussi fait beaucoup d’autres entrevues au téléphone. Au total, nous avons procédé à plus de 150 entrevues.

12  L’équipe d’enquête a également interrogé des employés actuels et d’anciens employés de la SÉFM. Plusieurs des employés actuels sont venus directement à nous et nous ont offert de nous communiquer des renseignements, sous le couvert de l’anonymat. Nous avons interviewé de hauts dirigeants de la SÉFM, des politiciens qui avaient communiqué avec nous, ainsi que des représentants de plusieurs groupes d’intérêt et organisations. Nous avons aussi parlé à d’anciens employés et à des employés actuels de la Commission de révision de l’évaluation foncière, de même qu’à d’anciens employés du ministère des Finances. Nous avons aussi participé à plusieurs assemblées publiques locales convoquées pour discuter de la SÉFM, dans diverses localités de l’Ontario.

13  Comme les questions qui faisaient l’objet de notre enquête n’étaient pas propres uniquement à l’Ontario, nous avons communiqué avec 15 autres autorités en Amérique du Nord pour déterminer comment elles géraient l’accès à l’information pour les propriétaires fonciers, ainsi que la mise à jour des évaluations et le processus d’appel.

14  Nous avons obtenu et étudié des milliers de pages de documentation qui nous sont venues de la SÉFM, des propriétaires fonciers, des groupes d’intérêt, des organismes d’évaluation des biens-fonds relevant d’autres autorités, et d’autres sources.

15  Voici notre rapport, qui fait état de nos découvertes. Vu la confusion générale qui règne sur la manière dont le système d’imposition foncière fonctionne, je commencerai par énoncer l’essentiel.

 

La Société d’évaluation foncière des municipalités

16  La SÉFM ne détermine pas le taux des impôts fonciers, n’envoie pas les relevés d’impôts. Ce sont les municipalités qui décident combien d’argent il leur faut, et qui demandent et obtiennent le paiement des impôts municipaux et des taxes pour l’éducation.[3] Comme dans toutes les autres provinces et dans la plupart des régions aux États-Unis, et comme dans bien des pays, le fardeau des impôts fonciers est réparti entre les propriétaires fonciers, chacun payant en fonction de la « valeur marchande » de leur propriété. Pour accentuer l’équité, l’uniformité et la transparence du processus d’évaluation, la Loi de 1997 sur le financement équitable des municipalités a été adoptée. Cette loi stipulait que les évaluations des biens-fonds partout dans la province devaient être actualisées en 1997, puis tenues à jour. Les municipalités ont recours aux services de la SÉFM pour cela. La fonction première[4] de la SÉFM est de classifier et de déterminer la « valeur actuelle » (expression utilisée dans la Loi sur l’évaluation foncière) de tout bien- fonds en Ontario – soit plus de 4,4 millions de biens-fonds, conformément aux lois et règlements établis par le gouvernement de l’Ontario. La SÉFM est donc un organisme d’évaluation, et non pas un organisme d’imposition.

17  Pour garantir l’équité entre les contribuables, la loi en Ontario désigne des dates d’évaluation qui s’appliquent à l’ensemble de la province. La valeur de toutes les propriétés doit donc être déterminée pour la même date. Autrefois, cette évaluation se faisait tous les deux ou trois ans. Ainsi, le 30 juin 1999 était la date d’évaluation pour l’identification de la « valeur actuelle » utilisée pour les années d’imposition 2001 et 2002. La « valeur actuelle » pour 2003 était évaluée en date du 30 juin 2001. Pour 2004 et 2005, la « valeur actuelle » était déterminée en date du 30 juin 2003. La Province de l’Ontario a maintenant décidé qu’il y aurait une nouvelle date d’évaluation chaque année. Désormais, pour donner le temps à la SÉFM de procéder à ses évaluations, les propriétaires fonciers en Ontario paieront les impôts fonciers calculés à partir de la « valeur actuelle » de leur bien-fonds au 1erjanvier de l’année précédente. Nous payons donc actuellement nos impôts fonciers de 2006 en fonction de la valeur de nos biens- fonds au 1erjanvier 2005. La SÉFM décide combien valent nos propriétés à cette date et fournit aux municipalités des rôles d’évaluation comprenant ces renseignements.

18  Les gouvernements municipaux de l’Ontario ont cessé de faire l’évaluation des biens-fonds en 1970, quand le processus d’évaluation a été repris par la province. En 1999, la tâche a été confiée à un organisme à but non lucratif, appelé alors la Société ontarienne d’évaluation foncière (SOÉF) qui est devenue par la suite la Société d’évaluation foncière des municipalités (SÉFM). Le conseil d’administration de la SÉFM est composé de cinq contribuables, huit représentants municipaux et deux représentants provinciaux, tous nommés par le ministre des Finances. C’est la plus grande organisation d’évaluation au Canada, et elle évalue plus de 1,1 trillion $ de biens-fonds. La SÉFM compte actuellement 1 401 employés à plein temps et 132 employés temporaires; elle a son bureau principal à Pickering en Ontario, ainsi que 33 bureaux en région. Malgré ces chiffres, nous avons reçu des plaintes disant que l’organisme a un gros manque de personnel, et ses états de service nous portent à croire qu’il en est ainsi. En 2005, la SÉFM avait des revenus de 158 015 000 $ pour des dépenses de 147 277 000 $. On le voit : l’évaluation foncière en Ontario, c’est une entreprise considérable.

19  Même avec autant d’employés et un si gros budget, la SÉFM ne peut pas chaque année, ni même une fois tous les deux ans, recourir aux « méthodes traditionnelles d’évaluation selon lesquelles un évaluateur inspecte physiquement les biens-fonds, et se fie donc… à son expérience et à son jugement pour analyser des données sur le marché immobilier afin d’arriver à une estimation de la valeur marchande »[5]. La SÉFM a donc recours à un ensemble de méthodes d’évaluation, selon la nature d’un bien-fonds et les circonstances d’un cas, mais elle fait surtout des « évaluations en masse »[6]. Plus de 85 pour 100 des propriétés en Ontario, dont la grande majorité des propriétés résidentielles, sont évaluées à l’aide d’une méthode complexe assistée par ordinateur et appelée « analyse de régression multiple ». En termes simples, le processus consiste à identifier une valeur marchande de base pour les biens-fonds d’une région géographique donnée, puis de rajuster la valeur à la hausse ou à la baisse selon les caractéristiques d’un bien- fonds pour trouver sa « valeur actuelle ». Il faut bien comprendre qu’avec ce processus, la SÉFM ne se rend pas sur les lieux dans une région donnée pour trouver des biens-fonds spécifiques « comparables » et ne retrace pas leur historique de vente. La SÉFM s’en remet à des modèles pour générer des estimations complexes de valeur marchande.

20  Le processus complexe utilisé par la SÉFM exige d’énormes quantités de données, qui sont actualisées constamment. S’en remettant fortement à Teranet Inc., société qui gère le système de taxe sur les transferts fonciers en Ontario, la SÉFM obtient ses données les plus importantes en suivant toutes les ventes effectuées dans la province et en mobilisant son attention sur les transactions des trois années précédentes[7]. En examinant la valeur des transactions et d’autres données pertinentes, la SÉFM détermine différentes régions géographiques dans la province qui sont censées partager les mêmes conditions de marché foncier et les mêmes influences économiques fondamentales, et qui lui servent de « modèles ». Actuellement, la SÉFM travaille à partir de 131 régions ainsi déterminés. La SÉFM utilise ensuite sa banque de données pour décomposer les « modèles » en unités plus petites afin de refléter les variations locales de marché. À Ottawa, par exemple, il y a trois régions de marché avec 127 voisinages. La SÉFM établit une valeur marchande de base pour les biens-fonds dans chacune des zones pertinentes, et chacune de ces zones fait l’objet d’une « vérification de la qualité » et d’un examen par le personnel qui connaît la région et son marché immobilier. Tout ceci n’est que le début. Pour procéder à des évaluations spécifiques de biens-fonds donnés, la SÉFM détermine les caractéristiques susceptibles d’influencer la valeur de ces biens-fonds. Comme on pourrait s’y attendre, les caractéristiques principales qui contribuent à la valeur d’un bien- fonds comprennent son emplacement, les dimensions du terrain, l’aire de bâtiment, l’ancienneté et la qualité du bien-fonds. Des structures secondaires, comme un garage et d’autres aménagements du genre foyer et climatisation, contribuent aussi à la valeur d’un bien-fonds, tandis que d’autres facteurs comme la proximité de voies de circulation très passantes, de propriétés industrielles, de zones humides ou marécageuses ont une influence négative. Avec les données ainsi obtenues, la SÉFM peut faire une estimation des répercussions de dizaines de caractéristiques sur un marché donné.

21  Bien sûr, la SÉFM dispose d’énormes bases de données informatiques. Elle a aussi recours aux ordinateurs pour procéder à ses évaluations. Se fondant sur son estimation des répercussions qu’ont des caractéristiques particulières sur la valeur marchande, elle attribue aux données stockées par elle des valeurs et des codes qui dépendent de chacune des régions, et elle se sert d’un ensemble de logiciels de statistiques pour créer une « syntaxe » – soit des milliers de lignes de codes qui donnent une équation – afin de déterminer la valeur de biens-fonds donnés. Plus particulièrement, quand les données connues et propres à un bien-fonds donné sont entrées dans le système informatique de la SÉFM, il génère une évaluation qui est censée correspondre à la « valeur actuelle » de cette propriété.

22  La SÉFM est fière de sa méthode complexe d’évaluation. Il est vrai que comparée aux normes de l’industrie, c’est une méthode impressionnante. Néanmoins, même avec ce modèle, l’évaluation tient davantage de l’art que de la science. Bien que la valeur marchande soit déterminée à partir d’une expérience réelle passée, l’évaluation n’est qu’une savante devinette ou une prévision éclairée. Les caprices inhérents au processus d’évaluation se voient aux grandes marges d’erreur qui sont considérées appropriées dans l’industrie. Pour les évaluations en masse, l’International Association of Assessing Officers (IAAO) accepte un écart de 20 pour 100 entre la valeur médiane de l’évaluation et la valeur médiane de la vente réelle. Elle considère acceptable que la valeur médiane de la vente se situe jusqu’à 10 pour 100 au-dessus ou au-dessous de la valeur médiane de l’évaluation. Pour l’identification de la zone, l’IAAO est satisfaite si l’écart moyen par rapport à la valeur médiane des biens-fonds dans cette zone est moins de 15 ou 20 pour 100, selon le type de propriété, résidentielle ou commerciale[8]. Tout à son honneur, la SÉFM s’impose des normes plus strictes que celles-ci et vise des écarts de seulement 5 pour 100 de plus ou de moins.[9] Mais pour déterminer si un appel accueilli dans un cas particulier démontre un échec de son système, la SÉFM accepte un écart de 7,5 pour 100 en plus ou en moins.[10] L’acceptation de ces marges d’imprécision montre que sur un certain plan la SÉFM comprend que son processus d’évaluation mène à une gamme de valeurs, et non pas à des résultats rigoureux.

23  Pourtant, d’après ses évaluations internes, la SÉFM semble connaître un succès exceptionnel par rapport à l’industrie dans la prédiction des valeurs médianes de ventes. Avec des exceptions, elle parvient à des écarts médians pour les propriétés résidentielles de seulement 1 ou 2 pour 100.[11] Toutefois, même ces estimations de l’efficacité de la SÉFM font l’objet d’une incertitude; les rapports évaluations-ventes utilisés pour étudier cette efficacité constituent « seulement une estimation ponctuelle », avec la possibilité d’erreur d’échantillonnage pouvant aller jusqu’à 10 pour 100.[12] La SÉFM reconnaît aussi que la « diversité de la province de l’Ontario » entraîne certaines « limites et complexités » pour le développement des modèles, et presque un quart des modèles étudiés lors d’une vérification de la qualité du service en 2005 sont donc en dehors des normes de contrôle de la qualité de la SÉFM[13]. Ajoutons à cela qu’il y a des erreurs de saisie ou des erreurs de description des biens-fonds qui peuvent amener à comparer des pommes et des oranges. Je reviendrai sur ce point un peu plus tard. Pour montrer combien il est difficile de parvenir à une évaluation complètement juste, la SÉFM a fixé à 95 pour 100 le niveau de précision acceptable quand on fait la saisie des données pour les Relevés de taxes sur les transferts fonciers[14] et quand on détermine des caractéristiques des biens-fonds comme la mesure en pieds carrés[15] – ce qui veut dire qu’elle considère acceptable des erreurs de 5 pour 100 dans ses dossiers sur les biens-fonds. Une fois encore, sans rien enlever à la performance d’ensemble de la SÉFM par rapport aux normes de l’industrie, il apparaît que son domaine d’activité – l’évaluation – et sa méthode d’analyse de régressions multiples sont loin d’être infaillibles.

 

Le processus essentiel de réexamen et d’appel

24  Étant donné les caprices de l’évaluation de la valeur marchande, des dispositions sont prévues pour que les propriétaires fonciers puissent demander un réexamen de leur évaluation. La méthode la plus simple de réexamen consiste à demander à la SÉFM de reconsidérer sa décision, comme Pierre Untel l’a fait dans le cas cité en introduction. La seule chose qu’un contribuable doit faire pour déclencher un réexamen est de présenter une « Demande de réexamen » par écrit, réclamant que la SÉFM revoie sa position et indiquant pourquoi le contribuable croit que la décision prise à l’origine est erronée.

25  En plus de ce processus, ou en option, un contribuable (ou n’importe qui, à vrai dire) peut en appeler d’une décision d’évaluation de la SÉFM à un tribunal administratif autonome que j’ai mentionné plus tôt, la Commission de révision de l’évaluation foncière. La CRÉF est un organisme indépendant, placé sous l’égide du ministère du Procureur général. C’est un tribunal important, qui compte 69 membres, a un personnel de soutien de 75 employés à la fin de 2004-2005, et gère un budget d’environ 7 500 000 $.

26  La demande de réexamen (ou demande de révision) et le formulaire d’appel (ou avis de plainte) à la CRÉF sont des éléments importants, très utilisés, du processus d’évaluation. Dans son rapport annuel 2004, la SÉFM a révélé qu’elle avait reçu 164 221 demandes formelles de réexamen, ce qui veut dire que près de 4 pour 100 de toutes ses évaluations avaient entraîné une demande de réexamen. Et en 2005, qui n’était pourtant pas une année d’évaluation, la SÉFM a reçu 27 715 demandes, tandis qu’à compter du 13 janvier 2006, elle avait reçu 68 351 demandes pour l’année d’imposition 2006. Quant aux plaintes auprès de la CRÉF, leur nombre était de 45 885 en 2004. Globalement, les réductions d’évaluation découlant d’appels et de demandes de réexamen se sont chiffrées à 5,4 milliards $ de réduction, dont 3,53 milliards $ rien que pour les demandes de réexamen.

27  Une chose saute aux yeux quand on considère le processus d’appel de la CRÉF : elle utilise une méthode d’évaluation complètement différente de celle de la valeur actuelle employée typiquement par la SÉFM. Comme indiqué, la SÉFM a fortement recours aux évaluations en masse, avec analyse de régression multiple assistée par ordinateur, mais quand la CRÉF cherche à déterminer si une évaluation de la SÉFM a du sens, elle ne considère même pas si les calculs d’évaluation en masse avec analyse de régression multiple ont été faits correctement. Elle ne se demande pas non plus si le processus fonctionne. Elle n’examine pas l’exactitude des zones ou des voisinages déterminés, celle des valeurs médianes, celle des facteurs qui influencent les prix du marché, ou les valeurs qui leur sont assignées. La CRÉF ne cherche pas non plus de preuves montrant que la formule de syntaxe est valable. La CRÉF fait une évaluation individuelle, et non pas une évaluation en masse. Elle procède ainsi : ou bien elle compare les évaluations d’une propriété donnée à celles de propriétés comparables, déterminées par les intéressés, ou bien elle considère d’autres preuves établissant la valeur marchande spécifique d’une propriété donnée, en se servant de l’historique de vente de cette propriété ou de propriétés comparables, et prend en compte des facteurs propres à cette propriété et susceptibles d’en réduire ou d’en augmenter la valeur (par exemple, mauvais état de la propriété, ou proximité d’une voie routière, ou encore exemple typique de la proximité d’un élevage de porcs). En résumé, alors que la SÉFM tend à recourir aux méthodes d’évaluation en masse, la CRÉF se concentre intentionnellement sur des données particulières. Le processus d’appel de la CRÉF constitue tout simplement une autre forme d’évaluation que celle qui a donné lieu à l’appel, et s’appuie sur des critères différents. Il en résulte un écart de culture entre la SÉFM et la CRÉF, qui cause certains des problèmes dont je vais parler.

 

Clarifions les choses : Quelle quantité de renseignements faut-il vraiment ?

28  La meilleure façon d’agir pour gagner la confiance, c’est d’être clair et direct. Et le meilleur moyen d’améliorer un système, c’est de l’analyser de l’intérieur. Durant notre enquête, nous avons été tout particulièrement troublés d’apprendre que les Ontariens ne font pas confiance à la SÉFM, ne croient pas en ce qu’elle fait, parce que d’après eux c’est une entité mystérieuse et fermée qui exerce sur eux un pouvoir considérable. Nous avons entendu une litanie de plaintes de milliers de citoyens qui nous ont dit combien il leur avait été difficile d’obtenir des renseignements sur leur évaluation, et de comprendre l’information obtenue. Quand nous en avons informé la SÉFM, elle a souligné qu’elle fournit plus de renseignements que jamais. En outre, elle a engagé un nouveau Vice-président aux relations avec la clientèle, a pris part à plus de 600 événements communautaires, est allée voir des comités éditoriaux pour faire connaître son message. Enfin, la SÉFM est en train de revoir son protocole pour améliorer l’accès à l’information. Toutes ces initiatives sont louables, mais de vrais problèmes subsistent quant à l’accès à l’information, et ces problèmes ont fait autant pour saper la confiance des Ontariens que tout autre problème identifié par moi.

29  Essentiellement, trois catégories d’information méritent d’être discutées, à la fois sur le plan du mode d’accès et de l’envergure de l’accès, à savoir : 1) information sur un bien-fonds donné, 2) information utile pour un appel à la CRÉF, et 3) information sur le système d’évaluation en masse utilisé par la SÉFM.

 

1) S’informer sur un bien-fonds donné

30  Les avis d’évaluation que la SÉFM envoient aux contribuables ne donnent que des renseignements matériels limités sur la propriété de chacun. Ces avis décrivent la valeur évaluée précédente qui a été utilisée pour calculer les impôts de l’année précédente et le pourcentage d’augmentation de la valeur de la propriété depuis la dernière évaluation, mais ils n’indiquent pas quelles données la SÉFM a utilisées pour évaluer la valeur de la propriété. Or ces renseignements sont d’une importance critique, pour une raison bien évidente : si les renseignements que possède la SÉFM sur un bien-fonds sont inexacts, elle va comparer des pommes et des oranges quand elle va chercher à en estimer la valeur. Même si le modèle d’« évaluation en masse » était impeccable, l’évaluation du bien-fonds d’un contribuable serait incorrecte si les renseignements matériels sur ce bien-fonds étaient incorrects. Or, au cours de notre enquête, nous avons eu affaire à de nombreux cas où la SÉFM partait de renseignements inexacts à propos d’un bien-fonds donné. Ainsi, la propriété de Robert et Sheila Kosowan a été surévaluée en partie parce que leur maison, qui a deux chambres, était classifiée comme maison à trois chambres. De son côté, Robert Fortier n’a pas réussi à comprendre ses évaluations, qu’il a portées trois fois en appel avec succès, tant qu’il n’a pas appris que la SÉFM travaillait à partir d’une superficie de sa maison qui était fausse. Le problème de Walter Rudnicki est venu du fait qu’il avait un garage pour un seul véhicule, et non pas pour deux. Ces anecdotes que je cite à titre d’exemples ne sont pas de rares aberrations. Comme je vais le montrer ci-après, les études d’assurance de la qualité faites par la SÉFM elle-même révèlent d’importants problèmes quant à l’exactitude de la saisie des données sur les biens-fonds, avec des taux d’erreur pouvant aller jusqu’à 50 pour 100 des biens-fonds dans certains cas.

31  Heureusement, les renseignements que les contribuables doivent vérifier à propos de leur propriété sont disponibles. Les Directives pour la communication des données sur l’évaluation de la SÉFM stipulent que tout propriétaire foncier a le droit de connaître les renseignements factuels dont la SÉFM dispose sur sa propriété. Larry Hummel, Vice-président aux Valeurs des biens-fonds à la SÉFM, a noté que de 200 à 300 éléments de données existent pour chaque bien-fonds, et que la SÉFM devrait fournir gratuitement ces renseignements quand les propriétaires les exigent. Le problème, c’est que la plupart des propriétaires n’ont pas la moindre idée que la SÉFM dispose de cette information, ou que cette information est importante pour l’évaluation qui est faite, et qu’ils savent encore moins comment l’obtenir. La brochure « Information importante sur votre avis d’évaluation foncière 2005 », qui est envoyée avec les évaluations, indique simplement que les contribuables peuvent avoir « accès aux données du rôle d’évaluation et aux valeurs du rôle d’évaluation pour [leur] bien-fonds ». La brochure n’explique pas quels renseignements précis sont disponibles, ou pourquoi il serait bon de les consulter.

32  Les gens bien informés parviennent à obtenir les renseignements pertinents au téléphone, par courrier ou par courriel, mais la SÉFM compte beaucoup sur son site Web, qui comprend une partie intitulée « AboutMyProperty », pour communiquer ces renseignements. Pour des raisons de confidentialité de l’information, les propriétaires fonciers doivent tout d’abord s’inscrire auprès de la SÉFM, au téléphone, pour avoir accès à ces renseignements sur le site Web. Une fois inscrit, un propriétaire foncier peut entrer son adresse ou son numéro de rôle d’évaluation et obtenir un « profil de propriété ». Ce rapport donne des renseignements détaillés sur une propriété résidentielle ou agricole donnée, avec adresse, description cadastrale, évaluation de la « valeur actuelle », données sur le site, sur les ventes récentes et sur les structures, mais il ne donne pas tous les renseignements utiles sur les caractéristiques pertinentes. Dans bien des cas que nous avons examinés, les erreurs d’évaluation résultaient du fait que l’information dont disposait la SÉFM à propos des biens-fonds avait été incorrectement consignée. Si la SÉFM envoyait systématiquement le « profil de propriété » qu’on peut actuellement obtenir à partir de « AboutMyProperty », avec ses évaluations foncières, les propriétaires fonciers pourraient vérifier rapidement s’il y a des erreurs dans l’information de la SÉFM et comprendraient mieux les données à partir desquelles leur propriété a été évaluée.

33  M. Hummel a reconnu que ce serait une bonne idée d’inclure un catalogue des données stockées par la SÉFM à son site Web. J’irais plus loin. Je recommanderai que les Avis d’évaluation comprennent un « profil de propriété » et que la brochure jointe souligne l’importance de s’assurer que la SÉFM a des renseignements exacts sur la propriété d’un contribuable, indiquant exactement comment on peut se les procurer et les vérifier, avec des options à l’accès par Internet. (recommandations 5 et 1)

 

2) S’informer sur l’évaluation de biens-fonds comparables

34  L’un des moyens les plus courants de faire appel à la CRÉF pour l’évaluation d’une propriété consiste à montrer que la propriété en question est surévaluée par rapport à des propriétés comparables. Naturellement, les Avis d’évaluation ne donnent que des renseignements limités sur les taux relatifs d’évaluation. Ils indiquent uniquement le pourcentage moyen d’augmentation ou de baisse des évaluations de propriétés résidentielles pour une municipalité donnée, en date de l’impression de l’Avis d’évaluation. Cette indication peut servir de signal d’alarme pour les contribuables, mais c’est un outil grossier, d’autant plus que l’avis ne donne pas l’augmentation moyenne pour la zone de voisinage où se trouve une propriété donnée. C’est là une omission, et je recommande qu’elle soit rectifiée. (recommandation 2)

35  Pour les propriétés multi-résidentielles ou les appartements, la SÉFM a mis au point un processus de pré-audience, dans le cadre duquel elle envoie avant toute demande des sommaires détaillés d’évaluation pour chaque propriété multi- résidentielle de la province, à tous les propriétaires. Cette méthode, que la SÉFM s’apprête à étendre aux propriétés commerciales, a été adoptée en raison de son efficacité; l’information est entrée dans une base unique de données et elle est donc facile à organiser. De plus, pour des raisons commerciales, le pourcentage des remises en question des évaluations par les propriétaires de propriétés multi- résidentielles et de propriétés commerciales est élevé. Pareille divulgation de l’information pourrait éviter de nombreux appels, en démontrant l’exactitude d’une évaluation, et permettrait invariablement aux propriétaires de ne pas avoir à engager des experts fiscaux pour faire ces recherches. Pour des raisons de volume, la SÉFM ne fait pas cette divulgation généralisée aux propriétaires résidentiels. Mais sur demande, les propriétaires résidentiels peuvent obtenir gratuitement des quantités variables de renseignements, portant sur un nombre maximal de 24 autres biens-fonds, à des fins de comparaison. Dans une lettre du 30 novembre 2005, Carl Isenburg a expliqué à une association de propriétaires que la SÉFM avait retenu ce total de 24 propriétés comparables parce qu’elle considérait ce nombre suffisant pour déterminer si une propriété avait été évaluée à sa juste valeur ou non. Si certains contribuables veulent plus d’éléments de comparaison, ils peuvent les obtenir, au tarif de 20 $ chacun, ou faire leurs propres recherches en consultant les rôles d’évaluation municipale.

36  Quand j’ai découvert ces méthodes de divulgation, un fait m’a frappé : la SÉFM ne facilite pas l’accès aux renseignements pertinents. La divulgation des données sur ces 24 propriétés se fait en réalité par vagues, et uniquement sur demande spéciale. La brochure qui accompagne les Avis d’évaluation est trompeuse, sans le vouloir. Elle indique aux contribuables qu’ils peuvent obtenir de l’information sur jusqu’à 12 propriétés comparables, à leur choix, mais fait omission des 12 autres. Les renseignements qui sont donnés en fin de compte aux contribuables sont eux aussi inexacts. Car bien que la SÉFM indique où envoyer une demande pour les 12 premières propriétés, elle n’explique pas pourquoi un contribuable pourrait vouloir ce type d’information, quelle information précise sera communiquée, ni comment l’obtenir exactement.

37  Lors de cette première étape, les contribuables reçoivent jusqu’à six « Rapports de recherches d’évaluation » et six « Détails résidentiels ». Comme le nom l’indique, les « Rapports de recherches d’évaluation » donnent uniquement des renseignements sommaires tirés du rôle d’évaluation, comme la valeur actuelle et la grandeur d’un bien-fonds, et certains renseignements sur la codification de la SÉFM. Les « Détails résidentiels » donnent les mêmes renseignements, avec ajout d’une description plus précise de la catégorie du bien-fonds et une sélection de neuf détails structuraux dont la superficie, le nombre de chambres, la surface de sous-sol aménagée, et le « type de chauffage ». Notons que ni les « Rapports de recherches d’évaluation », ni les « Détails résidentiels », n’incluent tous les éléments qui peuvent jouer sur la valeur des biens-fonds.

38  C’est uniquement en écrivant à la SÉFM ou en se rendant dans un de ses bureaux locaux[16] qu’un propriétaire peut obtenir des « Détails résidentiels » pour jusqu’à six propriétés de plus. Un propriétaire peut aussi demander un rapport de propriété comprenant jusqu’à six propriétés comparables choisies par la SÉFM. Ces six dernières propriétés comparables sont d’une importance considérable, car ce sont généralement celles sur lesquelles la SÉFM va s’appuyer pour essayer de défendre son évaluation en cas d’appel auprès de la CRÉF.

39  Comme indiqué, les propriétaires fonciers peuvent obtenir des renseignements complémentaires auprès de la SÉFM, en payant. Le système en ligne Property Line de la SÉFM permet d’acheter des renseignements sur l’évaluation, le site, la structure et les ventes de tous les biens-fonds partout en Ontario. N’importe qui peut utiliser Property Line, par abonnement ou au service en payant par carte de crédit. Par exemple, en payant 20 $ par bien-fonds, un propriétaire foncier peut obtenir des renseignements d’évaluation sur des propriétés comparables. Chaque rapport inclut l’adresse, le numéro de rôle, la valeur actuelle, la vente la plus récente, l’information sur le site d’une propriété, mais pas tous les renseignements pertinents pour les évaluations.

40  Un contribuable peut aussi vouloir consulter les rôles généraux d’évaluation des municipalités, qui donnent des renseignements fondamentaux sur l’imposition. On peut faire des recherches, gratuitement, dans les bureaux municipaux locaux aux heures d’ouverture. L’accès à ces rôles est protégé par le paragraphe 39(1) de la Loi sur l’évaluation foncière. Bien que la SÉFM dispose de tels renseignements dans ses dossiers informatisés, elle ne les partage pas directement avec les contribuables, ne les communique pas sur son site Web, et ne partage pas davantage ses autres données générales comme ses affichages de demandes de renseignements sur les ventes. Si la SÉFM ne communique pas ces renseignements généraux, c’est en partie à cause de ses accords de confidentialité avec Teranet Inc., la société privée chargée de gérer la perception des taxes sur les transferts fonciers, pour la Province de l’Ontario. Dans le cadre des accords avec Teranet Inc., la Province lui a cédé l’exclusivité mondiale de la mise en marché de ces données. Chose stupéfiante, la SÉFM doit donc se procurer cette information, essentielle à la préparation des évaluations, par une entente de sous-cession de droits de licence avec Teranet Inc. En vertu de cette entente, qui met aussi en jeu le ministère des Services gouvernementaux et le ministère des Finances, la SÉFM obtient le droit d’utiliser cette information mais uniquement pour les « produits de droit » qu’elle est tenue de fournir en vertu de la loi (par exemple, rôles d’évaluation aux municipalités) ou pour ses propres produits commerciaux agréés par Teranet Inc. La SÉFM s’est expressément engagée à ne pas communiquer cette information au public en général, ni à la distribuer, sauf dans les cas prévus par la loi. La SÉFM s’abstient donc non seulement de fournir les rôles d’évaluation, mais elle prend aussi pour position que les municipalités qui les communiquent sur leur site Web enfreignent aux accords de sous-cession qu’elles ont conclus avec la SÉFM. Résultat, un certain nombre de municipalités ne communiquent plus électroniquement au public cette information sur les rôles d’évaluation.

41  La SÉFM allègue également des raisons de protection de la vie privée et d’accès à l’information pour limiter les renseignements qu’elle communique. Étant donné que les renseignements pertinents sont disponibles ailleurs – dans les bureaux d’enregistrement et dans les bureaux des municipalités – la SÉFM n’est pas tenue légalement de les fournir. Pour cette raison, la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée a confirmé le bien-fondé du refus de la SÉFM à communiquer un affichage sur les demandes de renseignements concernant 1 929 ventes dans un voisinage donné. Dans son jugement Municipal Property Assessment Corporation v Mitchinson, Assistant Information and Privacy Commissioner et al. (2004), 71 R.O. (3d) 303, la Cour divisionnaire a confirmé le refus de la SÉFM de fournir de l’information sur les rôles d’évaluation à une agence de recouvrement qui voulait utiliser cette information pour retracer des débiteurs, et ceci en partie parce que ladite information était disponible ailleurs. Sur le plan de la confidentialité, notons aussi que les rôles d’évaluation contiennent des renseignements personnels qui ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement des intéressés, ou comme autorisé par la loi. La Cour a conclu que la Loi sur l’évaluation foncière n’obligeait aucunement et n’autorisait aucunement la SÉFM à faire quoi que ce soit avec cette information, sinon permettre son accès au greffier municipal.

42  De toute évidence, la convergence entre l’accord de sous-cession de droits de licence, la Loi sur l’évaluation foncière et la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée a pour effet de restreindre l’accès du public à l’information sur les évaluations foncières. Certes, l’information sur les rôles d’évaluation est disponible, mais pas aisément. Les propriétaires fonciers qui essaient d’obtenir des renseignements à partir des rôles d’évaluation des municipalités doivent faire des recherches manuelles. Comme mon enquête n’a pas pour but de remettre en question la sagesse de la Province quand elle a accordé à Teranet Inc. le droit exclusif de commercialiser des données dont la SÉFM a besoin pour s’acquitter de son mandat, de par la loi, je n’étudierai pas cette question et je me contenterai de faire cette remarque bien évidente : l’une des conséquences de cet arrangement est que le service à la clientèle est sacrifié dans un système où un intervenant privé a des intérêts financiers substantiels.

43  Bien évidemment, l’accès à des données comparables est critique. La décision qu’a prise la SÉFM de fournir gratuitement 24 éléments de comparaison et de faire payer les autres est adéquate. Mais l’accès à cette information mérite d’être amélioré. Je recommande que la brochure jointe par la SÉFM à ses Avis d’évaluation indique comment les éléments de comparaison peuvent être utiles dans une procédure d’appel et donne des renseignements exacts sur la manière précise de les obtenir. (recommandation 3)  La SÉFM devrait faire savoir qu’en cas d’appel elle s’appuiera sur les six propriétés comparables sélectionnées par elle. Finalement, je recommande que chacune des propriétés comparables inclue toutes les données pertinentes pour l’évaluation d’une propriété. (recommandation 6)

 

3) S’informer sur le Système d’évaluation en masse de la SÉFM

44  Jusqu’à tout récemment, la SÉFM ne faisait que la divulgation décrite ci-dessus. Elle s’en tenait à esquisser le processus d’évaluation en termes généraux et ne fournissait aucun des renseignements précis qu’elle utilise pour définir un modèle de marché ou un voisinage, ou pour déterminer les valeurs marchandes à l’intérieur de ce modèle ou voisinage. Elle ne divulguait pas davantage les facteurs de régression multiple dont elle se sert pour estimer la valeur d’un bien- fonds donné, ni ses opinions sur la valeur de ces facteurs. Elle ne divulguait pas non plus son équation « de syntaxe ». La raison principale qu’elle a donnée est simple. La SÉFM a organisé et évalué l’information dont elle se sert pour faire des évaluations en masse et elle a élaboré son modèle de syntaxe. Elle considère donc ces éléments comme capital intellectuel et renseignements exclusifs, qu’elle n’est pas tenue de partager – et qu’elle n’est nullement prête à partager. La seconde raison avancée par elle est que Teranet Inc. pourrait la poursuivre en justice si elle divulguait trop cette information, position que ne semblent pas corroborer ses méthodes de divulgation préalable aux audiences dans le cas des propriétés multi-résidentielles et des propriétés commerciales.

45  La première raison avancée par la SÉFM, celle d’un « capital intellectuel », n’est pas sans mérite. Bien qu’elle soit une société à but non lucratif, qui a pour mission de fournir des évaluations foncières objectives et précises, en temps utile et de manière rentable, la SÉFM fait plus que simplement préparer des rôles d’évaluation. Elle a des « produits » à vendre. Plus précisément, elle commercialise des renseignements que l’industrie des services financiers utilise à des fins de souscriptions. La SÉFM recueille ainsi environ 4,7 millions $ chaque année et elle croit que le marché déjà considérable va grandissant. Pour clarifier les choses, précisons que lorsqu’elle vend ses « produits », la SÉFM reste une société à but non lucratif, même si son propre énoncé de vision précise qu’elle est « animée d’un esprit d’entrepreneuriat ». En effet, la SÉFM ne garde pas l’argent qu’elle gagne, et elle ne le distribue pas à des actionnaires. Elle se sert de ses revenus pour défrayer en partie les coûts de préparation des évaluations et des autres renseignements pour les municipalités. La SÉFM craint que si elle communique les données provenant de son analyse de régression multiple, ou des renseignements au sujet de cette méthode, des concurrents vont apparaître qui vont dupliquer ses résultats, la privant ainsi de cette source de revenu. La SÉFM est bien déterminée à protéger son marché.

46  Bien que cette entreprise commerciale de la SÉFM permette d’économiser l’argent des contribuables, il y a bien évidemment incompatibilité entre la fonction primaire d’évaluation publique de la SÉFM et cette activité secondaire. Lewis Auerbach, ancien directeur, Bureau du vérificateur général, et ancien membre du Groupe de travail sur sur les questions d’évaluation et de taxes foncières de la Ville d’Ottawa a jugé cet aspect problématique. Il a conclu que le système de la SÉFM était complexe et obscur, au lieu d’être transparent et clair. Quand il a essayé d’élucider la question avec d’autres membres de son groupe de travail, on lui a dit que la SÉFM devait garder secrets les détails de son modèle d’évaluation en raison de sa valeur commerciale. La SÉFM était préparée à partager certains de ses renseignements avec lui, mais à condition qu’il ne les ait que pour deux semaines et qu’il signe un accord s’engageant à ne les partager avec personne d’autre. Ceci l’aurait empêché d’obtenir l’avis d’un professeur de statistiques et de communiquer les renseignements à d’autres personnes qui faisaient partie du groupe de travail, et il a donc refusé. Pour finir, il s’est demandé pourquoi un organisme public pouvait bien vouloir restreindre l’accès du public à ses renseignements, à des fins mercenaires.

47  Quel que soit le mérite de son atout de secret commercial, la SÉFM en a trop joué de par le passé. Mais bien que la SÉFM soit parvenue à convaincre la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée que la divulgation de certains renseignements se solderait probablement par des préjudices financiers, la Commissaire a conclu (dans sa décision OM-1564) qu’il y avait un intérêt concurrentiel et supérieur pour le public à fournir aux contribuables certains des renseignements fondamentaux sur la manière dont leurs impôts sont calculés, et notamment quels facteurs (variables) sont considérés ou non, et la pondération de ces facteurs (coefficients). Résultat, cette information est désormais disponible, mais l’information sous-jacente utilisée pour pondérer les variables ou la syntaxe ne l’est toujours pas. L’amélioration de l’accès à l’information sur l’analyse de régression multiple reste donc une victoire très symbolique pour les contribuables, étant donné qu’il faut connaître la syntaxe pour résoudre l’équation et qu’il faut donc davantage de données pour obtenir des résultats.

48  S’efforçant de respecter les ordonnances d’accommodement de la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée, énoncées dans OM-1600-R, la SÉFM a créé une trousse d’information pour le public appelée Rapport de modèle du marché. Quand Pierre Untel a demandé des renseignements sur le modèle d’évaluation, il a reçu une lettre lui disant qu’il pouvait obtenir le Rapport de modèle du marché de la SÉFM au Bureau de l’accès à l’information. La lettre poursuivait ainsi :

Le Rapport de modèle du marché présente un sommaire des zones de marché existant dans la région d’évaluation; un sommaire de la base de données de ventes; une liste des coefficients et variables utilisés pour évaluer les biens-fonds dans la zone de marché; les résultats d’analyse du rapport évaluations-ventes à titre d’indication de la qualité; la liste des renseignements sur le bien-fonds recueillis pour analyse, avec leurs définitions. Étant donné la nature détaillée de ces renseignements et le temps qu’il faut pour assembler cette trousse, le coût du rapport est de 300 $, plus taxes.


49  Ce rapport coûte maintenant 250 $. Or en règle générale, il faut que l’erreur d’une évaluation soit de 25 000 $ pour récupérer cette somme grâce à des économies d’impôts fonciers à payer. Le coût de ces renseignements reste donc prohibitif. Parce qu’ils sont coûteux, parce que leur utilité lors des appels reste limitée, et parce que le public n’a pas connaissance de leur existence, seulement 10 de ces rapports ont été vendus.

50  En plus de ce Rapport de modèle du marché, la SÉFM est disposée à partager une version imprimée de son « écran d’affichage des demandes de renseignements sur les détails de l’évaluation » de son système informatique. Cet affichage indique les variables et les valeurs dérivées pour chacune des variables utilisées dans l’analyse de régression multiple d’une propriété, mais n’indique pas comment ces valeurs ont été dérivées. Selon les dossiers de la SÉFM, le personnel de la SÉFM n’est pas certain s’il est autorisé à partager ces renseignements avec les propriétaires fonciers.

51  À mon avis, les critères actuels de divulgation des méthodes d’évaluation de la SÉFM sont trop restrictifs. Non seulement l’accès à l’information sur ces méthodes reste limité, presque jusqu’à la non-pertinence, mais il s’avère coûteux et le personnel de la SÉFM ne sait pas toujours clairement ce qu’il peut divulguer ou non. En outre, l’information fournie est loin d’être conviviale. Il faut faire des vérifications croisées de codes entre différents documents, et le résultat final reste incomplet.

52  Précisons, pour sa défense, que la SÉFM a déjà entrepris d’améliorer son processus de divulgation et une nouvelle urgence est apparue à partir du moment où nous avons annoncé notre enquête. Remarquons entre autres que cinq hauts dirigeants de la SÉFM ont récemment préparé un document intitulé Proposition de communication des données sur l’analyse de régression multiple, en date du 17 novembre 2005, avec les recommandations suivantes :

  • Envoyer immédiatement une note de service à tout le personnel pour réitérer qu’une copie de l’affichage des demandes de renseignements sur les détails d’évaluation devrait être proposée aux propriétaires fonciers qui cherchent à mieux comprendre comment l’évaluation de la valeur actuelle de leur propriété a été déterminée.

  • Élaborer un nouvel affichage, qui concilie le langage simple de l’affichage des demandes de renseignements sur les détails d’évaluation avec l’information numérique de l’affichage des demandes de renseignements sur les détails du calcul actuel de l’analyse de régression multiple, comprenant les coefficients (caractéristiques d’une propriété et rajustements de sa valeur), et le proposer aux propriétaires fonciers qui cherchent à mieux comprendre comment leur évaluation a été déterminée. Un propriétaire pourrait trouver gratuitement, dans la section « AboutMyProperty », cette information sur sa propriété et sur six propriétés comparables.

  • Inclure un exemple du Rapport de modèle du marché sur le site Web de la SÉFM, avec des notes explicatives et des renseignements indiquant comment acheter ce rapport.

  • Inclure au site Web une liste de tous les éléments de données stockés dans la base de données de la SÉFM.

  • Inclure au site Web les renseignements sur la qualité et la classification d’une propriété, sur le caractère de la construction, etc. qui sont utilisés pour en déterminer la valeur actuelle.

  • Afficher sur le site Web les renseignements sur les ventes globales et sur les valeurs évaluées actuelles, par municipalité, avec entre autres les études de rapports et la moyenne des valeurs évaluées actuelles.


53  La haute direction de la SÉFM devait se réunir en janvier pour considérer cette proposition.

54  En dépit de toutes les raisons de garder le secret, je crois que les politiques de divulgation de la SÉFM ne seront pas optimales, même si cette proposition est adoptée. Je sais bien que la SÉFM ne se sert pas de son capital intellectuel pour en tirer un profit bassement commercial, et je comprends que la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée ait accepté que la pleine divulgation de l’information pourrait nuire à l’activité commerciale de la SÉFM. Je sais aussi que les renseignements sur l’évaluation en masse ne sont d’aucune utilité quant au marché lors des appels auprès de la CRÉF, étant donné les critères retenus par la CRÉF. Mais deux considérations importantes sont en faveur d’une entière divulgation.

55  La première, c’est l’intérêt du public tout au long du processus d’accès à l’information. Bien qu’elle soit une société à but non lucratif, la SÉFM s’acquitte d’une fonction gouvernementale qui a des répercussions profondes sur les Ontariens. Quand il faut faire des changements, l’accès à l’information est essentiel. Outre les appels, l’un des moyens importants de vérification du système d’évaluation est que les propriétaires fonciers ont le droit de remettre en question leur évaluation et ce droit devrait s’étendre au droit de remettre globalement en question la manière dont sont faites les évaluations. S’ils ne disposent pas de suffisamment d’information voulue, les propriétaires fonciers ne peuvent pas exercer ce droit. C’est vrai, la plupart des contribuables ne peuvent pas tirer utilement parti de cette information, mais les associations de contribuables et les critiques des politiques publiques le peuvent. En recourant au secret commercial, la SÉFM demande aux Ontariens d’accepter cette réponse : « faites-moi confiance »; elle leur demande aussi de croire à l’intégrité et à l’exactitude de ses auto-évaluations. Si « faites-moi confiance » était une réponse adéquate en ce qui concerne les processus publics, nous n’aurions pas de lois sur l’accès à l’information. Il faut souligner que la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée ne disait aucunement que ce serait une mauvaise idée de communiquer cette information au public quand on rend des décisions pertinentes. La Commissaire a simplement interprété la loi telle qu’elle est en vigueur actuellement.

56  Outre la nécessité d’accéder à l’information significative sur les raisons pour lesquelles le gouvernement évalue les propriétés des citoyens comme il le fait, il y a un besoin impérieux de confiance dans le processus – et la confiance exige la transparence. L’un des membres de la Commission de révision de l’évaluation foncière à qui nous avons parlé a suggéré que le manque d’entière divulgation est la cause profonde des problèmes pour certains propriétaires. Il a dit que, s’ils ne peuvent pas savoir quels facteurs contribuent à l’évaluation de la valeur actuelle de leur propriété, les propriétaires fonciers ont des soupçons. Ce membre de la CRÉF a raison. Comme l’a dit Douglas Reid, un contribuable frustré de Lyndhurst en Ontario, « revendiquer l’exclusivité des renseignements, c’est à mon avis le dernier refuge pour quelqu’un qui a quelque chose à cacher ». Le groupe de travail de M. Auerbach à Ottawa, qui avait pleinement connaissance des ambitions commerciales de la SÉFM, a recommandé qu’elle « donne un caractère d’ouverture, d’accessibilité et de transparence aux méthodes, aux paramètres et à la technologie qu’elle utilise dans le calcul des évaluations foncières ». Alors qu’ils enquêtaient auprès d’autres autorités, nos enquêteurs ont été informés par un évaluateur de Regina que cette ville ne vend aucune de ses données, et que sa priorité est d’effectuer des évaluations justes. Cet évaluateur a noté :

Il faut reconnaître que la perception est un facteur critique dans la mesure des services d’évaluation. Fournir aux propriétaires fonciers des renseignements qui permettent un examen personnel, c’est le meilleur moyen de renforcer la confiance et la compréhension du public. Si la clientèle peut examiner les résultats, et si elle arrive à la conclusion qu’une propriété semble avoir été évaluée correctement à sa juste valeur, elle sera satisfaite que le processus d’évaluation a été suivi de manière juste – même si le résultat au niveau des impôts ne lui plaît pas.

Nous n’attendons pas de nos services d’évaluation qu’ils nous rapportent de l’argent… À mon avis, il y a un prix à la justice naturelle, et la question est de savoir comment financer le niveau de services d’évaluation nécessaire pour donner aux gens ce dont ils ont besoin afin d’être satisfaits d’avoir été traités équitablement.


57  Je penche fortement pour cette opinion. La crédibilité du processus d’évaluation de la SÉFM, qui a causé tant de rancœur et de tension parmi les Ontariens, vaut peut-être la peine qu’on mette en danger son activité commerciale complémentaire. Franchement, je me demande si les risques commerciaux évoqués par la SÉFM ne sont pas exagérés. Les secrets commerciaux ne constituent pas le seul facteur qui influe sur le marché. L’efficacité en est un autre, et avec son infrastructure financée par l’argent des contribuables, la SÉFM a avantage que ses concurrents n’auraient pas.

58  Je comprends que c’est une question compliquée de politique publique et je prendrai garde de ne pas me montrer trop audacieux. Je pencherai donc pour la position adoptée par Marcel Beaubien, député provincial, qui a fait un réexamen du processus d’évaluation pour le compte du ministère des Finances. Dans un rapport rendu public à l’automne 2002, il a recommandé qu’il y ait un échange ouvert d’information entre la SÉFM et le public, et qu’on prête grande attention à un équilibre pertinent. Je recommande donc que le gouvernement de l’Ontario entreprenne un réexamen de la question, avec consultation du public, afin d’arriver à un équilibre acceptable pour les Ontariens. (recommandation 8)  La SÉFM considère qu’elle a déjà atteint cet équilibre. Notons que certaines autorités comme la Floride prônent une entière divulgation de l’information, tandis que d’autres sont pour une divulgation moins complète que celle faite par la SÉFM. M. Hummel a déclaré « nous pensions être parvenus à un équilibre ». Comme je l’ai dit, je n’en suis pas certain. Par contre, je suis sûr que si M. Hummel a raison, la SÉFM aura une raison convaincante de maintenir le statu quo et de garder ses livres fermés pour les contribuables dont elle évalue les propriétés. Si M. Hummel a tort, alors il y aura un meilleur accès à l’information. Entre-temps, je recommande que la SÉFM adopte et instaure la Proposition de communication des données sur l’analyse de régression multiple, qu’elle a préparée le 17 novembre 2005. (recommandation 7)

59  Je recommande aussi que la SÉFM publie par écrit ses procédures administratives sur les évaluations et les inspections, la divulgation de l’information, les demandes de réexamen et les appels auprès de la CRÉF, et qu’elle les affiche sur son site Web. Ces procédures devraient inclure les procédures administratives intégrées aux recommandations énoncées dans ce rapport. (recommandation 9) De cette façon, le processus gagnera en transparence et les contribuables pourront mieux comprendre comment la SÉFM traite leurs évaluations, leurs demandes de renseignements et leurs objections. Ceci devrait également contribuer à restaurer en partie la confiance du public dans la manière dont la SÉFM traite les évaluations et les plaintes.

 

Tenter de remonter à la source

60  Bien évidemment, quand un partage de l’information est approprié, les contribuables doivent avoir efficacement accès à cette information. Les contribuables ont aussi besoin d’une explication aussi complète que possible sur leurs évaluations foncières. Malheureusement, des signes tendent à montrer que cela ne se produit pas quand ils téléphonent à la SÉFM. Beaucoup de plaignants nous ont dit combien ils avaient été frustrés de ne pas pouvoir communiquer avec quelqu’un qui sache réellement quelque chose de leur évaluation personnelle, dans l’un des bureaux régionaux de la SÉFM. Certains propriétaires fonciers nous ont dit que le personnel du Centre de contact clientèle de la SÉFM n’est pas très bien informé, ou bien refuse de donner un numéro de téléphone pour un bureau régional. En vérité, la SÉFM a expressément pour politique de décourager le contact avec le personnel de ses bureaux régionaux. Au nom de l’efficacité, la SÉFM a choisi un objectif artificiel et déclaré que 30 pour 100 au plus des appels pourraient être transférés au bureau régional concerné. La SÉMF parvient à faire mieux que cet objectif, car seulement la moitié des appels sont transférés. Son blocus téléphonique est si dur que seulement 15 pour 100 des demandes sont acheminées aux bureaux régionaux durant la période étudiée.

61  Il est vrai que la SÉFM reçoit de nombreux appels du public et que ceux-ci créent de terribles pressions sur les ressources humaines. Les dossiers de la SÉFM montrent que du 15 septembre au 30 novembre 2005, le Centre de contact clientèle a répondu à 204 699 demandes de renseignements, dont 151 902 demandes au téléphone. Cette quantité d’appels téléphoniques résulte sans aucun doute en grande partie de la méfiance et du mécontentement que les méthodes de la SÉFM ont engendrés de par le passé. Et je crois que tout pourrait s’améliorer en partie avec une plus grande ouverture et une meilleure communication. Le blocus téléphonique contribue probablement à empirer les choses. Quand les contribuables se heurtent à ce genre de réponse, il est bien normal qu’ils soupçonnent la SÉFM de leur cacher quelque chose. Si on répond comme il faut au premier appel, la quantité des appels a tendance à décroître. Et même si ce n’était pas le cas, il n’en reste pas moins que les appelants sont des contribuables qui ont un problème. Par exemple, Andrew Notaran de Toronto vit depuis six ans les hauts et les bas des évaluations et réévaluations, et il a passé un temps excessif à essayer de communiquer avec les responsables pour obtenir des renseignements. On lui a régulièrement répondu que le Centre de contact clientèle de la SÉFM ne donne pas les numéros des bureaux régionaux, et on lui a répété qu’il devait adresser ses lettres « À qui de droit ». La priorité de la SÉFM devrait être le service à la clientèle, pas des objectifs artificiels d’efficacité. La façon de répondre au téléphone à la SÉFM mérite vraiment un réexamen. C’est pourquoi je recommanderai que la SÉFM reconsidère les méthodes actuelles de son Centre de contact clientèle, afin d’améliorer l’accès du public à des employés qui pourront lui donner des renseignements pertinents. (recommandation 10)

 

Viser faux

62  Dans ses communiqués de presse, lors des assemblées publiques locales et dans ses autres formes de communication, la SÉFM souligne l’exactitude de ses évaluations. Dans son communiqué de presse du 18 octobre 2005, M. Isenburg a cité un énoncé figurant dans la brochure de la SÉFM, « Information importante sur votre avis d’évaluation foncière 2005 » et a déclaré : « Faire des évaluations justes, c’est la pierre angulaire du système d’impôts fonciers. » De toute évidence, il a raison quand il fait cette déclaration. Et de toute évidence aussi, pour faire une évaluation juste, il faut avoir des renseignements justes. Les modèles d’analyse de régression multiple ne sont aussi justes que l’est l’information sur laquelle ils s’appuient. Les valeurs marchandes de base ne sont aussi justes que l’information de vente sur laquelle elles se fondent. Les valeurs influant sur les biens-fonds ne sont aussi justes que les données sur lesquelles elles reposent. Et l’application du modèle à des biens-fonds donnés n’est aussi juste que l’information sur ces biens- fonds. J’ai le regret de dire que notre enquête a révélé la preuve troublante du manque d’exactitude à la SÉFM. Cette preuve n’a pas été difficile à trouver. Nous ne nous sommes pas fiés uniquement aux erreurs anecdotiques que nous ont signalées des contribuables mécontents, même si elles atteignaient un total déconcertant. Nous avons trouvé la preuve dans les propres évaluations de la SÉFM, faites à l’interne.

63  Tout d’abord, les données générales utilisées pour déterminer les modèles et les valeurs semblent poser des problèmes. En 2003, la SÉFM a ébauché un rapport intitulé Étude rétroactive de la mise à jour de l’évaluation 2003, qui donnait les résultats « d’une étude de haut niveau de la quatrième mise à jour de l’évaluation à l’échelle de la province ». Le sommaire de cette étude notait de nombreux problèmes à propos des valeurs, « résultant du fait que les données était inexactes ou manquantes ». Dans un certain nombre de régions données, l’étude a souligné que les valeurs étaient suspectes et que des valeurs incorrectes avaient donc été attribuées à des biens-fonds. La SÉFM a également préparé un rapport daté du 4 octobre 2005 et intitulé Étude rétroactive de l’assurance de la qualité dans l’analyse de régression multiple des propriétés résidentielles pour la réévaluation à l’année de référence 2005. Cette étude jette un doute sur l’intégrité des modèles élaborés. Elle montre que sept des 29 modèles examinés, soit 24 pour 100 du total, n’étaient pas conformes à au moins une des normes de la qualité de la SÉFM. La majorité des problèmes détectés résultaient d’erreurs de saisie qui avaient mené à des valeurs de coefficients incorrectes, elles-mêmes menant à des valeurs incorrectes générées par le système d’évaluation de l’Ontario. L’étude fait aussi état d’iniquités entre les régions, en l’absence d’une stratégie d’évaluation uniforme.

64  Bon nombre de ces problèmes découlent de l’information inexacte qu’à la SÉFM sur les biens-fonds. Naturellement, la SÉFM compte beaucoup sur les inspections pour recueillir des renseignements exacts. Pour la SÉFM, l’inspection est « le fondement des évaluations basées sur la valeur actuelle, et par conséquent des impôts fonciers ». Malheureusement, la SÉFM ne s’est pas montrée à la hauteur en matière d’inspection. Nous sommes bien conscients que les inspecteurs font face à de terribles pressions, à cause du manque de personnel. Nous savons aussi qu’ils ont été avisés que les évaluateurs devraient parfois décider de l’intégrité des données de vente à partir de leur bureau, parce qu’il est tout simplement impossible de faire une inspection en raison de la pénurie de personnel. Mais même quand des inspections ont lieu, des erreurs se produisent.

65  En 2003, une étude des données obtenues par les inspecteurs sur le terrain a montré que leurs méthodes d’inspection des propriétés assujetties à des permis de construction étaient désuètes ou incomplètes. La SÉFM a alors pris la sage décision de modifier ses procédures. Quand des spécialistes de la qualité ont vérifié 1 061 biens-fonds, dans 21 des 33 bureaux régionaux de la SÉFM, à la fin de 2004 et au début de 2005, ils ont constaté que des méthodes contradictoires étaient encore suivies et que tout le personnel n’avait pas été formé aux nouveaux protocoles. Ils ont signalé que de nombreux inspecteurs ne mettaient pas à jour tous les changements survenus, alors que la politique de la SÉFM l’exige, mais qu’ils indiquaient uniquement les changements relatifs au permis de construction. Des données manquaient, des renseignements pertinents n’avaient pas été recueillis et des structures n’avaient pas été évaluées. Dans un bureau, 18 des 23 inspections pour rénovations n’avaient pas pris en note d’autres renseignements pertinents sur le site ou la structure. Il y avait aussi des problèmes de mesures. Bien que la SÉFM exige que les inspecteurs mesurent physiquement toute nouvelle structure et confirment visuellement les mesures des structures existantes, cette étude a montré qu’il y avait des erreurs de calcul des superficies pour un nombre important de propriétés, et ceci pour diverses raisons : l’inspecteur n’avait pas appliqué le modèle correct de superficie, n’avait pas remarqué que le modèle avait été adapté, ou n’avait tout simplement pas fait correctement les mesures. L’étude a précisé que les erreurs de mesures étaient souvent aggravées du fait que l’inspecteur n’avait ni diagrammes, ni croquis, ni photos auxquels se référer pour vérifier les changements récents apportés à une propriété, et que l’inspecteur devait donc mesurer à nouveau la structure pour déterminer exactement s’il y avait eu des changements de superficie. De plus, l’étude a conclu que tous les inspecteurs ne mettaient pas à jour l’ardoise électronique et les affichages d’inspection du système informatique. Dans un bureau régional, les renseignements d’inspection n’avaient pas été actualisés dans 28 cas. En termes d’assurance de la qualité, la SÉFM était aussi en échec sur le terrain. L’étude a montré que certains bureaux ne faisaient pas les contrôles de processus sur le terrain, ou aucun des contrôles requis pour s’assurer que les procédures étaient suivies uniformément.

66  Quand nos enquêteurs ont commencé à analyser les résultats des vérifications plus en détail, ils ont découvert que les différentes régions consignaient les renseignements différemment. Certaines faisaient référence au nombre total de « non-conformités » [euphémisme pour erreurs], d’autres au nombre de biens- fonds avec des non-conformités, d’autres encore au nombre de non-conformités influant sur la valeur d’un bien-fonds, et finalement d’autres parlaient du nombre de biens-fonds dont la valeur avait changé. Il était donc difficile de corréler les résultats, et cette situation mérite d’être corrigée à l’avenir, comme je l’indique dans mes recommandations. (recommandation 12) Néanmoins, une conclusion est clairement ressortie : les vérifications ont mis à jour un nombre surprenant d’inexactitudes :

  • Dans les 21 bureaux régionaux qui ont fait un rapport sur le nombre de biens-fonds avec des non-conformités, il y avait des erreurs pour presque la moitié des biens-fonds inspectés : 414 biens-fonds ont été identifiés comme présentant des non-conformités, sur un échantillon de 951 biens-fonds.

  • Le total des non-conformités qui avaient changé la valeur de l’évaluation était de presque deux tiers : 198 biens-fonds ont été identifiés dans cette catégorie, sur un échantillon de 337 biens-fonds vérifiés en fonction de ce critère.

  • Le nombre des biens-fonds dont la valeur avait changé en raison d’une non-conformité était de plus d’un tiers : 119 biens-fonds sur un échantillon de 318 biens-fonds vérifiés en fonction de ce critère.

 

67  L’ensemble des résultats est donné dans un tableau à l’Annexe 1. Pour illustrer plus précisément la nature et le nombre des erreurs, l’exemple suivant suffira :

68  Bureaux régionaux 28, 29, 30

  • Dans un cas donné, une variance de 48 pour 100 dans la superficie du second étage d’une propriété a été signalée. La SÉFM avait enregistré une superficie de 704 pi2, alors que la superficie réelle était de 336 pi2.

  • Une autorisation de construction pour une aire non finie avait été retirée, alors que cette aire restait à 20 pour 100 non finie.


69  Bureaux régionaux 18, 19, 20

  • La SÉFM avait noté qu’une seule maison donnant sur l’autoroute 403 était contiguë à cette autoroute, alors que toutes les maisons portant un nombre impair dans la rue auraient elles aussi dû faire l’objet d’un rajustement similaire.

  • L’existence d’une salle de bain complète n’avait pas été signalée.

  • Le code de qualité d’une maison était incorrect. La qualité est notée selon une échelle allant de un à dix, avec des augmentations de 0,5. C’est un facteur critique pour l’évaluation d’une propriété. Plus la qualité est élevée, plus l’évaluation est élevée elle aussi. Le sommaire de vérification a montré que la qualité attribuée à la maison en question était de 4,0, alors quelle aurait probablement dû être de 6,0.


70  Bureau régional 13

  • Un modèle incorrect de lotissement avait été sélectionné pour une propriété, et il y avait trois erreurs de mesures.

  • Dans le cas de 16 propriétés, la superficie en pieds carrés était incorrecte.


71  Bureau régional 6

  • La valeur attribuée à une évaluation omise était de 95 000 $, au lieu de 60 000 $. On appelle évaluation omise une évaluation qui n’a pas été enregistrée sur le rôle d’évaluation. Quand une évaluation omise est ajoutée au rôle d’évaluation, les impôts fonciers peuvent être perçus pour l’année en cours et, au besoin, pour toute partie ou pour l’ensemble des deux années précédentes.


72  Bureau régional 32

  • Dans un exemple, un garage avait été démoli et un nouveau garage avait été construit à sa place. Le nouveau garage avait été évalué, conformément à la politique de la SÉFM, mais l’ancien garage n’avait pas été supprimé au dossier.

  • Dans un autre cas, une remise avait été enlevée d’une propriété, mais la SÉFM n’avait pas mis à jour son dossier.

  • Dans le cas d’une autre propriété, le dossier de la SÉFM montrait qu’une remise avait été enlevée, mais une inspection avait montré que la remise en question était toujours sur les lieux.


73  Bureaux régionaux 16, 17, 25, 28A

  • Une erreur dans la superficie de la structure avait entraîné par erreur une augmentation de 118 000 $ de l’évaluation.

  • Une erreur dans une évaluation supplémentaire avait entraîné par erreur une augmentation de 98 000 $ de l’évaluation.

  • Des systèmes de climatisation et des sorties de sous-sol avaient été omis ou ajoutés par erreur dans 19 cas.


74  Bureau régional 23

  • Un certain nombre de caractéristiques structurelles n’avaient pas été enregistrées correctement, entre autres des demi-bains, des systèmes de climatisation, des foyers et des garages.

  • Dans deux cas, les dossiers de la SÉFM n’indiquaient pas que les propriétés étaient adjacentes à des propriétés commerciales et industrielles.


75  Bureaux régionaux 3, 4

  • Les dossiers de la SÉFM indiquaient par erreur qu’une propriété avait un système de climatisation.


76  l est louable que la SÉFM fasse de telles vérifications. Mais nous avons constaté que les gestionnaires de la SÉFM ne sont pas toujours aussi réceptifs aux changements recommandés qu’ils devraient l’être, à notre avis. Certes, les gestionnaires ont préconisé une meilleure formation du personnel et une meilleure communication pour s’assurer que tout le monde comprenne bien ses responsabilités, et la SÉFM s’est engagée à faire un suivi de cette vérification, mais elle n’a pas réagi avec le sens de l’urgence voulu. À certaines occasions, la SÉFM s’est montrée sur la défensive, et c’est regrettable. Les erreurs auraient dû galvaniser les gestionnaires de la SÉFM, les incitant à se montrer résolument proactifs.

77  Mais les gestionnaires n’ont pas accepté la recommandation que les inspecteurs se servent de croquis lors des inspections, disant que les politiques en vigueur ne prévoyaient pas ce type d’utilisation pour un processus normal d’inspection. Les gestionnaires ont toutefois reconnu qu’une telle utilisation pourrait être avantageuse dans certains cas. Pour les recommandations sur les contrôles des processus, les gestionnaires ont tout simplement déclaré qu’ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour envoyer des inspecteurs sur le terrain aussi souvent qu’il serait bon de le faire. Chose plus inquiétante encore, ils ont fait des insinuations visant à minimiser le fait, pourtant indéniable, qu’il y avait un nombre troublant d’erreurs – ce qui signalait un problème systémique. Sans avoir de preuves, et sans savoir dans quelle mesure leur explication prévalait, les gestionnaires ont suggéré que si certains changements à propos des biens-fonds n’avaient pas été consignés, c’était peut-être parce que ces changements avaient été apportés durant « l’intermède » entre l’inspection et la vérification. Pourquoi faire cette supposition ou minimiser l’importance des conclusions de la vérification? Les gestionnaires ont aussi tenu à noter que dans certains cas, les variables dites non consignées étaient sans grande importance dans le bureau régional en question. Parlant du grand nombre d’erreurs « pouvant changer la valeur [d’une propriété] », le Directeur à la qualité du service à la SÉFM a déclaré que le mot clé était « pouvant » et il a décrit les erreurs comme « assez petites, négligeables ». Il a dit que le rapport avait été fait de manière « pointilleuse » pour « dire : resserrer vos procédures, vos programmes de formation et vos contrôles, pour faire mieux à l’avenir ». Chose surprenante, M. Hummel, Vice- président aux Valeurs des biens-fonds, qui est responsable de l’application des recommandations de la vérification, a déclaré ne pas avoir « un sens global » des répercussions des rapports de vérification, et il a eu ce mot de mise en garde : il aime « voir chaque vérification placée dans un contexte, et c’est ça la répercussion des valeurs, comment l’intégrer à notre base de données, et ce n’est pas clair d’après les vérifications ».

78  Je me demande pourquoi la SÉFM a bien pu présumer qu’il s’agissait d’ « erreurs anodines » au lieu d’avoir été choquée par le grand nombre d’erreurs et d’être passée avec fermeté à l’action. À la SÉFM, certaines personnes pensent avoir un sens des répercussions – contrairement à M. Hummel. Durant notre enquête, des employés de première ligne de la SÉFM nous ont déclaré qu’ « ils n’ont pas confiance au produit ». Je sais parfaitement que M. Hummel peut avoir raison et que le personnel peut avoir tort, mais le fait que des dénonciateurs critiquent leur propre produit donne à s’inquiéter et ne devrait pas rester ignoré. Je m’inquiète aussi de voir que la SÉFM porte uniquement attention aux répercussions des erreurs sur les modèles. Il n’y a pas que les modèles qui souffrent des erreurs. L’exactitude de l’information sur les biens-fonds a aussi des répercussions sur les évaluations de ces biens-fonds; même si une erreur ne modifie en rien un modèle, un nombre étonnant d’évaluations sont faites pour les propriétaires fonciers à partir d’une information incorrecte.

79  C’est simple, il faut mettre en place des processus pour effectuer régulièrement des vérifications et pour les faire suivre par des programmes ciblés de formation, sinon les contribuables de l’Ontario continueront de se méfier de la SÉFM, et avec raison. Si les effectifs ne suffisent pas pour faire le travail correctement, il faut y remédier. La SÉFM s’enorgueillit de produire ses évaluations à un coût moindre que tout autre organisme chargé de faire des évaluations au Canada. Mais les décisions de dotation en personnel à la SÉFM ne devraient pas se faire en fonction de la rentabilité nette. Elles devraient avoir pour objectif de viser juste lors des évaluations.

80  Je vais donc recommander que la SÉFM voie si elle dispose d’effectifs suffisants pour remplir correctement ses fonctions et sinon, qu’elle étudie quelles mesures prendre pour améliorer la situation. (recommandation 11) Je crois aussi que l’une des recommandations que j’ai déjà faites – demandant que la SÉFM communique mieux aux propriétaires fonciers l’information précise sur laquelle elle s’appuie pour évaluer leur bien-fonds – contribuera à aider les propriétaires fonciers à surveiller la performance de la SÉFM dans la collecte de l’information pertinente. (recommandation 5)

 

Le complexe de supériorité et le choc des cultures

81  À la SÉFM, certains sont bien déterminés à s’en tenir aux modèles d’évaluation en masse. Apparemment, ils n’aiment guère qu’on remette ses résultats en question. La réaction de la SÉFM aux décisions de la CRÉF que je vais décrire ci- après, n’est pas la seule à en témoigner. Plusieurs anecdotes en donnent aussi la preuve.

82  Mes enquêteurs m’ont signalé qu’un chef de service à la clientèle leur avait dit que les propriétaires font semblant, intentionnellement, de ne pas comprendre parce que « c’est la nature du jeu… c’est l’impôt foncier ». Un haut dirigeant de la SÉFM a exprimé le ressentiment qu’il avait face à l’obligation de divulgation de l’information par la SÉFM en suggérant qu’il était inutile de communiquer aux contribuables les renseignements de ventes sur lesquels s’appuie la SÉFM étant donné que les contribuables peuvent obtenir ces renseignements par le Service interagences de l’immobilier. Il a dit que les contribuables n’avaient tout simplement pas le droit de faire pression auprès de la SÉFM pour obtenir des renseignements sur des biens-fonds comparables pouvant appuyer le cas desdits contribuables. Ce dirigeant semble avoir oublié que la SÉFM se sert de l’argent des contribuables pour graisser les rouages de son système gigantesque de données, qu’elle remplit une fonction inextricablement liée au pouvoir d’imposition par le gouvernement, au nom du gouvernement, et qu’elle utilise ses ressources pour chercher des biens-fonds comparables qui puissent appuyer sa position. Et ce dirigeant a suggéré que c’est le contribuable lui-même qui devrait faire « sa cueillette » de l’information.

83  Étant donné que ces types d’attitude prévalent à la SÉFM, les répercussions en sont lourdes. Ajoutons que même si des membres du personnel de la SÉFM n’aiment guère qu’on remette en question ses résultats d’évaluation, certains gestionnaires sont encore plus contrariés quand la CRÉF renverse les décisions de la SÉFM. Le fait est que la SÉFM souffre d’un complexe de supériorité – pas le genre de complexe odieux qui pourrait l’inciter à s’affirmer meilleure que les autres, mais le genre de complexe déconcertant qui l’amène à proclamer que ses résultats d’évaluation en masse sont supérieurs aux décisions d’évaluation de la CRÉF. Au fond, l’attitude de mépris de la SÉFM envers la CRÉF provient du choc des cultures entre ces deux organismes et du fait qu’ils comparent des pommes et des oranges quand ils déterminent les valeurs actuelles des biens- fonds. La SÉFM considère que son système d’évaluation en masse est précis et que ses indicateurs de la performance en ont donné la preuve. Elle estime aussi que « l’égalité » est un principe crucial, sinon le plus crucial de tous, d’un système d’évaluation juste. La SÉFM fait de son système d’évaluation en masse l’instrument de mesure de cette égalité. Quand la CRÉF remet en question une évaluation faite à partir du modèle de la SÉFM, cette dernière considère que la décision est injuste pour les contribuables dont l’évaluation a été effectuée de manière similaire et qui vont devoir payer plus, parce que eux n’ont pas fait appel. Mais la SÉFM a d’autres raisons, plus intéressées, de ne pas apprécier que la CRÉF renverse ses décisions. Elle s’inquiète des répercussions des réexamens sur ses « indicateurs de performance »[17]. En d’autres mots, la SÉFM craint que les décisions de la CRÉF n’aient un effet de distorsion sur ses résultats généraux, ce qui donnerait une image pire encore du manque d’exactitude des évaluations de la SÉFM.

84  Bien sûr, la CRÉF a une culture tout à fait différente. La CRÉF ne s’inquiète aucunement de protéger un modèle. À ses yeux, son rôle est de se concentrer sur la « valeur actuelle » d’un bien-fonds pour voir si l’évaluation est correcte, et elle parvient à cette détermination sans considérer les modèles d’évaluation de la SÉFM. En fait, dans l’affaire Cogan (22 juillet 2004), la CRÉF a noté qu’il ne s’agit pas de savoir si le modèle de la SÉFM a du sens, mais d’établir si la valeur actuelle d’un bien-fonds s’appuie sur des données précises comme des facteurs de comparaison et des données pertinentes de ventes. Cette méthode ne fait pas directement place à des considérations d’égalité, si ce n’est qu’elle tient compte de facteurs de comparaison quand ils sont donnés, pour voir comment d’autres biens-fonds censés comparables ont été évalués. La CRÉF croit évidemment que si elle parvient à mieux identifier la valeur actuelle réelle d’un bien-fonds pour son propriétaire, c’est le meilleur moyen de parvenir à une vraie égalité entre contribuables.

85  Le choc de cultures entre la SÉFM et la CRÉF se manifeste le plus directement dans la différence d’opinions que l’une et l’autre ont de la pertinence de l’information sur les ventes précédentes d’un bien-fonds donné. Comme le montre l’affaire Untel, citée en introduction, la CRÉF considère souvent la vente récente d’une propriété comme la meilleure preuve de sa valeur actuelle. La SÉFM ne voit pas les choses de la même façon. Certes, la SÉFM tient solidement compte des schémas de ventes globaux pour élaborer son modèle d’évaluation, mais son Guide sur l’évaluation foncière en Ontario montre quelle est sa position sur la pertinence des données de ventes propres à un bien-fonds :

Un prix de vente n’est qu’une indication de la valeur actuelle d’un bien- fonds, qui représente le prix convenu entre un acheteur et un vendeur lors d’une transaction donnée. La valeur actuelle d’un bien-fonds équivaut au prix le plus probable que ce bien-fonds pourrait avoir sur un marché concurrentiel et ouvert, réunissant toutes les conditions pour un prix de vente juste.


86  À vrai dire, la SÉFM s’inquiète que certaines conditions, comme des transactions imprudentes ou des ententes faisant qu’une propriété échappe à la pleine concurrence (transferts entre familles, ventes hypothécaires) n’empêchent certaines ventes de refléter la vraie valeur actuelle. La SÉFM s’efforce de créer un modèle qui ne souffre pas de tels caprices, en excluant les ventes suspectes de ses données. Comme son modèle est conçu pour être relativement intègre, la SÉFM a tendance à considérer qu’il constitue un meilleur moyen d’évaluation qu’une méthode fondée cas par cas sur les résultats concrets du marché.

87  Dans certains cercles de la SÉFM, le manque d’enthousiasme pour les décisions de la CRÉF dépasse la question de l’engagement de la SÉFM envers son modèle d’évaluation, et celle de la différence de confiance entre les deux organismes envers les vrais résultats de ventes pour un bien-fonds donné. À la SÉFM, certains considèrent aussi que les membres du Conseil d’administration de la CRÉF s’acquittent médiocrement de leurs fonctions et qu’ils sont trop souvent enclins à protéger les contribuables. Cette attitude ressort le plus clairement d’une lettre troublante écrite en mai 2005 par le Président de la SÉFM à M. John Wilkinson, député provincial et Vice-président du Conseil d’administration de la SÉFM, au sujet de certains problèmes de la SÉFM avec la CRÉF. À la fin de cette lettre, M. Isenburg suggère que les situations citées par lui « remettent en cause le jugement et le processus décisionnel de certains membres de la CRÉF quand ils prononcent leurs jugements ou leurs décisions ». M. Isenburg a réclamé des mesures pour remédier à ces problèmes, proposant entre autres une formation à suivre pour les membres du Conseil d’administration. Dans le corps de sa lettre, M. Isenburg a répertorié plusieurs éléments qui le troublaient. Ainsi, il s’est plaint que, d’après son estimation, dans 50 pour 100 des cas la CRÉF accorde des rajustements symboliques d’environ 5 pour 100, sans preuve à l’appui. Les employés de la SÉFM que nous avons interviewés ont fait écho à cette plainte de réductions « symboliques ou bienveillantes ». M. Isenburg s’est dit également troublé car il lui semblait que les membres du Conseil d’administration oublient souvent que le fardeau de la preuve revient au contribuable, et qu’ils questionnent le personnel de la SÉFM au nom du contribuable pour savoir comment la SÉFM est arrivée à son évaluation.

88  Je vais considérer chacune des questions clés soulevées tour à tour – les différences de méthodes d’évaluation, le traitement des ventes récentes, l’effet nuisible des tensions entre la SÉFM et la CRÉF. Mais auparavant, je dois préciser pourquoi la lettre de M. Isenburg m’a troublé à ce point. La CRÉF est une Commission autonome, chargée d’une fonction quasi-judiciaire. Quand la SÉFM est mécontente des décisions de la CRÉF, elle devrait exercer son droit de les faire reconsidérer, ou de les faire réexaminer devant tribunal. Contrairement à la suggestion faite dans cette lettre, je considère qu’il n’est pas du tout inconvenant pour un membre du Conseil d’administration de chercher à obtenir des renseignements qu’il croit utiles aux contribuables. Peu importe à qui incombe le fardeau de la preuve; la CRÉF est un organisme de réglementation fait pour agir de manière informelle et ouverte. Ses processus sont conçus de sorte à être conviviaux, sans complexités techniques. Si un membre du Conseil estime qu’un contribuable peu aguerri en matière d’arbitrage a besoin d’aide pour trouver de l’information auprès de la SÉFM, il se doit de l’aider. La référence à « l’intérêt des parties » est pour moi une autre source de malaise. Pour être honnête, je dois avouer pouvoir me tromper, mais j’ai eu l’impression que pour le Président de la SÉFM l’une des « parties en question » était la SÉFM. Bien que la SÉFM ne soit pas un « agent de la Couronne » en vertu de la Loi sur la Société d’évaluation foncière des municipalités, elle a un mandat public important, qui donne plus de poids à ses responsabilités. À cet égard, elle joue un rôle d’agent public. Bien que techniquement parlant la SÉFM soit une partie, comme tout autre organisme chargé d’une fonction publique dans une instance judiciaire, sa seule ambition devant un tribunal devrait être de faciliter une évaluation exacte de la valeur actuelle d’un bien-fonds. La procédure de litige ne devrait pas avoir pour but de donner raison à un personnel qui « prend très au sérieux la préparation et la présentation de ses preuves », ni de gagner l’appel pour la SÉFM. L’objectif devrait être d’obtenir des résultats équitables. J’espère avoir mal compris et j’aimerais croire que la SÉFM a en réalité l’attitude positive dont j’ai parlé quand elle effectue ses évaluations et quand elle répond aux remises en question de ses décisions.

89  Ceci dit, je reviens maintenant aux éléments discrets de mon enquête – écart des cultures, importance des ventes, retombées de ces disparités de vision.

 

L’écart des cultures

90  Deux considérations concrètes peuvent être retenues pour déterminer si des évaluations foncières sont correctes : 1) l’égalité, encore appelée « l’équité » et 2) « l’exactitude ». La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Campeau Developments Ltd. et al and Regional Assessment Commissioner, Region No. 29 et al (1983), 41 O.R. (2d) 39, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 27 septembre 1983, CSC Dossier No17695. La Cour a déclaré :

Le fait est reconnu depuis longtemps : il n’est pas particulièrement important qu’une évaluation donnée soit correcte, si toutes les propriétés sont évaluées dans la même proportion de leur valeur actuelle, afin qu’une juste part d’impôt revienne à chacune.


91  L’idée fondamentale qui sous-tend cet énoncé a du sens. L’objectif d’attribuer une part équitable des impôts fonciers en fonction de la valeur marchande relative d’une propriété serait respecté même si une propriété de 100 000 $ était évaluée à 1 000 $ seulement, à condition que toutes les autres propriétés soient évaluées à seulement 1 pour 100 de leur vraie valeur actuelle. Ce qui compte pour l’équité, c’est que la répartition relative des impôts soit équitable – peu importe les chiffres utilisés pour calculer cette répartition. Mais si l’idée est de déterminer des obligations fiscales proportionnellement équitables pour les propriétaires, en fonction de la valeur marchande de leur propriété, il est beaucoup plus sensé de chercher à déterminer correctement la valeur marchande de chaque propriété, au lieu de se servir d’un quelconque rapport de valeur. C’est là qu’intervient « l’exactitude ».

92  Le paragraphe 19 (1) de la Loi sur l’évaluation foncière définit ainsi l’exactitude : « Les biens-fonds sont évalués à leur valeur actuelle ou à leur valeur actuelle moyenne. » L’article 1 définit la « valeur actuelle » en ces termes :

«valeur actuelle» À l’égard d’un bien-fonds, s’entend de la somme que produirait, le cas échéant, la vente du fief simple non grevé entre un vendeur et un acheteur consentants et sans lien de dépendance.


93  La valeur relative n’est donc pas probante. C’est la valeur actuelle réelle qui l’est. La Loi sur l’évaluation foncière n’autorise aucunement l’évaluateur à établir l’équité en attribuant des valeurs relatives et erronées à des propriétés. L’affaire Campeau s’appuyait sur un autre règlement, en vertu duquel la question était non pas l’exactitude de l’évaluation, mais son « manque d’équité ». L’affaire Campeau ne régit donc pas.

94  Ceci ne veut pas dire que « l’équité » est sans pertinence en vertu de la Loi sur l’évaluation foncière. Le paragraphe 44(2) stipule que :

Pour calculer le montant de l’évaluation d’un bien-fonds, il est tenu compte du montant auquel des biens-fonds semblables situés à proximité sont évalués.


95  Les deux facteurs sont donc pertinents. L’écart des cultures entre la SÉFM et la CRÉF provient en partie de l’importance que chacune voudrait voir attribuée à ces deux facteurs, équité et exactitude.

96  Bon nombre des décisions prises par la Commission de révision de l’évaluation foncière montrent que l’exigence énoncée par le paragraphe 19 (1), disant que les biens-fonds doivent être évalués en fonction de leur « valeur actuelle », est d’une importance critique pour l’équité. Ces décisions soulignent qu’il appartient à la Commission de déterminer la valeur actuelle. Le mérite de cette position vient du fait que le paragraphe 19 (1) stipule clairement que « les biens-fonds sont évalués à leur valeur actuelle » et que le paragraphe 44 (2) parle de « prise en considération » de l’équité pour déterminer « la valeur ». Conclusion, l’équité est une aide au processus, tandis que « la valeur » et la « valeur actuelle » constituent les buts à atteindre. L’affaire Viva, Viva v. Ontario Property Assessment Corp., Region No. 10, [2001] O.J. No. 273 (Ont. S. Ct. of J.), que je décris plus en détail ci-dessous, est souvent citée pour faire prévaloir la preuve de la valeur marchande plutôt que les valeurs résultant d’une évaluation statistique en masse.

97  Comme l’a expliqué M. Hummel, la SÉFM considère que cette méthode est mauvaise. Selon lui, la SÉFM considère que l’exactitude et l’équité sont « deux exigences distinctes et séparées, également importantes ». À mon avis, la SÉFM se trompe sur ce point.

98  Je crois que la position de la SÉFM présente au moins trois problèmes. Premièrement, si toute décision qui diverge des résultats d’évaluation en masse cause un manque d’équité, et si les décisions de la CRÉF sont tenues de garantir l’égalité, aucun appel ne devrait être accueilli sauf si la SÉFM a saisi des données erronées dans le cas considéré. Ceci m’amène au deuxième problème. Si la répartition des obligations fiscales relatives, déterminée par l’évaluation en masse de la SÉFM, est un instrument de mesure de l’équité, alors la SÉFM devrait complètement faire connaître sa méthodologie. Et la question devant la CRÉF devrait porter moins sur la preuve précise de la « valeur actuelle », et plus sur l’exactitude des résultats fournis par le modèle de la SÉFM et sur l’utilisation correcte de ce modèle. La SÉFM ne peut pas d’une part s’objecter à un examen de ses méthodes devant la CRÉF, et s’attendre d’autre part à un respect fidèle pour ses évaluations générales de la valeur marchande. Troisième problème, qui est le plus important, le système d’évaluation en masse de la SÉFM permet des marges d’erreurs allant jusqu’à 10 pour 100 de la valeur des propriétés résidentielles, et plus encore pour les propriétés commerciales. En fait, à cause des marges d’erreurs intégrées à son modèle, la SÉFM considère elle-même qu’une « rectification » de 7,5 pour 100 de plus ou de moins faite par la CRÉF ne contredit pas ses résultats d’évaluation en masse. Ceci veut dire que, selon les propres normes de la SÉFM, et avec les marges d’erreurs qu’elle accepte pour ses produits, les changements apportés par la CRÉF à une évaluation ne mènent à aucun manque flagrant d’équité, à moins qu’ils ne causent une disparité de plus de 15 pour 100 avec les propriétés dites comparables par le système de la SÉFM.

99  Le fait est que le système d’évaluation en masse de la SÉFM est un modèle de prévision imparfait qui évite, sauf cas exceptionnels, l’examen détaillé du bien- fonds évalué. À mon avis, il est bien plus judicieux de considérer un appel auprès de la CRÉF comme un moyen contextuel de vérification du succès de la SÉFM, plutôt que comme une contestion. Si la SÉFM estime qu’un résultat de la CRÉF est faux, elle peut en demander le réexamen – et c’est là une mesure de sauvegarde. La SÉFM et la CRÉF ne peuvent tout simplement pas continuer de travailler à contre-courant.

 

L’importance des ventes

100 Manuel Costa d’Ottawa pensait avoir un argument irréfutable pour contester l’avis d’évaluation foncière qu’il avait reçu pour 2001 et 2002. En effet, cet avis estimait à 346 000 $ la « valeur marchande » de sa propriété au 30 juin 1999 alors qu’il l’avait achetée pour près de 100 000 $ de moins en juillet 1999. Sa « preuve » irréfutable n’a pas du tout impressionné la SÉFM. Elle accepterait de couper la poire presque en deux mais refuserait de considérer le prix de vente comme étant la valeur marchande. Dans sa réponse provisoire à M. Costa, le personnel de la SÉFM a avancé les motifs suivants pour justifier son refus d’utiliser le prix de vente comme valeur marchande :

Bien que vous ayez acheté votre maison aux alentours de la date d’évaluation, son prix de vente ne devient pas automatiquement sa valeur imposable. La responsabilité de la SÉFM est d’évaluer la valeur marchande des biens-fonds afin de répartir équitablement l’impôt foncier municipal entre les contribuables. Plusieurs motifs peuvent expliquer pourquoi le prix de vente d’un bien-fonds donné peut être inférieur ou supérieur à celui d’autres biens-fonds semblables avoisinants.



… les biens-fonds doivent être évalués en fonction de leur prix de vente éventuel au 30 juin 1999, et non en fonction du prix de vente réel des biens- fonds vendus aux alentours du 30 juin 1999. Nous connaissons tous des gens qui ont l’art de faire de bonnes affaires, qui sont de meilleurs négociateurs, etc. quand il est question de transactions immobilières et nous savons aussi que les gens ne vendent pas tous leur maison pour les mêmes motifs. C’est  pourquoi, le bureau de la Société d’évaluation foncière d’Ottawa estime que votre propriété aurait dû se vendre pour 280 000 $ et non 255 000 $, soit le prix que vous avez réussi à négocier avec le vendeur en fonction des conditions particulières au moment de l’achat.


101 Avec cette prise de position absurdement tordue, la SÉFM a utilisé le résultat de son propre modèle pour réfuter le prix d’achat réel du bien-fonds. Et sans avoir aucune preuve que la vente s’était faite à un prix dérisoire, elle a présumé que si la vente s’était conclue à un prix autre que celui prévu par son modèle, ce prix devait être incorrect. Heureusement pour M. Costa, la Commission de révision de l’évaluation foncière a vu les choses d’un autre œil, estimant que la valeur marchande actuelle de sa propriété était bien de 255 000 $.

102 Comme décrit ci-dessus, les employés de la SÉFM qui rejettent les requêtes des propriétaires fonciers demandant que la valeur évaluée de leur bien-fonds soit basée sur son prix de vente réel n’agissent pas indépendamment, ni de leur propre chef. Ils suivent en fait la politique ministérielle, telle qu’elle figure dans le Guide sur l’évaluation foncière en Ontario. La politique de la SÉFM est fondée directement sur le point de vue de l’égalité que je viens de décrire. La Directrice aux Services législatifs et des politiques de la SÉFM a informé mes enquêteurs que, si la Commission de révision de l’évaluation foncière changeait à son prix de vente la valeur évaluée d’un bien-fonds, cela pourrait créer une injustice pour les autres propriétaires fonciers ayant des biens-fonds comparables.

103 Il semble que cette habitude générale de la SÉFM soit non seulement contraire au bon sens, mais également à la décision de l’autorité compétente dans l’affaire Viva. Les Viva avaient acheté leur bien-fonds en mars 1997 pour 610 000 $, sur un marché en pleine concurrence. Toutefois, leur bien-fonds avait été évalué à 695 000 $ pour les années d’imposition 1998 et 1999. La date d’évaluation pour ces années d’imposition était le 30 juin 1996. Bien que la Commission de révision de l’évaluation foncière ait réduit la valeur évaluée, elle ne l’a pas réduite au prix de vente réel. La Cour supérieure a approuvé le raisonnement d’une décision judiciaire antérieure selon lequel la « récente vente réservée d’un bien-fonds est généralement le meilleur critère pour en établir la valeur marchande ».  Elle a précisé que s’il y a preuve de la valeur marchande d’un bien-fonds, donnée par exemple par une vente sur un marché concurrentiel, le concept d’équité et d’impartialité entre les contribuables est généralement respecté.

104 Il est inquiétant de constater que la SÉFM semble accorder la préférence à ses propres prévisions collectives de la valeur marchande plutôt que de se fonder sur le prix de vente réel, et ceci sans aucune preuve de la déficience du marché si ce n’est que ce prix de vente diffère de la valeur marchande établie selon son propre modèle. Ce fait irrite également de nombreux contribuables étant donné que la SÉFM encourage les propriétaires fonciers à « vérifier l’exactitude de leur évaluation foncière en se demandant s’il leur aurait été possible de vendre leur propriété pour ce prix, à la date d’évaluation ». La SÉFM leur dit que « si la réponse est affirmative, leur évaluation est juste ». Dans un communiqué de presse daté du 16 octobre 2005, M. Isenburg a proposé ce test décisif,  qui est mentionné dans la brochure envoyée avec les avis d’évaluation, « Information importante sur votre avis d’évaluation foncière 2005 ». Il y a un manque de cohérence troublant dans le fait de demander que les propriétaires vérifient l’exactitude de leur évaluation en comparant cette dernière au prix de vente qu’ils estiment pouvoir obtenir pour leur bien-fonds, mais de rejeter les résultats de vente quand ils devraient vraiment compter.

105 Selon moi, et comme je vais le recommander, quand l’évaluation d’une propriété est contestée en fonction du prix de vente réel obtenu aux alentours de la date d’évaluation, la SÉFM devrait généralement accepter ce prix de vente comme étant la meilleure preuve d’une évaluation juste. (recommandation 13) La SÉFM ne devrait s’écarter de cette règle générale que s’il existe des raisons concrètes et convaincantes de croire que la vente en question ne reflète pas les vraies conditions du marché. Par exemple, il se pourrait que la SÉFM ait des preuves montrant que la vente s’est faite entre parties apparentées, ou suite à un pouvoir de vente, et qu’elle ne reflète donc pas la vraie situation du marché. Il se pourrait aussi que l’inspection de la propriété et de propriétés comparables vendues durant la même période indique que le prix de vente de cette propriété est anormal. Pour les propriétés commerciales, d’autres facteurs – comme la composition des locataires ou les modalités de bail – peuvent montrer que le prix de vente ne reflète pas la valeur marchande actuelle de la propriété. Quand la SÉFM rejette un prix de vente réel, disant qu’il ne reflète pas la valeur actuelle d’une propriété, elle devrait expliquer clairement au contribuable les raisons qui l’amènent à cette conclusion. Cela fera concorder l’approche de la SÉFM avec l’affaire Viva et la pratique de la CRÉF, tout en éliminant beaucoup de rancoeurs envers les méthodes d’évaluation de la SÉFM.

 

L’effet pratique de l’écart des cultures

106 J’ai observé deux conséquences pénibles de l’écart culturel qui sépare la SÉFM et la CRÉF en ce qui concerne l’évaluation actuelle d’un bien-fonds. La première est que la SÉFM ne respecte pas toujours les décisions de la CRÉF; bien qu’elle soit tenue de les respecter pour l’année d’imposition faisant l’objet d’un appel, elle ignore trop souvent ces décisions lors de l’évaluation des biens-fonds dans les années d’imposition ultérieures. Deuxièmement, la SÉFM n’enregistre pas avec suffisamment de soin les raisons des décisions de la CRÉF. Pour être juste, la SÉFM ne montre pas suffisamment de soin non plus quand elle enregistre ses procès-verbaux de règlements avec les contribuables, suite à une demande de réexamen. Je considère ce fait, de même que l’écart culturel mentionné, comme un reflet de son engagement exagéré et malsain envers son modèle d’évaluation collective. À cause de ces deux tendances, de nombreuses réductions d’évaluations durement gagnées deviennent insignifiantes lors des années suivantes, ce qui contribue fortement au « syndrome de la récidive » qui mécontente tellement de contribuables.

 

Le mépris des décisions de la CRÉF lors des années suivantes

107 Les exemples les plus flagrants du syndrome de la récidive se retrouvent lorsqu’une même date d’évaluation a été utilisée pour deux années d’imposition à cause de la procédure maintenant abolie qui consistait à faire des évaluations seulement tous les deux ans, ou plus. Plusieurs contribuables qui avaient vu leur appel accueilli pour la première de ces années n’ont pas bénéficié des résultats de réexamen pour la deuxième année d’imposition, car la SÉFM les a ignorés. En conséquence, selon l’année d’imposition, la valeur évaluée d’un même bien-fonds variait pour une même date d’évaluation.

108 Un exemple saisissant touche la propriété commerciale de Nichan Markarian. Son expérience est truffée de problèmes. M. Markarian essayait de vendre son bien- fonds. Un agent immobilier avait mis cette propriété sur le marché pour 475 000 $ et elle était restée en vente pendant plus de deux ans. M. Markarian avait reçu des offres conditionnelles en 2002 et 2003 pour 450 000 $, mais aucune ne s’était concrétisée. Pourtant, la SÉFM a établi la valeur marchande de sa propriété à 754 000 $ pour l’année d’imposition 2004, soit une augmentation de 70,2 pour 100 par rapport à l’évaluation précédente. M. Markarian a voulu connaître les motifs de cette évaluation et a cherché à trouver des ventes de propriétés comparables. Aucune vente ne s’était conclue durant la période en question. Il a essayé de savoir comment la SÉFM était arrivée à cette valeur, qui ne correspondait aucunement à son expérience du marché. Ses recherches n’ont abouti à rien, même après avoir dépensé 239,68 $ pour obtenir des renseignements inutiles sur le site Web de la SÉFM. Il s’est donc tourné vers la CRÉF. La CRÉF a décrété que M. Markarian avait « le droit fondamental de savoir comment la SÉFM était arrivée à cette valeur actuelle pour sa propriété ». La CRÉF a découvert alors ce que M. Markarian n’avait pas pu découvrir : une propriété comparable avait été évaluée par la SÉFM en utilisant la « méthode du revenu », alors que celle de M. Markarian avait été évaluée selon une méthode différente, celle d’une comparaison des ventes, avec analyse de régression multiple. La Commission a donc rejeté la validité des preuves de la SÉFM, disant qu’elles prêtaient à confusion. La Commission a également appris qu’une propriété située en face de celle de M. Markarian avait été évaluée à 9 000 $ de moins, même si elle se trouvait sur un site deux fois plus grand et que la superficie de son bâtiment était supérieure de 35 pour 100. La Commission a accepté les preuves avancées par M. Markarian, qui s’appuyaient sur sa propre expérience du marché, et elle a évalué sa propriété à 450 000 $. M. Markarian a été grandement surpris quand il a reçu son avis d’évaluation pour 2005 : la valeur de son bien-fonds était remontée à 754 000 $, valeur qui avait été rejetée par la Commission pour 2004, et ceci alors que les années d’imposition 2004 et 2005 auraient dû tenir compte de la même date d’évaluation. Pour empirer les choses, M. Markarian a dû se rendre à l’évidence que l’évaluation révisée ne serait pas utilisée pour ses impôts de 2005 car le délai pour déposer un appel auprès de la CRÉF avait expiré. La SÉFM a refusé par la suite sa demande de réexamen. La SÉFM n’a changé d’avis qu’après notre intervention suite à la plainte que M. Markarian a déposée à mon bureau.

109 William et Maureen Chapman ont vécu une expérience semblable. Leur victoire auprès de la CRÉF en 2004 n’a pas été prise en compte dans leur avis d’évaluation de 2005. Bien que la SÉFM ait accepté de réduire le montant en réponse à une demande de réexamen, le responsable du service à la clientèle a été très franc. Il a averti les Chapman que la SÉFM n’était pas d’accord avec la décision de la Commission et que l’évaluation de leur propriété serait vraisemblablement nettement plus élevée la prochaine fois.

110 Le fait est que, d’un point de vue juridique, la SÉFM est rarement « pleinement » tenue de se conformer aux décisions de la CRÉF quant à la « valeur actuelle » d’un bien-fonds. Bien que la SÉFM doive respecter la décision pour l’année d’imposition faisant l’objet d’un appel, étant donné que chaque évaluation pour une nouvelle année d’imposition est considérée comme une nouvelle évaluation, la position de base juridiquement est que la SÉFM peut repartir à zéro. Il existe une doctrine juridique appelée « préclusion pour même question en litige » qui, dans certaines situations, ne permet pas à la SÉFM d’ignorer les décisions antérieures de la Commission. La doctrine de préclusion pour même question en litige est de nature discrétionnaire et s’applique au matériel ou aux questions fondamentales à résoudre qui étaient en litige entre les mêmes parties et pour lesquels une décision a été prise après une audience complète.  Il s’agit d’une doctrine dont l’application est aléatoire et qui requiert l’aboutissement du litige. Cependant, il faut se souvenir que mon enquête n’est pas uniquement centrée sur les aspects légaux du problème, mais qu’elle porte également sur l’impartialité des résultats. Plusieurs cours ont reconnu ce que le bons sens suggère.  Comme l’a dit la Cour dans l’affaire Re City of Oshawa and Loblaws Groceries Co. Ltd. et al, [1963] 1 O.R. 605, dans un passage souvent cité, même si l’évaluateur n’est pas strictement contraint par une décision d’appel :

l’habitude des évaluateurs de déterminer une même évaluation en défi à une décision… rendue en appel… lorsqu’il n’y a eu aucun changement de circonstances est une habitude pernicieuse à laquelle il faut mettre fin.


111 Que ce soit autorisé ou non en droit strict, il me semble évident que, lorsque la CRÉF a pris une décision quant à la valeur d’un bien-fonds à une date d’évaluation donnée, le refus de la SÉFM de tenir compte de cette décision pour les évaluations des années ultérieures basées sur la même date d’évaluation, lorsqu’il n’y a aucun nouveau élément d’information, va à l’encontre des principes de justice fondamentaux. Je recommanderai que la SÉFM se serve de la valeur déterminée par la CRÉF à une date d’évaluation donnée quand elle procède aux évaluations des années ultérieures basées sur la même date d’évaluation. (recommandation 14)

112 Le projet actuel selon lequel de nouvelles dates d’évaluation seront fixées pour chaque nouvelle année d’imposition devrait mettre fin à cette pratique. Cependant, l’argument sous-jacent dans le cas de la ville d’Oshawa va plus loin. Il s’applique à toute réévaluation antérieure obtenue impartialement, même si l’appel portait sur une autre date d’évaluation. En d’autres mots, à moins qu’il n’y ait un changement important de circonstances, il est pernicieux et injuste de la part de la SÉFM d’ignorer la décision de la CRÉF et de reprendre un processus d’évaluation que la Commission a jugé incorrect. Pourtant, c’est ce que fait fréquemment la SÉFM. C’est ce qui est arrivé à M. Costa, dont j’ai parlé précédemment, ainsi qu’à des centaines d’autres contribuables qui nous ont contactés. Leurs gains de cause auprès de la CRÉF, comme celui de Pierre Untel, ont été éphémères, disparaissant chaque année suivante, nécessitant un cycle frustrant de réexamens et de nouvelles demandes. Dans une décision de la CRÉF communiquée le 27 novembre 2003, la Commission a commenté l’injustice faite aux plaignants qui doivent consacrer temps et efforts pour plaider de nouveau la cause de leur évaluation de 2003, alors que leur appel avait été accueilli pour les évaluations de 2001 et 2002. La Commission a remarqué que :

« [cette] façon qu’a la SÉFM d’évaluer les biens-fonds sans tenir compte d’une décision pertinente de la Commission sape la raison d’être de la Commission de révision de l’évaluation foncière et le droit fondamental du contribuable à ce que l’exactitude de l’évaluation de son bien-fonds soit réexaminée par une entité indépendante. »


113 Malgré cela, M. Hummel a défendu les méthodes de la SÉFM en répétant que « toute nouvelle évaluation est un nouveau procès ».  Bien qu’il ait reconnu que, sans nouvel élément de preuve, il n’y avait aucune raison de soumettre le contribuable à un nouveau procès, il a déclaré que la position ferme adoptée par les employés de la SÉFM était en fait une bonne chose car celle-ci souhaite avoir un personnel qui a des convictions solides et qui luttera pour une cause juste, plutôt qu’un personnel qui se laisse facilement intimider et qui envoie de faux messages. Avec tout le respect que je dois à la SÉFM, je crois que cette position va à l’encontre du bon sens. Au lieu d’encourager une attitude de scepticisme face à l’adoption des décisions de la CRÉF, la SÉFM devrait présumer que ces décisions sont justes et devrait les considérer avec soin lorsqu’elle établit la valeur foncière d’un bien-fonds pour les années suivantes. En fait, à moins que la révision de la CRÉF ne résulte d’une situation provisoire (comme un problème d’accès dû à un important projet de construction dans la région) ou à moins que la SÉFM n’ait de nouvelles informations qui rendent caduque la décision de la CRÉF, la décision de la CRÉF devrait servir de fondement aux évaluations des années suivantes.

114 Trois raisons au moins justifient que les décisions de la CRÉF soient prises en compte lors des années suivantes :

  • L’habitude qu’a la SÉFM d’ignorer les décisions de la CRÉF sans aucun motif valable compromet l’intégrité de cet organisme quasi-judiciaire et ne convient pas à un mandataire du gouvernement.

  • Si la SÉFM estime que la décision est incorrecte, elle devrait déposer un appel au lieu de rester dans l’attente. La manière dont elle agi et rejette les réductions antérieures au grand dam du contribuable donne trop l’impression de signifier « je vous ai eu ».

  • Il est impossible que la SÉFM, et par association le système d’imposition foncière municipale, rétablissent un jour leur crédibilité meurtrie si les contribuables doivent, année après année, s’adresser à la CRÉF pour présenter les mêmes arguments que ceux qui leur ont donné gains de cause l’année précédente. L’expérience est coûteuse, chronophage et stressante. Ignorer les décisions pertinentes de la CRÉF, même si on est en désaccord avec elles, constitue non seulement un manque de respect envers la CRÉF mais également envers les contribuables.


115 Je recommande donc que la SÉFM utilise les évaluations mises à jour de la CRÉF comme point de départ pour évaluer les biens-fonds des contribuables, même pour les années ultérieures, à moins que les décisions de la CRÉF ou les procès- verbaux des règlements de réduction ne soient fondés sur une situation manifestement provisoire ou que le bien-fonds ait subi d’importants changements. (recommandations 15 et 17) Les augmentations moyennes sur le marché immobilier devraient bien entendu être prises en compte, mais je ne peux accepter que la SÉFM ait tout simplement la liberté de revenir à ses techniques d’évaluation collective au lieu de retenir des décisions prises en contexte, cas par cas, par la CRÉF.

 

Le non-enregistrement des renseignements

116 La SÉFM n’a pas été très apte à consigner les renseignements pertinents obtenus lors des demandes de réexamen et lors des appels auprès de la CRÉF, même lorsqu’elle souhaite conserver l’information pour en tenir compte dans des évaluations futures. Les « problèmes d’encodage » sont une des raisons pour lesquelles cette information n’a pas été saisie dans le système de données. Un défi plus important a été la configuration des bases de données de la SÉFM. Jusqu’à présent, l’information sur les évaluations a été enregistrée dans la base de données du Système d’évaluation foncière de l’Ontario, un système vétuste relié au ministère des Finances, tandis que les demandes de réexamen étaient enregistrées dans le Système de suivi des documents. Il n’y a aucune intégration directe des deux systèmes, et donc aucun moyen de s’assurer que l’information sur les réductions est automatiquement reportée. La SÉFM n’enregistre pas non plus les résultats des décisions prises après une demande de réexamen. L’habitude qu’a la SÉFM de ne pas enregistrer les réductions tant qu’elles ne sont rendues officielles par la distribution du procès-verbal du règlement, dûment signé, est appropriée. Mais le problème survient car aucune règle n’exige que les notes concernant ces règlements comprennent une explication des raisons de la réduction. Dans de nombreux cas, cela garantit quasiment qu’une réduction sera prise en compte « une seule fois ». Dans le cas des décisions de la CRÉF, les employés de la SÉFM ne savent pas toujours pourquoi une réduction a été ordonnée et ils n’enregistrent donc rien. Il y a aussi l’inévitabilité des erreurs ou des défaillances humaines. Bien qu’il existe un bloc-notes sur le Système d’évaluation foncière de l’Ontario pour permettre au personnel d’enregistrer les changements survenus suite à une demande de réexamen ou à un appel auprès de la CRÉF, cette information n’est pas toujours entrée dans le système.

117 Le fait de ne pas conserver l’information pertinente a aussi des répercussions sur le plan des coûts. Si les demandes et les appels se répètent inutilement parce qu’on omet de saisir l’information pertinente, cela entraîne des inefficacités et des augmentations des coûts globaux. Il ne faut pas oublier non plus le coût humain de la frustration et du gaspillage de temps.

118 Walter Rudnicki, un résident de 80 ans d’Ottawa, a présenté pour la première fois en 2001 une demande de réexamen de sa propriété. La SÉFM a inspecté sa maison pour voir quels étaient les vices de construction dont il se plaignait, mais a rejeté sa demande de réexamen. Après avoir montré des photos de sa maison à la CRÉF, celle-ci lui a accordé une réduction de 10 pour 100, ramenant la valeur imposable de 377 000 $ à 344 000 $. Sur le prochain avis d’évaluation, sa maison était évaluée à la hausse, à 417 000 $. Il a demandé à la SÉFM de réviser son évaluation et la SÉFM est revenue inspecter sa maison. Cette fois-ci, l’inspecteur a donné raison à M. Rudnicki et la SÉFM a réduit son évaluation à 395 000 $. Les deux évaluations suivantes étaient de nouveau élevées et la SÉFM a dû les réduire après examen des mêmes éléments de preuve. En octobre, M. Rudnicki était tellement frustré qu’il a décidé d’écrire au premier ministre.

119 La maison d’Andrew Notaran à Toronto se trouve à environ 150 pieds d’une artère très fréquentée, en face d’un ensemble d’habitations à loyer modéré et à proximité d’un autre. Chaque année, il s’est vu forcé de présenter ces faits à la SÉFM et, chaque fois, il a obtenu une réduction. Ces demandes et plaintes répétitives sont fatigantes et exaspérantes pour toutes les parties concernées.

120 Robert et Sheila Kosowan, un couple à la retraite ayant un revenu fixe s’apprêtent à devoir payer un impôt foncier annuel de 4 000 $ pour leur terrain boisé de 72 acres sur la rivière Magnetawan. Leurs problèmes ont commencé lorsque la valeur attribuée en 2003 à la propriété, applicable pour les années 2004 et 2005, a augmenté de près de 40 pour 100, passant à 171 000 $. Il semble que la propriété des Kosowan ait été évaluée au taux très élevé des propriétés en bord de lac, alors que les propriétés de leurs voisins avaient été évaluées à des taux bien inférieurs. M. Kosowan a informé la SÉFM que, contrairement au terrain de ses voisins, son terrain ne pouvait pas être développé étant donné qu’un chaînon rocheux le traverse. La majorité de l’étendue riveraine de sa propriété est classifiée comme plaine inondable et près de la moitié est bordée par un marécage à castors. La demande de réexamen des Kosowan a été acceptée et la valeur de leur propriété a été réduite à 138 000 $. Par contre, sur l’avis d’évaluation foncière suivant, qui est l’avis actuel, la valeur de leur propriété a plus que doublé, passant à 308 000 $. Qu’est-il advenu de la reconnaissance antérieure par la SÉFM des problèmes de régression multiple négative touchant leur propriété? Les Kosowan s’inquiètent de devoir vendre la maison où ils comptaient passer leur retraite, alors qu’ils se préparent à revivre une fois de plus tout le processus.

121 La SÉFM sait depuis quelque temps déjà que le fait de ne pas consigner l’information pertinente est problématique. En mai 2003, le Directeur, Service à la clientèle, a envoyé un courriel au personnel de la SÉFM reconnaissant que « l’une des principales critiques de nos intervenants (propriétaires fonciers, politiciens, etc.) est notre incapacité à faire en sorte que les changements apportés dans le cadre d’appels soient reportés à l’année suivante (le cas échéant) ».  Il a rappelé à son personnel qu’un système avait été mis en place et leur a demandé leur appui étant donné la nature très délicate du problème. Un an et demi plus tard, en octobre 2004, la SÉFM a formé le Comité d’amélioration du processus de fin d’année qui a notamment pour responsabilité d’étudier le processus de « maintien des réductions accordées par voie des demandes de réexamen et des dépôts en appel aux évaluations ultérieures ».  Le comité a recensé 19 583 cas où des réductions obtenues par voie de demandes de réexamen avaient été mal appariées entre le Système d’évaluation foncière de l’Ontario et le Système de suivi des documents. La plupart des erreurs résultait du fait que les ajustements apportés suite à une demande de réexamen ne figuraient pas dans la base de données des évaluations. Une gestionnaire du Service à la clientèle à Toronto a indiqué que sur les 3 100 erreurs d’appariement examinées par elle, la majorité résultait du fait que les procès-verbaux des règlements n’avaient pas été retournés. Parmi les autres motifs d’erreur d’appariement, elle a cité un codage incorrect et des erreurs de frappe. Le 6 juillet 2005, trois semaines après notre avis à la SÉFM lui disant que nous avions l’intention d’étudier le problème, une note de service interne a été envoyée à tous les gestionnaires de la SÉFM leur demandant de « s’assurer que les changements d’évaluation et/ou de classification résultant de demandes de réexamen et d’appels soient enregistrés correctement ».   Le 13 octobre 2005, M. Isenburg a envoyé une note de service au personnel à propos des rapports que notre enquête avait suscités dans les médias. Le même jour, Rosalie Penny, Vice- présidente aux relations avec la clientèle a envoyé une note de service aux cadres supérieurs leur demandant d’entreprendre un examen de ces processus, comprenant notamment une vérification que le Service de la qualité s’était précédemment engagé à faire. L’examen et la vérification devaient porter sur les systèmes de suivi, sur la législation et son impact sur la question du report, ainsi que sur le point de vue des clients. Avec raison, elle a également demandé au personnel d’élaborer des politiques pour refléter la « culture axée sur la clientèle » de la SÉFM. En quelques jours, 70 601 biens-fonds ont été identifiés comme ayant fait l’objet d’au moins deux appels auprès de la CRÉF et/ou de demandes de réexamen. Le 26 octobre 2005, les cadres de la SÉFM ont reçu une autre note de  service à ce sujet les avisant « qu’il fallait dorénavant confirmer que tous les changements avaient été reportés pour 2006 » et qu’il fallait s’assurer, le cas échéant, que toutes les mises à jour avaient été apportées au Système d’évaluation foncière de l’Ontario avant l’envoi des avis d’évaluation mis à jour. Un état de la question publié le 5 décembre 2005 illustre l’ampleur du problème que la SÉFM tentait alors de corriger à tout prix. Il notait que 5 078 changements avaient été apportés suite au réexamen – 5 078 cas comme ceux des Rudnicki, Notaran et Kosowan.

122 Il serait injuste de suggérer que la SÉFM est restée les bras croisés face à ce problème, avant notre enquête. Certaines notes de service périodiques y faisaient référence. Le Comité d’amélioration du processus de fin d’année 2004 a été mis sur pied et a publié des rapports d’étape ainsi que des plans de changement. Notons aussi que la SÉFM s’apprêtait à passer à un nouveau système intégré de gestion des données foncières, dont le format plus convivial vise à faciliter la saisie des données. Mais il est clair que la situation n’a revêtu son caractère d’urgence qu’après l’ouverture de notre enquête. Contrairement à l’avalanche actuelle de notes de service, lorsque j’ai passé en revue les documents sur le protocole et les méthodes de travail préparés à l’intention des employés, je n’ai trouvé aucune référence claire à l’importance de consigner les raisons des réductions des évaluations. J’ai donc plusieurs recommandations à faire qui, je le crois aideront la SÉFM à poursuivre les initiatives louables qu’elle a entreprises.

123 Tout d’abord, il faut combler les lacunes d’information propres à la SÉFM. Je recommande que la SÉFM s’assure que tous les procès-verbaux de règlements auxquels elle prend part et qui sont liés à des réductions d’évaluation précisent clairement les raisons pour lesquelles une réduction a été accordée. (recommandation 16) Pour le même motif, je compte recommander que si le fondement d’une décision d’évaluation de la CRÉF n’est pas clair pour la SÉFM, cette dernière demande – comme elle en a le droit – à la Commission d’expliquer les raisons de sa décision et les enregistre ensuite dans le dossier d’évaluation. (recommandation 18)

124 Deuxièmement, il faut que la SÉFM poursuive les initiatives qu’elle a entreprises jusqu’alors. Je suis confiant que la SÉFM continuera de surveiller cette situation mais, pour l’aider à pleinement réussir, je recommande que chaque avis d’évaluation foncière envoyé aux propriétaires contienne une case permettant d’indiquer les années antérieures où il y a eu des ententes suite à des demandes de réexamen, ou encore des mises à jour d’évaluation par la CRÉF. La mention « Non » devrait figurer dans cette case si la SÉFM croit qu’il n’y pas a eu de modifications. Autrement, si la SÉFM sait qu’il y a eu des évaluations mises à jour, il faudra préciser dans cette case les années en question ainsi que le type de processus d’examen. (recommandation 4)

125 Cette information permettra non seulement aux contribuables de savoir si les relevés de la SÉFM font référence aux résultats des évaluations mises à jour, mais elle pourra aussi être utilisée pour de futurs appels auprès de la CRÉF. Elle pourra peut-être aussi prévenir les plaintes éventuelles. En 2006, M. Notaran a reçu une fois de plus une augmentation de son évaluation foncière, après avoir obtenu des réductions antérieures, à cause du manquement de longue date de la SÉFM à enregistrer les réductions accordées. Il s’est dit que la SÉFM avait une fois de plus fait erreur. Or durant notre enquête, nous avons découvert que la SÉFM avait en fait tenu compte d’une réduction de 10 pour 100 par rapport au marché, étant donné les conditions adverses dont M. Notaran avait présenté la preuve. Si son avis d’évaluation foncière avait indiqué que ses demandes antérieures avaient été notées, son sentiment d’exacerbation en 2006 (qui s’est maintenu jusqu’à ce que nous puissions tirer les choses au clair) aurait pu être évité.

 

Le déséquilibre des pouvoirs dans le cadre d’un appel

126 Dans tout litige, l’information est un instrument de pouvoir. De même que l’expérience, particulièrement lorsqu’elle atteint le niveau de l’expertise. Les ressources constituent également un énorme atout – les ressources financières, les données et les ressources d’appui. Comme tout avocat plaidant vous le dira, les procès ne se règlent pas toujours en faveur de la partie qui a raison, mais bien en fonction de la partie qui parvient à persuader le décisionnaire qu’elle a raison. Lorsqu’il est question de litige, la SÉFM détient sans conteste le pouvoir face au contribuable typique, devant la CRÉF. La SÉFM, société dont l’expertise en matière d’évaluation foncière ne fait aucun doute, possède un avantage phénoménal avec son monopole de l’accès à des renseignements exhaustifs sur les taxes de transferts fonciers, ses bases de données massives, ses systèmes informatiques sophistiqués, sa capacité actuelle à maintenir la confidentialité de cette information en raison du secret commercial, ses employés affectés à plein temps aux litiges et son budget de plusieurs millions de dollars.

127 Selon moi, deux problèmes découlent de cette situation : des problèmes propres aux méthodes de tenue des audiences et un problème de nature plus générale quant à savoir qui devrait porter le fardeau de la preuve lors des audiences auprès de la CRÉF.

 

Les problèmes concernant la tenue des « audiences »

128 Un principe fondamental du droit administratif est que les parties ont le droit de savoir quel dossier est présenté contre eux et d’avoir l’occasion d’y répondre. Dans le cas de la SÉFM, de nombreux contribuables estiment qu’elle détient non seulement toutes les cartes du jeu, mais qu’elle a également un atout en réserve. Plusieurs personnes qui avaient obtenu de la SÉFM des renseignements sur des biens-fonds comparables ont passé des heures à les étudier pour se préparer à une audience devant la Commission de révision de l’évaluation foncière mais ont découvert à l’audience que, afin de justifier son évaluation, la SÉFM présentait des biens-fonds comparables tout à fait nouveaux.

129 Il y a quelques années, Richard Moll, un statisticien d’Ottawa, s’est retrouvé dans cette situation. L’évaluation de son bien-fonds ayant grimpé de 35 pour 100, il a décidé de la contester. La SÉFM lui a fourni six biens-fonds comparables, dont l’évaluation était inférieure à la sienne qui était de 434 000 $. Il a rassemblé ses arguments et s’est préparé pour l’audience. Mais à l’audience, la SÉFM a présenté six autres biens-fonds comparables, différents de ceux qu’il avait reçus, tous justifiant l’évaluation de la SÉFM. Tout son travail et ses efforts de préparation sont partis en fumée,  alors qu’il essayait d’assimiler cette nouvelle information. Il se souvient que la SÉFM « m’a fait passer pour un parfait idiot ». Il a quitté l’audience avec le sentiment écrasant que le processus était injuste.

130 En droit strict, rien n’interdit formellement d’agir de la sorte, bien que la CRÉF protège de temps à autre le contribuable grâce à son pouvoir discrétionnaire de mener une instruction équitable en accordant des ajournements ou en rejetant les preuves de la SÉFM. Mais ce n’est pas ce qui se passe en général. Le site Web de la CRÉF rappelle aux contribuables que « la SÉFM peut ne pas se fonder nécessairement sur les mêmes biens immeubles que ceux qui ont été fournis au plaignant pour défendre son évaluation ».

131 Le fait que la CRÉF sanctionne occasionnellement la SÉFM pour la présentation de preuves nouvelles à une audience a incité la SÉFM à essayer d’éliminer cette méthode, pas toujours avec succès. En août 2003, la Directrice, Gestion des dossiers, Valeurs des biens-fonds, a envoyé une note de service à tout le personnel l’avisant que la SÉFM risquait de se retrouver sans propriétés comparables comme preuves si elle ne divulguait pas adéquatement l’information, et l’encourageant à faire l’impossible pour que toute divulgation nécessaire soit faite avant l’audience. Sa note de service laissait également entendre qu’il était non seulement peu sage pour la SÉFM de risquer les sanctions imposées par la CRÉF, mais que cette méthode était inéquitable. Nous continuons de recevoir des plaintes concernant cette méthode, que M. Hummel juge lui aussi injuste. Selon lui, le contribuable devrait avoir au moins un préavis de deux semaines, ou l’évaluateur devrait « peut-être suggérer un ajournement » pour donner au contribuable le temps d’étudier l’information.

132 Malgré ces éléments encourageants, je ne suis pas convaincu que la SÉFM comprenne suffisamment l’importance pour elle de faire preuve d’une équité irréprochable lors des audiences de la CRÉF. Comme indiqué auparavant, selon la lettre du Président envoyée à M. Wilkinson, député provincial et Vice-président du Conseil d’administration de la SÉFM, j’ai l’impression que la SÉFM se considère comme étant sur pied d’égalité aux audiences de la CRÉF. J’ai eu la même impression lorsque j’ai étudié une entrevue donnée par M. Hummel durant notre enquête. Alors qu’il convenait de l’injustice d’une divulgation tardive des preuves, il a jugé bon de clarifier sa position en ajoutant que la SÉFM est elle aussi prise de court, et il a observé que « quoi que nous disions pour le contribuable est accepté; pas l’inverse ». Il a ajouté « cela nous est égal » mais, dans le contexte, je me demande jusqu’à quel point cette conviction est ancrée dans cette Société.

133 Deux raisons expliquent pourquoi cet ethos devrait être institutionnalisé s’il n’est pas déjà accepté. Tout d’abord, il y a le grave déséquilibre des pouvoirs que j’ai décrit. Un tel contexte souligne non seulement l’importance pour la SÉFM de faire le maximum pour se montrer équitable, mais justifie également que la CRÉF se montre plus exigeante avec la SÉFM qu’avec les contribuables. Comme l’a reconnu un membre de longue date de la CRÉF, les membres de la CRÉF essaient d’aider les particuliers lorsqu’ils savent que « la lutte est inégale ». La deuxième raison pour laquelle la SÉFM devrait faire preuve d’une équité irréprochable est que le pouvoir de la SÉFM émane de la population de l’Ontario. Simplement dit, la SÉFM assume une fonction publique. À bien des égards, cette corporation est un agent de la Couronne, pas un agent d’entreprise indépendant. L’information qu’elle recueille n’est pas faite pour lui servir à ses propres fins. Elle est recueillie à l’intention des citoyens de l’Ontario, qui comptent parmi eux l’appelant à un pourvoi donné. L’évaluation foncière se fait pour les citoyens de l’Ontario, qui comptent parmi eux l’appelant à un pourvoi donné. Cette réalité doit colorer ou changer le climat d’opposition dans lequel les audiences de la CRÉF se déroulent.

134 Qu’est-ce que cela signifie en termes de divulgation?  La suggestion de M. Hummel proposant un ajournement en cas de divulgation tardive ou de non- divulgation peut s’avérer la solution appropriée dans certaines situations, mais seulement à titre exceptionnel. Les ajournements sont non seulement une cause d’embarras pour les litigants et la CRÉF, mais les ajournements pour non- divulgation sont presque toujours évitables. La solution consiste à faire une préparation soignée dès le départ. Je ne vois rien qui puisse excuser, par exemple, le fait que la SÉFM veuille utiliser de nouveaux renseignements dans les appels qui ont lieu après que la SÉFM a déjà rejeté les demandes de réexamen. Aucune demande ne devrait être rejetée sans divulgation complète des renseignements pertinents.

135 Même lorsqu’il n’y a eu aucune demande de réexamen, la SÉFM peut avoir divulgué les 24 biens-fonds comparables qu’elle autorise, y compris les six exemples choisis par elle. Je me souviens de l’observation faite par M. Isenburg dans sa lettre du 30 novembre 2005 à une association de contribuables, disant que la SÉFM a choisi le nombre 24 pour les biens-fonds comparables gratuits parce que ce nombre est suffisant pour déterminer la valeur marchande actuelle. Si 24 biens-fonds suffisent, pourquoi la SÉFM estime-t-elle nécessaire d’apporter parfois de nouveaux éléments de preuve, à plus forte raison à la dernière minute. Il me semble évident que, si la SÉFM choisit ses six exemples avec soin pour déterminer ceux qui font ressortir au mieux une comparaison équitable à ses yeux, il ne devrait pas être nécessaire de faire d’autres recherches d’exemples. Si la SÉFM estime que six exemples ne sont pas suffisants, au lieu de divulguer les 24 comparables au départ, elle peut en divulguer davantage – y compris tous ceux qu’elle souhaite présenter au cours de toute audience ultérieure. Une telle situation serait avantageuse à trois niveaux. Tout d’abord, cela dissuaderait les appels. M. Moll, dont le cas a été débouté à la suite de nouvelles preuves présentées pour la première fois à la CRÉF, aurait fort bien pu voir la réalité s’il avait examiné plus tôt la preuve qui s’est révélée suffisamment solide pour « le faire passer pour un parfait idiot ». Deuxièmement, une préparation soignée et exhaustive faite dès le départ favoriserait un règlement rapide. Un certain nombre de plaignants nous ont fait part de leur mécontentement même si la SÉFM avait accepté leurs revendications, parce que la SÉFM avait attendu d’être « à la porte du palais de justice » pour le faire. Troisièmement, une telle situation serait tout simplement plus équitable qu’une divulgation tardive. Nous avons entendu plus d’une plainte de contribuables au sujet du « tri » fait par la SÉFM. Pensez à la réaction des contribuables lorsque la SÉFM, avec son système coûteux de données foncières, présente des cas inconnus antérieurement et soigneusement sélectionnés tard dans le processus, à des fins d’instances. Quiconque s’est trouvé dans cette situation doit se demander combien de biens-fonds comparables favorables à son propre cas ont bien pu avoir été rejetés au cours d’une telle sélection tactique.

136 Je comprends que la découverte tardive de preuves importantes ne peut pas toujours être évitée, et je conviens que des erreurs de non-divulgation peuvent survenir. Par conséquent, je ne recommanderai pas que la SÉFM ne puisse jamais présenter de nouveaux biens-fonds comparables, mais je recommanderai qu’elle cesse de présenter de nouveaux biens-fonds comparables lors d’audiences de la Commission de révision de l’évaluation foncière, sans divulgation préalable suffisante. (recommandation 19) Je recommanderai également que la SÉFM enjoigne à son personnel de veiller à ce que les contestations aux évaluations soient examinées soigneusement et réglées aussi rapidement que possible, afin de minimiser les règlements de dernière minute. (recommandation 20) En dernier lieu, je demanderai simplement à la SÉFM de tenir compte du fait que sa réputation en matière d’équité et d’objectivité sera invariablement ternie si elle agit comme un avocat plaidant qui essaie de gagner sa cause, plutôt que comme un fonctionnaire cherchant à faire ce qu’il est juste de faire.

 

Le fardeau de la preuve

137 À l’heure actuelle, le fardeau de la preuve incombe au contribuable lorsqu’il fait appel auprès de la CRÉF. Cela a deux répercussions. Premièrement, le contribuable doit présenter des faits tangibles pour prouver son allégation que l’évaluation foncière actuelle est probablement erronée. Deuxièmement, si la CRÉF ne peut en arriver à une décision, on doit accorder le bénéfice du doute à la SÉFM. Si les avis sont partagés à parts égales, le contribuable perd et la SÉFM gagne.

138 Le principe du fardeau de la preuve incombant au contribuable lors de la contestation d’une évaluation foncière en est un de longue date et, dans ce cas, incarne certainement la loi. Dans l’affaire Yonge Street Hotels Inc. v Municipal Assessment Corp., Region No. 9 [2004] O.J. No. 2860, [2005] O.J. No. 1741, la Cour d’appel de l’Ontario avait indiqué que le fardeau initial de « démolir » les hypothèses du Ministre au sujet de l’évaluation foncière revenait au contribuable. Le verbe « démolir », qui appartient à un langage mélodramatique peu caractéristique d’un tribunal, est tiré d’un vieux cas. Le terme peut s’avérer trompeur, car la loi stipule clairement que le contribuable doit uniquement montrer que l’évaluation est probablement incorrecte.

139 Un ensemble complexe de considérations influent sur l’attribution du fardeau de la preuve par la loi. Si une partie allègue qu’une autre partie a mal agi, comme dans une poursuite civile, c’est à la partie faisant l’allégation qu’il revient d’en donner la preuve. Si l’État tente de punir, c’est à lui que revient le fardeau de la preuve, car s’il gagne, ses actes feront du tort à un citoyen. À l’occasion, la loi peut aussi attribuer des fardeaux de preuve lorsqu’une partie tente de contester un fait qui semble tellement vrai qu’il devrait être présumé vrai jusqu’à preuve du contraire. De même, la loi impose des fardeaux de preuve dans des causes d’appels authentiques, parce qu’un tribunal inférieur a déjà décidé en faveur de l’intimé suggérant que celui-ci a probablement raison. La loi attribue souvent les fardeaux de preuve de telle sorte qu’ils incombent à la partie ayant les moyens d’établir la preuve. Ainsi, si une perquisition sans mandat est contestée en vertu de la Charte, l’avocat de la Couronne doit prouver que la police avait des motifs valables, car seuls les policiers peuvent savoir ce qu’ils pensaient. Parfois, les fardeaux de preuve sont attribués pour des raisons purement administratives, par exemple dans le cas de délits mineurs où l’accusé pourrait devoir prouver qu’il ne s’est pas montré négligent.

140 Si l’on tient compte de ce genre de facteurs, il n’est pas très logique d’imposer le fardeau de la preuve aux contribuables dans le cas des évaluations foncières.

141 Tout d’abord, un contribuable qui interjette appel d’une évaluation foncière n’allègue pas que la SÉFM a commis un méfait, comme c’est le cas dans une poursuite civile; il déclare seulement que le système d’évaluation de la SÉFM a fait erreur.

142 Deuxièmement, l’analogie à un acte criminel n’imposerait pas le fardeau de la preuve au contribuable. Le représentant de l’État est la SÉFM et, bien que l’imposition ne soit pas une peine, la loi a établi depuis des siècles des parallèles entre les lois fiscales et les lois pénales, parce que les unes comme les autres font intervenir des décisions de l’État défavorables à l’intérêt personnel d’un particulier. On pourrait donc penser que le fardeau de la preuve devrait tendre à reposer sur le représentant de l’État, dans ce cas-ci la SÉFM.

143 On ne peut pas non plus attribuer le fardeau de la preuve au contribuable pour une troisième considération, à savoir l’hypothèse que les évaluations foncières de la SÉFM sont si probablement exactes qu’elles devraient être présumées telles jusqu’à preuve du contraire. En réalité, même si la SÉFM est experte en évaluation foncière, son évaluation relève de l’approximation. La SÉFM a intégré d’importantes marges d’erreur à ses méthodes d’autoévaluation, sachant qu’elle peut faire erreur dans une proportion de 10 à 15 pour 100, même quand tout va bien. Et tout ne vas pas toujours bien. Nous avons tout simplement découvert trop d’inexactitudes dans l’information sur les biens-fonds donnés pour avoir confiance que le système fonctionne dans les cas individuels, sans parler des admissions faites par la SÉFM dans ses documents quant aux possibilités d’erreurs de limites et aux difficultés d’ajustement au marché en raison de la diversité dans la province. Si le degré d’inexactitude inhérente est à prendre en considération, cela vient corroborer l’obligation pour la SÉFM de justifier ses évaluations, au lieu  d’imposer au contribuable le fardeau de les réfuter.

144 La quatrième considération, à savoir que la loi impose des fardeaux de preuve dans des causes d’appels authentiques parce qu’un tribunal inférieur a déjà rendu une décision pour l’intimé, suggérant que celui-ci a probablement raison, n’est pas pertinente ici. Faire appel auprès de la CRÉF ne constitue pas vraiment un appel, puisqu’il s’agit de la toute première audience judiciaire. C’est en fait un procès de novo. Lorsqu’un contribuable s’adresse à la CRÉF, personne n’a encore décidé que la SÉFM a raison, sauf la SÉFM elle-même.

145 C’est lorsqu’on en arrive à la cinquième considération, soit l’accès à l’information, que la décision d’imposer le fardeau de la preuve au contribuable plutôt qu’à la SÉFM semble particulièrement bizarre. La situation n’est pas comparable à celle de l’impôt sur le revenu des particuliers, où seul le contribuable sait quels ont été ses revenus et ses dépenses déductibles, et où les traces des pièces justificatives peuvent être camouflées. Il est vrai que le contribuable est le mieux placé pour connaître les caractéristiques de sa propriété, mais cette information n’est généralement pas inaccessible pour la SÉFM. Les évaluations d’impôt foncier sont tributaires de renseignements limités fournis par les contribuables sur leurs biens visibles et permanents, renseignements qui sont en grande partie publiquement enregistrés, et l’accès de la SÉFM à cette information est facilité par son droit d’inspection sans justification.[18] Mais le point essentiel est que le corps et l’âme du processus d’évaluation foncière est une masse d’information mystérieuse et intimidante à laquelle seul l’évaluateur a accès – alors que cette information appartient au contribuable qui en a subventionné la collecte avec ses impôts. La SÉFM, partie adverse du contribuable, a pleinement accès à cette foule de renseignements, alors que le contribuable ne peut les obtenir que par petits bouts, à condition que son adversaire les divulgue de manière adéquate. Pour ce qui est de l’accès à l’information « supplémentaire » pouvant servir en cas d’appels, le contribuable doit se rendre à la municipalité et fouiller manuellement parmi des monceaux de rôles d’évaluation alors que la partie adverse, la SÉFM, dispose de l’information complète (qui été acquise, répétons-le, aux frais des contribuables) et peut avoir accès à cette information en nanosecondes grâce à un système informatique payé en partie par le contribuable. Alors que le contribuable doit aller à un bureau d’enregistrement des titres de propriétés et dépoussiérer des répertoires ou s’asseoir devant un terminal pour lire des microfiches ou faire des recherches informatisées auxquelles il comprend probablement rien, sa partie adverse, la SÉFM, dispose de toute la gamme des données pertinentes, fournies par la province du contribuable en vertu d’une sous-licence de monopole et a des employés formés et bien rémunérés – en grande partie par le contribuable – pour se procurer ces données. Alors que le contribuable peut engager un évaluateur de biens immobiliers pour un coût dépassant ce qu’il va vraisemblablement récupérer en contestant son évaluation foncière, sa partie adverse, la SÉFM, emploie des spécialistes rémunérés grâce à l’argent du contribuable. Pour ce qui est de l’accès relatif à l’information, les deux parties en présence ne disposent pas des mêmes armes. Et c’est un carnage.

146 Alors comment peut-on justifier que le fardeau de la preuve incombe au contribuable? À mon avis, c’est injustifiable, mais on peut tenter de le faire seulement de deux façons : sur le plan historique, en usant d’une fausse analogie avec le modèle de l’impôt sur le revenu, et sur le plan administratif.  Je ne m’attarderai pas sur cette première façon. En réalité, attribuer le fardeau de la preuve au contribuable se fait par simple raison pratique sur le plan administratif. On croit que c’est un moyen de dissuader les contribuables de faire appel.

147 Du point de vue de l’équité, ce n’est pas une raison très convaincante de faire reposer le fardeau de la preuve sur le contribuable. Même si cela peut s’avérer efficace, dissuader les appels en faisant peser un fardeau difficile sur le contribuable constitue une forme inconsidérée de dissuasion car, dans l’univers mystérieux de l’évaluation foncière, le processus risque de décourager tout autant les appels bien fondés que ceux qui ne le sont pas. Un processus qui permet de réaliser des économies d’argent et d’énergie, mais au prix de résultats erronés, ne mérite pas qu’on s’y attarde.

148 Ce qui importe, par contre, c’est que les avantages administratifs de cette inégalité pourraient être exagérés. La Province du Manitoba attribue le fardeau de la preuve à l’évaluateur et cela n’a ni paralysé son système d’évaluation, ni entraîné un nombre excessif d’appels. Mes enquêteurs ont appris qu’à l’extérieur de Winnipeg, il y avait 2 500 avis d’appels à la Commission de révision pour les 400 000 biens-fonds que compte le Manitoba, soit un taux de 0,6 pour 100 – ce qui est inférieur au taux apparent des appels en Ontario qui, selon les statistiques de 2004, semblait se situer autour de 1 pour 100. À Winnipeg, 4 500 appels ont été présentés pour 200 000 biens-fonds (dont le tiers environ représentait des appels de nature commerciale), soit un taux d’environ 2,25 pour 100. C’est un taux d’appels plus élevé que celui qui semble exister ici, et la raison pourrait fort bien être l’absence de fardeau de la preuve : le contribuable ne perd rien à présenter un appel. J’aimerais néanmoins faire trois remarques. Premièrement, le nombre d’appels à Winnipeg n’a pas paralysé le système du Manitoba, et tout nous porte à croire qu’il fonctionne bien. Deuxièmement, le taux de 2,25 pour 100 est en fait comparable au nombre combiné des demandes officielles de réexamen et d’appels présentées ici. Si on obligeait tous les contribuables à faire d’abord une demande de réexamen, le nombre d’appels diminuerait très certainement. Troisièmement, et c’est un point primordial, même si cette option entraînait une augmentation du nombre d’audiences à la CRÉF, on y gagnerait sur le plan de l’équité et probablement sur le plan du processus d’évaluation.

149 La Loi sur l’évaluation municipale du Manitoba, qui place le fardeau de la preuve sur l’évaluateur, n’est pas insensible à ces questions. L’approche adoptée est pragmatique et reconnaît que, pour les questions d’exemption d’impôt foncier ou de catégorie foncière, le fardeau de la preuve devrait reposer sur le contribuable qui est le mieux placé pour connaître l’utilisation de la propriété. Cette loi prescrit aussi que, si un propriétaire foncier s’oppose à une inspection ou à une divulgation, le fardeau de la preuve devrait lui revenir. Plus particulièrement, l’article 53 de la loi du Manitoba prescrit :

Fardeau de la preuve

53 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le fardeau de la preuve repose sur l’évaluateur lorsque les points litigieux soulevés dans la requête ont trait au montant de la valeur déterminée.


Fardeau de la preuve

53 (2) Le fardeau de la preuve repose sur le requérant lorsque les points litigieux soulevés dans la requête ont trait à l’assujettissement à l’impôt ou à la classification des biens.


Fardeau de la preuve

53 (3) Le fardeau de la preuve relativement à tous les points litigieux repose sur le requérant qui fait défaut ou refuse :

a) d’accorder la possibilité à l’évaluateur d’inspecter les biens;

b) de fournir les renseignements et les documents conformément à la demande visée à l’article 16.


150 Ce processus est aussi géré de manière pragmatique. Bien que le fardeau de la preuve repose sur l’évaluateur, le formulaire de demande d’appel exige que le contribuable indique ses motifs. Sans aucun doute, ceci contribue à une meilleure précision des questions en jeu. Comme on pourrait s’y attendre, et d’après les entrevues que nous avons faites, l’expérience au Manitoba montre que les contribuables font appel car c’est dans leur intérêt d’essayer de le faire.

151 À mon avis, bien qu’elle soit la seule en son genre au Canada, l’approche du Manitoba est judicieuse. Le Manitoba s’est libéré de la fausse analogie avec l’impôt sur le revenu et a adopté une solution qui reflète la dynamique et la réalité de l’évaluation foncière. La beauté de la chose est que la partie qui a pris la décision à l’origine doit puiser dans son vaste réservoir d’information et d’expertise pour justifier cette décision. En Ontario, par contre, la balance de la justice penche en faveur de la SÉFM. C’est peut-être pourquoi, comme l’allègue la SÉFM, la CRÉF juge pertinent d’accorder des ajustements symboliques aux contribuables, sans bonne raison. Si le fardeau de la preuve revenait à la SÉFM et si elle présentait un dossier convaincant, cela pourrait se produire moins souvent.

152 Même s’il cela entraîne une augmentation des appels en bonne et due forme, j’estime que seul le renversement du fardeau de la preuve à la Commission de révision de l’évaluation foncière pourra établir une équité véritable et donner des chances égales aux citoyens de l’Ontario. Le renversement du fardeau de la preuve favoriserait la transparence et atténuerait les répercussions des restrictions actuelles sur la divulgation de l’information. Pour cette raison, je recommande que l’Ontario suive l’exemple du Manitoba. (recommandation 21)

 

Conclusions

153 La SÉFM est une société sans but lucratif qui assume une fonction publique ayant des coûts directs et personnels pour les propriétaires fonciers de l’Ontario. Bien qu’elle ne perçoive pas d’impôt, elle a un monopole sur le pouvoir d’évaluer les biens-fonds et, de ce fait, d’établir des taux relatifs d’imposition. Elle le fait principalement avec l’argent des impôts payés par les Ontariens, et versé à la SÉFM par les municipalités en vertu de contrats de service que les municipalités sont obligées de conclure avec elle. Un petit pourcentage du budget de la SÉFM provient d’activités commerciales, mais même cet argent est gagné grâce à l’infrastructure payée par les contribuables de l’Ontario et grâce à un monopole sur ce qui serait autrement de l’information publique, monopole partagé en sous- licence avec Teranet Inc. La SÉFM n’est pas une entreprise de commerce. Elle joue un rôle d’agent public.

154 Malgré les nombreuses critiques que j’ai faites dans ce rapport, j’ai acquis la ferme impression durant cette enquête que la SÉFM est consciente de ses responsabilités sociales et que ses administrateurs sont déterminés à bien agir. Mais en tant qu’ombudsman, je dois m’attaquer aux problèmes systémiques pour tenter d’améliorer le fonctionnement du gouvernement. Il y a place à amélioration à la SÉFM, et de beaucoup. Je sais bien que les citoyens n’auront jamais grande affection pour un organisme qui joue un rôle si étroit dans la perception des impôts mais le fait est que, comme l’a montré notre enquête, les méthodes de la SÉFM ont causé des difficultés et des problèmes inutiles aux résidents de l’Ontario. Par conséquent, la SÉFM traverse une crise de crédibilité, ce qui jette une lumière peu flatteuse sur le gouvernement de l’Ontario dont les municipalités doivent utiliser les services de la SÉFM pour percevoir les impôts. Un grand nombre des contribuables dont la SÉFM tente de protéger l’argent se disent mécontents, et avec raison. Bien des problèmes qui ont causé ce mécontentement peuvent être résolus. C’est pourquoi je fais ces recommandations.

155 Le premier ensemble de problèmes que j’ai identifiés dans ce rapport est lié au monopole de l’information par la SÉFM. Je ne peux que répéter que l’information de la SÉFM doit être traitée comme appartenant aux contribuables, même si la SÉFM en est propriétaire techniquement parlant. Cette information provient de registres publics et elle est recueillie par suite d’obligations de déclaration personnelle imposées par la loi. Mais surtout, l’information est réunie par la SÉFM non pas à des fins d’enrichissement pour elle-même, mais dans l’intérêt public. C’est cette optique qui motive ma réaction à ce que j’ai découvert. Pour ce qui est de l’information que la SÉFM est disposée à partager, je conclus que la SÉFM n’en a tout simplement pas rendu l’accès assez facile – et j’entends par là l’information sur un bien-fonds faisant l’objet d’une évaluation, les 24 propriétés comparables, l’ensemble limité d’information sur les systèmes informatisés d’analyse de régression multiple et l’information supplémentaire qu’on peut acheter. Par conséquent, je fais des recommandations pour améliorer l’accès à l’information. De plus, je regrette que la vision d’entreprise de la SÉFM lui ait fait considérer sa propriété intellectuelle comme confidentielle. Le résultat est que les contribuables considèrent qu’elle n’agit pas de manière ouverte et transparente. À son insu, la SÉFM a choisi de sacrifier sa crédibilité à son besoin de confidentialité, en protégeant des aspects de son processus d’évaluation. Le public demeure méfiant et je crois que cette méfiance ne diminuera que si la SÉFM change ses priorités. Je comprends bien que ceci soulève d’importantes questions de politiques publiques qui exigent d’être étudiées et considérées. C’est pourquoi je recommande qu’on se penche spécifiquement sur ces questions, en consultant le public. (recommandation 8) Que cela change ou non, il faudrait au moins mettre en œuvre les Propositions de communication des données sur l’analyse de régression multiple que la SÉFM a élaborées dans le but d’améliorer l’accès à l’information. (recommandation 7)

156 Enfin, pour ce qui est de l’accès à l’information, j’estime que la SÉFM a tout simplement fait en sorte qu’il est trop difficile pour les citoyens de pouvoir communiquer avec les employés capables de les renseigner. Les murs dont elle protège ses agents régionaux ont peut-être été érigés par souci d’efficacité, mais ils ont font rager de nombreux Ontariens et ils doivent tout simplement tomber. (recommandation 10)

157 La SÉFM sait parfaitement que, comme elle le dit elle-même, « une évaluation correcte constitue la pierre angulaire du système d’imposition foncière ». Dans ce but, elle recueille et rassemble des monceaux d’information. Malgré cela, mon enquête montre que la SÉFM n’a pas réussi assez systématiquement à produire des évaluations exactes. Je reconnais que la SÉFM travaille fort au contrôle de la qualité et à l’autoévaluation et que ses indicateurs de rendement interne sont à la hauteur, avec leur marge d’erreur. Quoi qu’il en soit, j’ai été tout simplement scandalisé de constater tant d’erreurs et beaucoup de personnes que nous avons rencontrées durant cette enquête en éprouvaient de la colère. Personne ne s’attend à la perfection, car il y aura toujours des erreurs, mais je n’ai pas eu l’impression d’un sentiment d’urgence approprié à la SÉFM quand j’ai étudié sa documentation pour mon enquête. Je ne peux faire grand chose à ce sujet, sinon d’inciter la SÉFM à s’efforcer de faire mieux et à définir des critères plus cohérents pour enregistrer les erreurs dans ses divers bureaux régionaux. J’espère aussi que, en précisant plus clairement aux contribuables quels renseignements la SÉFM détient sur leurs propriétés, ceux-ci deviendront plus habiles à découvrir certaines des erreurs d’inspection commises par la SÉFM.

158 L’un des problèmes les plus troublants apparus durant notre enquête est le sentiment de supériorité de la SÉFM à propos de ses techniques d’évaluation en masse, comparativement aux évaluations plus contextuelles et spécifiques menées par la CRÉF. Bien qu’attribué à une différence de philosophie sur l’importance de l’égalité ou de l’équité, ce problème résulte au fond d’un désaccord sur la méthode à suivre. Franchement, la position juridique de la SÉFM me paraît mauvaise; la façon de parvenir à l’égalité en vertu de la Loi sur l’évaluation foncière est d’exiger des déterminations précises de la valeur actuelle des propriétés, et non pas de s’opposer à tout ajustement qui peut sembler en désaccord avec les résultats d’évaluation en masse de la SÉFM. Bien que les techniques d’évaluation en masse de la SÉFM soient centrées sur des évaluations correctes de valeur marchande, elles sont imparfaites, comme toutes les méthodes d’évaluation – et comme l’est la relativité qu’elles établissent. Pour le meilleur ou pour le pire, la Province de l’Ontario a mis en place une entité supérieure pour décider de l’exactitude des produits de la SÉFM. Il est beaucoup plus sain, pour la SÉFM, de considérer la CRÉF comme un agent de vérification ou un mécanisme d’équilibre de ses forces, et d’utiliser des recours juridiques pour protester contre les décisions avec lesquelles elle est en désaccord. La SÉFM ne gagnera tout simplement pas de crédibilité pour le système d’imposition tant qu’elle ignorera les décisions pertinentes de la CRÉF, même lorsque ces décisions ne sont pas exécutoires. Elle ne gagnera pas de crédibilité non plus tant qu’elle s’opposera à utiliser l’information de vente réelle de propriétés spécifiques pour orienter ses évaluations. C’est vrai, le marché peut se tromper, mais l’évaluation en masse n’est pas assez précise pour juger si cela se produit de son propre chef et le public ne comprendra jamais, n’acceptera jamais un résultat qui fait abstraction de l’expérience réelle. Je recommande donc que, à moins qu’elle n’ait des raisons concrètes et convaincantes de croire qu’une vente ne s’est pas faite dans les conditions du marché, ou que pour d’autres raisons cette vente ne reflète pas la juste valeur marchande, la SÉFM devrait accepter ce prix de vente comme étant la meilleure preuve d’une évaluation juste. (recommandation 13)  Si la SÉFM rejette le prix de vente réel, elle devrait donner clairement les raisons de sa décision au contribuable. Je recommande aussi qu’elle applique strictement les décisions de la CRÉF sur la valeur actuelle pour les années d’imposition ayant la même date d’évaluation, qu’elle prenne les décisions de la CRÉF sur la valeur actuelle comme point de départ de son évaluation, même pour les années d’imposition ayant des dates d’évaluation différentes, à moins que la décision de la CRÉF ne repose sur une condition temporaire ou que la SÉFM n’ait de l’information concrète indiquant un changement de circonstances. (recommandations 14 et 15)

159 J’ai aussi découvert que la SÉFM n’avait pas enregistré avec assez de soin l’information qui pourrait bénéficier au contribuable. Pour faire mieux, elle doit mieux repérer les raisons sous-jacentes des ajustements. Ses propres procès- verbaux de règlement doivent indiquer les raisons des réductions accordées et quand le motif d’une décision de la CRÉF n’est pas clair, elle devrait demander des précisions. (recommandations 16 et 17) L’ignorance n’est pas une excuse pour ne pas conserver de l’information. De plus, la SÉFM doit mieux enregistrer l’information. Je suis encouragé par les efforts qu’elle a déployés récemment. Ces efforts pourront être appuyés si la SÉFM permet aux contribuables de surveiller l’application de ses pratiques, en indiquant sur ses avis d’évaluation foncière s’il y a eu des révisions antérieures résultant de demandes de réexamen ou d’appels à la CRÉF.

160 Enfin, je perçois un grand déséquilibre des rapports de force devant la CRÉF – rapport qui a des répercussions sur l’équité générale des processus et sur la confiance du public à leur égard. Tout d’abord, la SÉFM doit s’efforcer de garantir que la divulgation complète des renseignements se fait au plus vite, au nom de l’équité et de l’efficacité. Elle devrait faire sa recherche tôt, pour favoriser les règlements, et travailler de manière cohérente à l’évaluation des réclamations et des appels. (recommandations 19 et 20) Deuxièmement, le fardeau de la preuve lors des audiences de la CRÉF devrait être changé. (recommandation 21) Quand on y pense bien, et quand on en fait une analyse, le bien-fondé du modèle du Manitoba s’impose de lui-même et je recommande vivement son adoption ici.

161 Dans ce rapport, j’ai tenté d’être précis tout en respectant les limites de mon mandat. L’expérience de milliers d’Ontariens en matière d’évaluation foncière dans cette province est qu’elle est arbitraire et indéfendable. Beaucoup ont demandé une réforme complète du système actuel – demande qui dépasse assurément ma province et mon expertise, et il ne m’appartient donc pas de faire des recommandations. Mais les gens qui se sont prononcés méritent d’être entendus. Et il faut noter certaines des préoccupations importantes exprimées par les particuliers et les groupes avec qui nous avons parlé de la SÉFM, même si ces préoccupations ne s’inscrivent pas exactement dans la portée de mon enquête. J’ai donc énuméré ces préoccupations à l’Annexe 2 de ce rapport.

 

Opinions

162 À mon avis, la Société d’évaluation foncière des municipalités n’est pas parvenue à garantir que les propriétaires fonciers reçoivent une information suffisante, et en temps voulu, pour leur permettre de comprendre et de contester équitablement leurs évaluations foncières. J’estime que la conduite de la Société est déraisonnable, injuste, abusive et erronée, en vertu des alinéas 21 (1) b) et d) de la Loi sur l’ombudsman.

163 Je suis aussi d’avis que la Société d’évaluation foncière des municipalités a manqué à sa responsabilité de s’assurer que ses décisions en matière d’évaluation foncière soient exactes et justes, et qu’elle a sapé l’intégrité du processus de la Commission de révision de l’évaluation foncière par sa conduite. J’estime que la conduite de la Société est déraisonnable, injuste, abusive et erronée en vertu des alinéas 21 (1) b) et d) de la Loi sur l’ombudsman.

164 De plus, j’estime que les pratiques actuelles de la SÉFM concernant le fardeau de la preuve à des fins d’évaluation foncière sont fondées sur une pratique ou une règle de droit qui est déraisonnable, injuste et abusive en vertu de l’alinéa 21 (1) b) de la Loi sur l’ombudsman.

 

Recommandations

165 J’énonce les recommandations suivantes afin d’augmenter la transparence du système d’évaluation foncière et de restaurer l’intégrité et l’efficacité du processus décisionnel à la Société d’évaluation foncière des municipalités :

Recommandation 1

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait modifier la brochure qui accompagne son avis d’évaluation foncière pour indiquer aux contribuables l’importance de veiller à ce que la SÉFM dispose d’information exacte sur le bien- fonds du contribuable et pour décrire les différentes méthodes d’obtenir toute l’information dont dispose la SÉFM sur un bien-fonds donné.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 2

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait modifier l’Avis d’évaluation foncière pour décrire, dans les cas où des méthodes d’« analyse de régression multiple » ont été utilisées, non seulement la hausse ou la baisse d’évaluation foncière municipale moyenne, mais aussi le pourcentage moyen de changement dans le voisinage particulier où le bien-fonds est situé.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 3

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait modifier la brochure qui accompagne son avis d’évaluation foncière pour décrire comment l’information sur des propriétés comparables peut être utilisée lors d’un appel, pour fournir de l’information exacte et complète sur le nombre précis de propriétés comparables sur lesquelles on peut obtenir des renseignements et comment, en précisant tout particulièrement que les six propriétés comparables retenues par la Société d’évaluation foncière des municipalités seront probablement celles qu’elle utilisera en cas d’appel devant la Commission de révision de l’évaluation foncière.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 4

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait insérer un encadré sur l’avis d’évaluation foncière qu’elle envoie aux propriétaires fonciers pour indiquer les années précédentes où il y a eu des règlements suite à des demandes de réexamen ou des réévaluations suite à une décision de la Commission de révision de l’évaluation foncière. Si la Société d’évaluation foncière des municipalités estime qu’il n’y en a eu aucun, cet encadré devrait indiquer « Non ». Dans le cas où la Société sait que des réévaluations ont eu lieu, l’encadré devrait indiquer les années en question, ainsi que le type de processus de révision.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 5

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait fournir une copie du rapport « profil de propriété » du bien-fonds quand elle envoie ses avis d’évaluation foncière.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 6

Lorsqu’elle donne de l’information sur des propriétés comparables, la Société d’évaluation foncière des municipalités devrait inclure toute l’information sur elles qui pourrait être pertinente pour l’évaluation du bien-fonds.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 7

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait mettre en œuvre les changements indiqués dans son document Proposal for Release of MRA Related Data (Proposition de communication des données de l’analyse de régression multiple), datée du 17 novembre 2005.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 8

Le gouvernement de l’Ontario devrait entreprendre un examen pour déterminer si l’intérêt du public est mieux servi en permettant à la Société d’évaluation foncière des municipalités de maintenir la confidentialité de sa propriété intellectuelle ou en exigeant une divulgation complète de sa méthodologie d’évaluation foncière aux contribuables de l’Ontario.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 9

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait s’assurer que ses procédures administratives en matière d’évaluation et d’inspection foncières, de divulgation de l’information, de demandes de réexamen et d’appels auprès de la Commission de révision de l’évaluation foncière sont formulées par écrit et communiquées au public sur son site Web. Ces procédures devraient comprendre les procédures administratives intégrant les recommandations énoncées dans le présent rapport.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 10

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait examiner les pratiques actuelles de son Centre de contact clientèle pour s’assurer que les propriétaires fonciers peuvent communiquer avec les employés pouvant le mieux répondre à leurs questions.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 11

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait entreprendre un examen de ses besoins en personnel pour déterminer si elle peut définir et instaurer des stratégies de dotation en personnel, afin d’améliorer l’exactitude de la collecte des données foncières.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 12

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait normaliser ses rapports de vérification des inspections et fournir à l’ombudsman les résultats de ses vérifications d’inspection et de ses examens de la qualité pour 2006, à mesure qu’ils deviennent disponibles.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 13

Quand l’évaluation d’une propriété est contestée en fonction du prix de vente réel obtenu aux alentours de la date d’évaluation, la SÉFM devrait généralement accepter ce prix de vente comme étant la meilleure preuve d’une évaluation juste. Le prix de vente réel devrait aussi être traité comme un facteur important lors de l’évaluation de la valeur actuelle de la propriété donnée, au cours des années ultérieures. La SÉFM ne devrait s’écarter de cette règle générale que s’il existe des raisons concrètes et convaincantes de croire que la vente en question ne s’est pas faite dans les conditions du marché ou que pour d’autres raisons cette vente ne reflète pas la valeur marchande actuelle.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 14

Quand elle effectue des évaluations pour des années ultérieures en fonction de la même date, la Société d’évaluation foncière des municipalités devrait tenir compte de la valeur déterminée par la Commission de révision de l’évaluation foncière à des dates d’évaluation spécifiques.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 15

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait être tenue d’appliquer à un bien-fonds donné toute réduction d’évaluation foncière imposée par la Commission de révision de l’évaluation lors des évaluations de valeur marchande effectuées pour ce bien-fonds au cours des années suivantes, à moins que la réduction n’aie été jugée erronée par une cour de justice ou que la Société d’évaluation foncière des municipalités ne puisse clairement prouver que les circonstances justifiant la réduction ont changé. Dans ces cas, les motifs justifiant le changement devraient être décrits dans l’avis d’évaluation foncière du contribuable.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 16

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait s’assurer que tous les procès-verbaux de règlements qu’elle conclut relativement à des réductions d’évaluation foncière indiquent clairement les raisons pour lesquelles une réduction a été accordée et que ces raisons sont enregistrées aux dossiers.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 17

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait être tenue d’appliquer les réductions accordées dans les procès-verbaux de règlements à ses futures évaluations foncières pour ce même bien-fonds, à moins que la Société d’évaluation foncière des municipalités ne puisse clairement prouver que les circonstances justifiant la réduction d’évaluation foncière ont changé. Dans ces cas, les raisons justifiant le changement devraient être décrites dans l’avis d’évaluation foncière du contribuable.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 18

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait demander à la Commission de révision de l’évaluation foncière d’indiquer ses raisons si les motifs d’une décision d’évaluation sont obscurs, et consigner les raisons données par la CRÉF.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 19

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait cesser immédiatement la pratique de présenter de nouvelles propriétés comparables lors des audiences de la Commission de révision de l’évaluation foncière sans divulgation antérieure suffisante.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 20

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait donner des directives à ses employés pour s’assurer que les contestations d’évaluation foncière sont considérées avec sérieux et réglées au plus vite, et pour éviter les règlements de dernière minute devant la Commission de révision de l’évaluation foncière.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 21

Le fardeau de la preuve en matière d’évaluation foncière devrait incomber à la Société d’évaluation foncière des municipalités et celle-ci devrait justifier ses évaluations lorsqu’elles sont contestées.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)
 
Recommandation 22

La Société d’évaluation foncière des municipalités devrait présenter un rapport au bureau de l’ombudsman dans les six mois à venir, pour indiquer ses progrès sur la mise en œuvre des recommandations de l’ombudsman.

Loi sur l’ombudsman, alinéa 21 (3) g)


 

Réponses

166 Suite à la conclusion de l’enquête menée par notre bureau, nous avons remis un Rapport préliminaire accompagné de recommandations au premier ministre, à la SÉFM et au ministère des Finances pour qu’ils l’étudient et le commentent. Les membres de mon bureau ont rencontré les représentants du Conseil d’administration de la SÉFM, ainsi que M. Carl Isenberg, Président de la SÉFM, et M. Larry Hummel, Vice-président aux Valeurs des biens-fonds.

167 La SÉFM a donné une réponse détaillée et réfléchie à la majorité des recommandations faites par notre bureau.

 

Réponse de la SÉFM

168 La SÉFM a présenté une réponse exhaustive à mon rapport préliminaire. Elle a accepté 16 des 20 recommandations relevant de sa compétence administrative et s’est engagée à les mettre en vigueur. Elle a aussi accepté en principe les recommandations 5, 10 et 11, mais a précisé que ces recommandations méritaient un examen plus approfondi avant d’être instaurées.

169 Dans sa réponse d’origine, la SÉFM a exprimé son désaccord avec la recommandation 13, telle qu’énoncée dans mon Rapport préliminaire – recommandation disant que dans certaines circonstances la SÉFM devrait accepter le prix de vente réel d’une propriété comme étant la valeur de cette propriété à des fins d’évaluation. La SÉFM a considéré que cela causerait des injustices au sein du système. En outre, elle a affirmé qu’il faudrait un changement de loi pour instaurer cette recommandation.

170 Je suis en désaccord sur ces deux points. Dans sa réponse écrite à mon Rapport préliminaire, la SÉFM ne considère pas la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Viva, qu’elle ne mentionne même pas, préférant rejeter la balle dans le camp du gouvernement provincial. Dans sa réponse, le ministère des Finances rejette à son tour la responsabilité à la SÉFM et écrit que le gouvernement provincial est « prêt à appuyer la SÉFM dans son examen des mesures… pouvant être prises pour apporter les changements recommandés ».

171 La fidélité de la SÉFM à son modèle d’évaluation en masse et l’obstination de sa conduite équivalent rien moins qu’à un rejet complet du processus indépendant d’examen de ses décisions par des organismes quasi-judiciaires, et en fait judiciaires. Si la SÉFM n’était pas d’accord avec l’interprétation de la Loi sur l’évaluation foncière faite dans l’affaire Viva ou dans des décisions de la CRÉF, elle n’aurait pas dû ignorer la loi ni attaquer la Commission par une correspondance interne mais recourir aux processus d’appel légaux pertinents. En outre, la recommandation 13 est d’une telle importance que si la SÉFM veut un jour gagner le respect et la confiance qu’elle souhaite avoir des propriétaires fonciers, elle sera bien obligée de reconnaître qu’en l’absence de solides preuves contraires la valeur marchande d’une propriété devrait généralement être considérée comme étant la meilleure preuve d’une évaluation juste. Les récentes discussions que j’ai eues avec la SÉFM m’encouragent à croire qu’elle reconsidérera sa position et mettra en vigueur la recommandation 13.

172 La réponse de la SÉFM aux autres recommandations relevant de sa compétence est satisfaisante.

 

Réponse du Ministre

173 Dwight Duncan, ministre des Finances, a répondu à mon Rapport pour le gouvernement de l’Ontario et au nom du premier ministre. Sa brève réponse est donnée ci-dessous, dans son intégralité.

Merci de votre Rapport préliminaire au sujet de la Société d’évaluation foncière des municipalités (SÉFM).

J’aimerais prendre acte du travail fait par votre équipe pour préparer ce rapport.

Je crois que nous avons tous pour but commun de maintenir en place un système d’imposition foncière qui est transparent et redevable envers les contribuables et les municipalités. Nous apprécions de recevoir des suggestions d’améliorations continues à ce système.

Nous avons étudié ce rapport et avons bien pris note de toutes les recommandations. En ce qui concerne les recommandations qui proposent des améliorations des méthodes et processus de la SÉFM, nous sommes prêts à appuyer la SÉFM dans son examen des mesures pouvant être prises pour apporter les changements recommandés.

Une fois de plus, merci de m’avoir soumis un exemplaire de votre rapport préliminaire.


174 Certains réagiront sans aucun doute durement à cette réponse du ministre des Finances, estimant qu’elle manque de considération. Premièrement, le ministre ne prend position sur aucune des recommandations faites au gouvernement de l’Ontario. Précisons que, vu la nature des questions examinées dans mon Rapport préliminaire et vu l’envergure de mes recommandations, ce Rapport préliminaire avait été envoyé au premier ministre, qui nous avait fait savoir que la « réponse » du gouvernement à notre demande de commentaires viendrait du ministre des Finances. Deuxièmement, cette lettre ne contient guère que des amabilités disant par exemple que le ministre a « pris acte » de notre travail, « croit » à un but commun, et enfin apprécie de recevoir nos « suggestions ».

175 En raison des échanges qui ont eu lieu entre mon bureau et celui du ministre des Finances, je sais que mon Rapport préliminaire est arrivé à un moment inopportun, lors des préparations d’un budget imminent. De plus, d’après les communications entre le personnel de mon bureau et celui du ministre, il semblerait que le ministre des Finances souhaite avoir plus de temps pour étudier et considérer les recommandations présentées. Vu la réponse de la SÉFM à mon Rapport préliminaire et à ses recommandations, dans laquelle la SÉFM dit notamment que l’acceptation et la mise en vigueur de certaines recommandations clés ne relèvent pas d’elle, le ministre voudra probablement faire des commentaires ultérieurs. J’attends donc la réponse du gouvernement à mon Rapport final, en particulier pour savoir à qui revient le fardeau de la preuve pour les questions d’évaluation. Bien évidemment, la SÉFM hésite à prendre le fardeau de la preuve qui pèse maintenant sur le contribuable. Mais je dois souligner que l’adoption et l’instauration de cette recommandation est essentielle pour que la SÉFM « passe le cap » et se refasse une réputation de fonctionnaire franc et juste.

176 Enfin, la réponse du ministre déclare : « nous sommes prêts à appuyer la SÉFM dans son examen de mesures pouvant être prises pour apporter les changements recommandés ». À vrai dire, je sens que le public tout entier reste prêt à appuyer la SÉFM dans sa quête d’améliorations. La SÉFM ayant donné une réponse favorable à la majorité des recommandations de ce Rapport, les changements sont déjà amorcés. J’espère que suite à ce Rapport final, les autres recommandations à la SÉFM et au gouvernement seront acceptées pour apporter des améliorations notables et durables.

____________
André Marin
Ombudsman

 

Annexes

Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletAnnexe 1 (PDF accessible)
Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletAnnexe 2 (PDF accessible - certaines parties en anglais)


[1] À la demande de « Untel », son vrai nom restera anonyme, mais son cas est bien réel.
[2] La SÉFM a reçu le Distinguished Assessment Jurisdiction Award de l’IAAO en 2004.
[3] Taxes perçues par les municipalités, pour la province.
[4] La SÉFM recueille aussi de l’information pour les listes des jurés, les listes de soutien aux écoles et les listes électorales municipales.
[5] Standard on Automated Valuation Models (AVMs), International Association of Assessing Officers, septembre 2003.
[6] Brian R. Guerin, MRA Model Development Using Vacant Land and Improved Property in a Single Valuation Model, janvier-août 2000 au 27.
[7] S’il n’y a pas eu suffisamment de ventes dans une région donnée, la SÉFM considère les cinq années précédentes.
[8] Assessment Roll Quality, 1er août 2005, document interne de la SÉFM.
[9] FICHE D’INFORMATION, SÉFM, Quality of the Assessment Update, août 2005.
[10] FICHE D’INFORMATION, SÉFM, Service Delivery Year-end Key Performance Indicator Results.
[11] FICHE D’INFORMATION, SÉFM, Quality of the Assessment Update, août 2005.
[12] Services de la qualité, SÉFM – Post Project Review of Quality Assurance in Residential Multiple Regression Analysis for the 2005 Base Year Reassessment, 4 octobre 2005 à 3.
[13] Services de la qualité, SÉFM – Post Project Review of Quality Assurance in Residential Multiple Regression Analysis for the 2005 Base Year Reassessment, 4 octobre 2005 à 5.
[14] Services de la qualité : Milner Facility Final Report, février 2005 à 3.
[15] Aperçu,  2005 Vérification spéciale de la qualité, p.5
[16] Propositions pour la communication des données reliées à l’analyse de régressions multiples, 17 novembre 2005.
[17] Correspondance de M. Isenburg à M. John Wilkinson, député provincial, 30 mai 2005, décrite plus en détail ci-après.
[18] Comme on le constatera quand je présenterai le modèle du Manitoba ci-après, même si la SÉFM dépend des contribuables pour les descriptions des biens-fonds, le fardeau de la preuve peut être imposé à l’organisme évaluateur, sous réserve de modification au besoin.